Monsieur Lecoq. Emile Gaboriau
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Читать онлайн книгу Monsieur Lecoq - Emile Gaboriau страница 15
Il saisit la main de son compagnon, et la serrant à la briser :
– Pourquoi ?… continua-t-il violemment. Ah !… je ne le devine que trop. Il avait été laissé ici, oublié, perdu, quelque pièce de conviction qui devait éclairer les ténèbres de cette horrible affaire… Et pour la ressaisir, pour la reprendre, il s’est dévoué. Et dire que c’est par ma faute, par ma seule faute à moi, que cette preuve décisive nous échappe… Et je me croyais fort !… Quelle leçon !… Il fallait fermer la porte, un imbécile y eût songé…
Il s’interrompit et demeura bouche béante, la pupille dilatée, étendant le doigt vers un des coins de la salle.
– Qu’avez-vous ? demanda le bonhomme effrayé.
Il ne répondit pas ; mais lentement, avec les mouvements roides d’un somnambule, il s’approcha de l’endroit qu’il avait désigné du doigt, se baissa, ramassa un objet fort menu, et dit :
– Mon étourderie ne méritait pas ce bonheur.
L’objet qu’il avait ramassé était une boucle d’oreille, du genre de celles que les joailliers appellent des boutons. Elle était composée d’un seul diamant, très gros. La monture était d’une merveilleuse délicatesse…
– Ce diamant, déclara-t-il, après un moment d’examen, doit valoir pour le moins cinq ou six mille francs.
– Vraiment ?…
– Je crois pouvoir l’affirmer.
Il n’eût pas dit : « je crois, » quelques heures plus tôt, il eût dit carrément : « j’affirme. » Mais une première erreur était une leçon qu’il ne devait oublier de sa vie.
– Peut-être, objecta le père Absinthe, peut-être est-ce cette boucle d’oreille, que venait chercher le complice ?
– Cette supposition n’est guère admissible. Il n’eût point, en ce cas, fouillé le tablier de la Chupin. À quoi bon ?… Non, il devait courir après autre chose… après une lettre, par exemple…
Le vieux policier n’écoutait plus, il avait pris la boucle d’oreille, et l’examinait à son tour.
– Et dire, murmurait-il, émerveillé des feux du diamant, et dire qu’il est venu à la Poivrière une femme qui avait pour dix mille francs de pierres aux oreilles !… qui le croirait !
Lecoq hocha la tête d’un air pensif.
– Oui, c’est invraisemblable, répondit-il, incroyable, absurde … Et cependant, nous en verrons bien d’autres, si nous arrivons jamais – ce dont je doute – à déchirer le voile de cette mystérieuse affaire.
Chapitre 8
Le jour se levait triste et morne, quand Lecoq et son vieux collègue jugèrent leur information complète.
Il n’y avait plus dans le cabaret un pouce carré qui n’eût été exploré, scrupuleusement examiné, étudié pour ainsi dire à la loupe.
Restait à rédiger le rapport.
Le jeune policier s’assit devant une table et commença par esquisser le plan du théâtre du meurtre, plan dont la légende explicative devait aider singulièrement à l’intelligence de son récit :
A. – Point d’où la ronde commandée par l’inspecteur du service de la sûreté, Gévrol, entendit les cris des victimes. (La distance de ce point au cabaret dit la Poivrière n’est que de 123 mètres, ce qui donne à supposer que ces cris étaient les premiers, que, par conséquent, le combat commençait seulement.)
B. – Fenêtre fermée par des volets pleins, dont les ouvertures permirent à l’un des agents d’apercevoir la scène de l’intérieur.
C. – Porte enfoncée par l’inspecteur de la sûreté, Gévrol.
D. – Escalier sur lequel était assise, pleurant, la veuve Chupin, arrêtée provisoirement. (C’est sur la troisième marche de cet escalier, que le tablier de la veuve Chupin fut plus tard retrouvé, les poches retournées.)
F. – Cheminée.
H.H.H. – Tables. (Les empreintes d’un saladier et de cinq verres ont été constatées sur celle qui se trouve entre les points F. et B.)
T. – Porte communiquant avec l’arrière-salle du cabaret, devant laquelle le meurtrier armé se tenait debout.
K. – Seconde porte du cabaret, ouvrant sur le jardin, et par où pénétra celui des agents qui eut l’idée de couper la retraite du meurtrier.
L. – Portillon du jardinet, donnant sur les terrains vagues.
M.M.M. – Empreintes de pas sur la neige, relevées par les agents restés à la Poivrière, après le départ de l’inspecteur Gévrol.
Ainsi, dans cette notice explicative, Lecoq n’écrivait pas une seule fois son nom.
En exposant les choses qu’il avait imaginées ou faites, il mettait simplement : « un agent… »
Ce n’était pas modestie, mais calcul. À s’effacer à propos, on gagne un relief plus considérable quand on sort de l’ombre.
C’était par calcul aussi qu’il plaçait Gévrol en avant.
Cette tactique, un peu bien subtile, mais de bonne guerre, en somme, devait, pensait-il, appeler l’attention sur l’agent qui avait su agir quand tout l’effort du chef s’était borné à enfoncer une porte.
Ce qu’il rédigeait n’était pas un procès-verbal, acte authentique réservé aux seuls officiers de la police judiciaire, – c’était un simple rapport admis tout au plus à titre de renseignement, et cependant il le soignait comme un jeune général le bulletin de sa première victoire.
Tandis qu’il dessinait et écrivait, le père Absinthe se penchait au-dessus de son épaule pour voir.
Le plan, particulièrement, émerveillait le bonhomme. Il lui en était passé beaucoup sous les yeux, mais il s’était toujours figuré qu’il fallait être ingénieur, architecte, arpenteur tout au moins, pour exécuter un semblable travail. Point. Avec un mètre pour prendre quelques mesures et un bout de planche en guise de règle, ce conscrit, son collègue, se tirait d’affaire.
Sa considération pour Lecoq s’en augmenta prodigieusement.
Il est vrai que le digne vétéran de la rue de Jérusalem ne s’était aperçu, ni de l’explosion de la vanité du jeune policier, ni de son retour à une attitude modeste. Il n’avait vu ni ses inquiétudes, ni ses hésitations, ni les défauts de sa pénétration.
Après un bon moment, cependant, le père Absinthe se lassa de regarder courir la plume sur le papier. Il éprouvait le malaise d’une nuit passée, il se sentait la tête brûlante et il grelottait.
Puis, les genoux, ainsi qu’il le disait, lui rentraient