Consuelo. George Sand
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– Vous me surprenez à chaque instant davantage, dit Consuelo avec simplicité. D’où vient donc que tout à l’heure vous me sembliez pleine d’héroïsme en rappelant les exploits de vos antiques Bohémiens? Je vous ai crue Bohémienne et quelque peu hérétique.
– Je suis plus qu’hérétique, et plus que Bohémienne, répondit Amélie en riant, je suis un peu incrédule, et tout à fait rebelle. Je hais toute espèce de domination, qu’elle soit spirituelle ou temporelle, et je proteste tout bas contre l’Autriche, qui de toutes les duègnes est la plus guindée et la plus dévote.
– Et le comte Albert est-il incrédule de la même manière? A-t-il aussi l’esprit français? Vous devez, en ce cas, vous entendre à merveille?
– Oh! nous ne nous entendons pas le moins du monde, et voici, enfin, après tous mes préambules nécessaires, le moment de vous parler de lui:
Le comte Christian, mon oncle, n’eut pas d’enfants de sa première femme. Remarié à l’âge de quarante ans, il eut de la seconde cinq fils qui moururent tous, ainsi que leur mère, de la même maladie née avec eux, une douleur continuelle et une sorte de fièvre dans le cerveau. Cette seconde femme était de pur sang bohème et avait, dit-on, une grande beauté et beaucoup d’esprit. Je ne l’ai pas connue. Vous verrez son portrait, en corset de pierreries et en manteau d’écarlate, dans le grand salon. Albert lui ressemble prodigieusement. C’est le sixième et le dernier de ses enfants, le seul qui ait atteint l’âge de trente ans; et ce n’est pas sans peine: car, sans être malade en apparence, il a passé par de rudes épreuves, et d’étranges symptômes de maladie du cerveau donnent encore à craindre pour ses jours. Entre nous, je ne crois pas qu’il dépasse de beaucoup ce terme fatal que sa mère n’a pu franchir. Quoiqu’il fût né d’un père déjà avancé en âge, Albert est doué pourtant d’une forte constitution; mais, comme il le dit lui-même, le mal est dans son âme, et ce mal a été toujours en augmentant. Dès sa première enfance, il eut l’esprit frappé d’idées bizarres et superstitieuses. À l’âge de quatre ans, il prétendait voir souvent sa mère auprès de son berceau, bien qu’elle fût morte et qu’il l’eût vu ensevelir. La nuit il s’éveillait pour lui répondre; et ma tante Wenceslawa en fut parfois si effrayée, qu’elle faisait toujours coucher plusieurs femmes dans sa chambre auprès de l’enfant, tandis que le chapelain usait je ne sais combien d’eau bénite pour exorciser le fantôme, et disait des messes par douzaines pour l’obliger à se tenir tranquille. Mais rien n’y fit; car l’enfant n’ayant plus parlé de ces apparitions pendant bien longtemps, il avoua pourtant un jour en confidence à sa nourrice qu’il voyait toujours sa petite mère, mais qu’il ne voulait plus le raconter, parce que monsieur le chapelain disait ensuite dans la chambre de méchantes paroles pour l’empêcher de revenir.
C’était un enfant sombre et taciturne. On s’efforçait de le distraire, on l’accablait de jouets et de divertissements qui ne servirent pendant longtemps qu’à l’attrister davantage. Enfin on prit le parti de ne pas contrarier le goût qu’il montrait pour l’étude, et en effet, cette passion satisfaite lui donna plus d’animation; mais cela ne fit que changer sa mélancolie calme et languissante en une exaltation bizarre, mêlée d’accès de chagrin dont les causes étaient impossibles à prévoir et à détourner. Par exemple, lorsqu’il voyait des pauvres, il fondait en larmes, et se dépouillait de toutes ses petites richesses, se reprochant et s’affligeant toujours de ne pouvoir leur donner assez. S’il voyait battre un enfant, ou rudoyer un paysan, il entrait dans de telles indignations, qu’il tombait ou évanoui, ou en convulsion pour des heures entières. Tout cela annonçait un bon naturel et un grand cœur; mais les meilleures qualités poussées à l’excès deviennent des défauts ou des ridicules. La raison ne se développait point dans le jeune Albert en même temps que le sentiment et l’imagination. L’étude de l’histoire le passionnait sans l’éclairer. Il était toujours, en apprenant les crimes et les injustices des hommes, agité d’émotions par trop naïves, comme ce roi barbare qui, en écoutant la lecture de la passion de Notre-Seigneur, s’écriait en brandissant sa lance: “Ah! si j’avais été là avec mes hommes d’armes, de telles choses ne seraient pas arrivées! j’aurais haché ces méchants Juifs en mille pièces!”
Albert ne pouvait pas accepter les hommes pour ce qu’ils ont été et pour ce qu’ils sont encore. Il trouvait le ciel injuste de ne les avoir pas créés tous bons et compatissants comme lui; et à force de tendresse et de vertu, il ne s’apercevait pas qu’il devenait impie et misanthrope. Il ne comprenait que ce qu’il éprouvait, et, à dix-huit ans, il était aussi incapable de vivre avec les hommes et de jouer dans la société le rôle que sa position exigeait, que s’il n’eût eu que six mois. Si quelqu’un émettait devant lui une de ces pensées d’égoïsme dont notre pauvre monde fourmille et sans lequel il n’existerait pas, sans se soucier de la qualité de cette personne, ni des égards que sa famille pouvait lui devoir, il lui montrait sur-le-champ un éloignement invincible, et rien ne l’eût décidé à lui faire le moindre accueil. Il faisait sa société des êtres les plus vulgaires et les plus disgraciés de la fortune et même de la nature. Dans les jeux de son enfance, il ne se plaisait qu’avec les enfants des pauvres, et surtout avec ceux dont la stupidité ou les infirmités n’eussent inspiré à tout autre que l’ennui et le dégoût. Il n’a pas perdu ce singulier penchant, et vous ne serez pas longtemps ici sans en avoir la preuve.
Comme, au milieu de ces bizarreries, il montrait beaucoup d’esprit, de mémoire et d’aptitude pour les beaux-arts, son père et sa bonne tante Wenceslawa, qui l’élevaient avec amour, n’avaient point sujet de rougir de lui dans le monde. On attribuait ses ingénuités à un peu de sauvagerie, contractée dans les habitudes de la campagne; et lorsqu’il était disposé à les pousser trop loin, on avait soin de le cacher, sous quelque prétexte, aux personnes qui auraient pu s’en offenser. Mais, malgré ses admirables qualités et ses heureuses dispositions, le comte et la chanoinesse voyaient avec effroi cette nature indépendante et insensible à beaucoup d’égards, se refuser de plus en plus aux lois de la bienséance et aux usages du monde.
– Mais jusqu’ici, interrompit Consuelo je ne vois rien qui prouve cette déraison dont vous parlez.
– C’est que vous êtes vous-même, à ce que je pense, répondit Amélie, une belle âme tout à fait candide… Mais peut-être êtes-vous fatiguée de m’entendre babiller, et voulez-vous essayer de vous endormir.
– Nullement, chère baronne, je vous supplie de continuer», répondit Consuelo.
Amélie reprit son récit en ces termes:
XXVI. Vous dites, chère Nina, que vous ne voyez jusqu’ici aucune extravagance dans les faits et gestes de mon pauvre cousin…
Vous dites, chère Nina, que vous ne voyez jusqu’ici aucune extravagance dans les faits et gestes de mon pauvre cousin. Je vais vous en donner de meilleures preuves. Mon oncle et ma tante sont, à coup sûr, les meilleurs chrétiens et les âmes les plus charitables qu’il y ait au monde. Ils ont toujours répandu les aumônes autour d’eux à pleines mains, et il est impossible de mettre moins de faste et d’orgueil dans l’emploi des richesses que ne le font ces dignes parents. Eh bien, mon cousin trouvait leur manière de vivre tout à fait contraire à l’esprit évangélique. Il eût voulu qu’à l’exemple des premiers chrétiens, ils vendissent leurs biens, et se fissent mendiants, après les avoir distribués aux pauvres. S’il ne disait pas cela précisément,