Le sergent Simplet. Paul d'Ivoi
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– L’amour de la musique! Attends un peu; je vais leur montrer qu’un blanc ne se mange pas comme cela.
Le jeune homme s’était levé. Roumévo l’obligea à se rasseoir.
– Ne t’éloigne pas, tu serais en danger.
– En danger?
– De mort.
– Écoute, interrogea Dalvan, il se passe quelque chose d’insolite dans cette région. On nous fuit, on nous tracasse. Toi, au contraire, tu es choyé. Réponds. Qu’y a-t-il?
La question parut embarrasser le Tsimando. Pourtant après un instant:
– Tu es mon frère, commença-t-il, je te dois la vérité. Mais laisse-moi t’apprendre d’abord que si tu avouais la tenir de moi, je serais décapité.
Il avait un ton solennel. Marcel répliqua:
– Tu es mon frère. Jamais par ma faute le malheur ne t’atteindra.
– Je parle donc.
Et baissant la voix:
– Frère, depuis trois siècles les Français se sont établis dans l’île pour asservir les peuples qui l’habitent. Les noms de leurs chefs rappellent de sanglants combats. Pronis, La Case, de Flacourt, de Maudave, Benyouski, l’amiral Pierre. Ils nous ont canonnés, fusillés. Sous la terre, nos morts nous appellent aux armes. Un seul n’a pas fait couler le sang; c’est M. Le Myre de Vilers, mais il nous a diminués plus que tous les autres. Alors la reine a appelé ses courriers et leur a dit: « Il faut que les Hovas soient maîtres de Madagascar. Je vais rassembler mes guerriers. Vous, partez. Allez chez les Sakalaves, les Betsimisaraks, les Antankares. Ordonnez-leur de cesser toutes relations avec les envahisseurs. Et s’ils hésitent, apprenez-leur que les blancs répandent la peste autour d’eux, que leur contact est mortel.
– Et? fit Marcel stupéfait mais prodigieusement intéressé.
– Nous avons obéi. Les populations que nous avons visitées sont plus nombreuses que nous. Elles aiment les Français, mais elles nous craignent. Par peur elles obéissent. Tu as pu t’en convaincre.
– C’est vrai. Et que compte faire la reine?
Le Tsimando hésita encore:
– Bon! murmura Marcel d’un air bon enfant, tu peux parler sans crainte. Tout cela ne me regarde pas.
– Que veux-tu dire?
– Je ne suis pas Français.
– Pas Français, toi qui parles leur langue?
– Dans mon pays on l’apprend; je suis né en Suisse.
– Qu’est-ce que la Suisse?
– Une région montagneuse, où l’on vit pauvre mais libre.
– Ah! frère, tu me causes une grande joie. J’étais triste de devoir trahir ma souveraine; tu me rends le repos de l’esprit. Pas Français! Sache donc qu’un jour prochain notre reine Razatindrahety donnera le signal du massacre des Français. Tous seront exterminés et les Hovas achèveront la conquête de Madagascar.
Pas un muscle du visage de Marcel ne bougea. Il renfonça son émotion, apaisa les battements de son cœur et souriant par un prodige de volonté:
– C’est très bien imaginé, tout cela. Mais, sapristi! vous devriez bien faire des distinctions entre les blancs. Si je ne t’avais rencontré, nous étions exposés à mourir de faim.
Le soleil descendant vers l’horizon était moins chaud. La marche fut reprise.
– Nous approchons de la mer, s’écria tout à coup Bérard. Je sens cela.
Il aspirait bruyamment l’air.
– Ton compagnon a raison, affirma le courrier. Dans une heure nous serons sur la côte d’Antongil.
Le vent arrivait par bouffées fraîches chargées d’effluves salins. Le sol devenait rocailleux.
Les voyageurs s’engagèrent dans une sente pierreuse, qui descendait en pente rapide à travers une véritable forêt de fougères. Soudain Marcel glissa et disparut à moitié dans un trou que la verdure l’avait empêché d’apercevoir. Un cri de douleur lui échappa et il bondit hors de la cavité en secouant ses mains avec une sorte de rage. Le courrier s’élança vers lui, sa face bronzée devenue grise.
– Un serpent? interrogea-t-il.
– Je ne sais pas, mais je souffre. C’est intolérable; j’ai du feu sur les mains.
Il les tendait au Tsimando. Celui-ci les considéra et poussa un soupir de soulagement.
– Ce n’est rien que le zapankare.
– Le zapankare?
– Oui. Tu vois ces petites épines blanches, presque transparentes, implantées dans la peau; je les retire, la douleur cesse aussitôt. Elles appartiennent à une ortie sur laquelle tu es tombé. De danger, aucun. Seulement il te viendra, à l’endroit des piqûres, des taches rouges semblables à celles qui indiquent le début de la lèpre. Au bout d’un mois, elles disparaîtront.
Puis avec un regard ironique:
– Un ami à moi, condamné aux fers, s’est servi de cette apparence pour se faire enfermer à la léproserie d’Antananarivo. La nuit il s’est enfui. Il n’y avait pas de gardes alors; on en a mis depuis et on a creusé des fossés.
– Brrr! j’aimerais mieux les fers que la société des lépreux.
– Tu ignores ce que c’est, attends avant de te prononcer.
Quelques pas encore en avant et le rideau d’arbres s’ouvrit, démasquant la surface verte de l’océan.
– La baie d’Antongil, prononça lentement Roumévo.
X. LE CHEMIN DE TANANARIVE
Comme l’avait annoncé le Tsimanclo, les voyageurs se procurèrent facilement une grande pirogue creusée dans le tronc d’un seul arbre et huit rameurs habiles. L’embarcation n’aurait pu tenir la haute mer; mais comme elle devait seulement longer la côte, elle avait une stabilité suffisante, et le 12 janvier 1893, on se confia aux flots.
Après avoir noté au passage Mananara, l’un des plus anciens établissements français, Isvaviharivo-Mora, Volabel et Tintingue, ils atteignirent, le 15, le port d’Amboudifote, situé dans l’île Sainte-Marie, laquelle n’est séparée en cet endroit de la grande terre que par un canal de sept kilomètres.
Ils y séjournèrent deux heures, non pour visiter la ville aux légères maisons de bois entourées de jardins. Ils ne déambulaient pas en touristes, hélas! Ils n’eurent pas un regard pour l’îlot aux Forbans où furent déportés les condamnés de la Réunion lors du complot Timagène-Houat. S’ils mirent le pied sur le second îlot englobé dans le port – l’îlot Madame – c’est qu’il contient, outre son phare, la demeure de