Le sergent Simplet. Paul d'Ivoi
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Le sergent Simplet - Paul d'Ivoi страница 33
– Té! disait-elle. C’est beau certainement, mais que d’argent dépensé inutilement, avec lequel on aurait pu faire des affaires!
C’était M. Canetègne qui, arrivé depuis plusieurs jours à Antananarivo, se promenait avec le général Ikaraïnilo.
Apeurée, Yvonne se serra contre son frère de lait. Mais celui-ci, tranquille comme toujours, salua le négociant et d’un air aimable:
– Cher monsieur Canetègne, enchanté de vous rencontrer. Je vous souhaite fortune et mémoire; mémoire surtout, car il serait bien fâcheux pour vous d’oublier nos petites conventions. Silence pour silence!
L’Avignonnais grommela des paroles que l’on n’entendit pas et s’éloigna avec son compagnon.
À peu de distance Ikaraïnilo l’arrêta:
– Tu es bien un blanc impatient, dit-il. Que t’importent les railleries de ton ennemi; il vient lui-même se livrer. Sous trois jours la révolution éclatera et, comme tous les Français, toi seul excepté, il mourra. Il rit, il périra.
Cette parodie du mot de Mazarin: « Ils chantent, ils payeront », ne dérida pas le commissionnaire:
– Je voudrais sauver la jeune fille, murmura-t-il.
– Pourquoi?
– Parce que ses dédains m’ont piqué et que je souhaite l’avoir pour femme. Privée de ses défenseurs, elle serait impuissante à résister à ma volonté.
– La sauver seule est possible; j’ai des soldats qui m’obéissent aveuglément.
– Seule, bien entendu. Que les deux hommes disparaissent; eux, je les hais. Quand je songe au mal qu’ils m’ont fait!…
Il serrait les poings, frappait le sol du pied. Ikaraïnilo ricana:
– Toujours rageur. Sois paisible; il sera fait ainsi que tu le désires.
Tandis que les dignes acolytes conspiraient, Marcel se plantait devant une sorte de grand tableau de basalte poli, sur lequel s’alignaient en creux d’interminables lignes d’écriture.
– Ciel! fit-il. Les tablettes d’un romancier!
Le courrier, après une révérence profonde au tableau, répliqua:
– C’est la gravure sur pierre du premier code écrit, édicté le 29 mars 1881 par la reine de Madagascar.
– Ma foi, dit Marcel, j’en veux prendre copie. Traduis-moi cela, frère Roumévo.
Et rapidement il écrivit sous la dictée du courrier.
– Maintenant, fit gravement Roumévo sa traduction achevée, venez voir le bain de la reine, puis rejoignons nos porteurs. Les troupes ont sans doute fini de défiler.
Une galerie sinueuse conduisit les voyageurs dans une salle régulière à ciel ouvert. En y pénétrant, ils s’arrêtèrent stupéfiés d’admiration. Les parois verticales, s’élevant à la hauteur d’une maison de cinq étages, étaient littéralement couvertes de figurines en relief, rehaussées des couleurs les plus vives. C’était l’histoire fouillée dans la pierre du Coq blanc, l’oiseau qui porte bonheur et est consacré au géant Derafif, enfant aimé du bienfaisant génie Zanahary.
Au centre, un trou elliptique se creusait dans le sol.
– Le bain! dit seulement le courrier.
Tous se rapprochèrent.
– Mâtin! fit Marcel. Elle est profonde, la baignoire; je comprends que lorsqu’elle est remplie d’eau, on puisse asperger le peuple.
Et par réflexion:
– Mais la reine devait s’y tenir debout; un mètre soixante de creux au moins.
Avant que personne eût pu prévoir son mouvement, le jeune homme, à l’appui de sa démonstration, sautait légèrement dans la baignoire naturelle.
Roumévo eut un cri d’angoisse. Sa figure se contracte; un tremblement convulsif le secoue.
– Qu’avez-vous? demande Yvonne troublée par ces signes de terreur.
Le courrier n’a pas le temps de répondre. De toutes parts des hululements douloureux s’élèvent. Des prêtres, à la tunique blanche agrémentée de vertes passementeries, font irruption dans la salle.
– Fuis! hurle le Tsimando d’une voix rauque. Tu as commis un sacrilège; c’est la mort ou les fers à perpétuité.
D’un bond Marcel est hors de l’excavation. Il s’élance, renversant les indigènes qui veulent l’arrêter.
Il gagne le couloir, mais là de nouveaux ennemis le saisissent, le maintiennent et l’entraînent hors du temple.
Éperdus, ses compagnons suivent la meute hurlante des prêtres. Livides, ils se regardent, se reconnaissant à peine sous la lumière crue du soleil. Des lames brillantes étincellent. Marcel va tomber, frappé de mille coups. Roumévo tire son poignard recourbé. Il doit défendre son frère de sang.
Tout à coup un mouvement se produit. Les prêtres reculent avec des hoquets d’épouvante. Ils se montrent les mains du sous-officier, avec les taches rouges, les squames pelliculaires. De leurs lèvres blêmies un mot s’échappe:
– Ourvati!… la lèpre!
Un sourire éclaire le visage du courrier. Il remet son poignard au fourreau et, profitant de la stupeur générale, il vient à Marcel.
– Ils croient que tu as la lèpre.
– Ah!
– Ils te conduiront à la léproserie.
– Moi! mais c’est horrible! Je ne veux pas.
– Fais comme mon ami. Moi, je m’emploierai à te sauver.
Les prêtres ont aperçu Ikaraïnilo et ses soldats, les mêmes qui jouaient aux osselets, et auxquels ni Marcel ni ses compagnons n’avaient pris garde. On court à eux; on les amène.
– Général, conduisez cet homme à la léproserie!
Comme chez tous les peuples où existe encore l’atroce maladie, elle cause aux populations malgaches une sorte de terreur superstitieuse.
Canetègne, flanquant toujours le général, a un ricanement de triomphe. Le hasard le venge cruellement. Yvonne aussi a entendu, compris. Elle veut parler; Roumévo lui impose silence. Un mot perdrait Marcel que l’on peut encore sauver.
– Allons, suivez-nous; ordonne au prisonnier le général.