Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 2. Bastiat Frédéric

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Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 2 - Bastiat Frédéric

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ou plutôt des possesseurs du sol. Les voilà soumis à la concurrence étrangère, il faut les y laisser, puisqu'aussi bien elle ne leur sera jamais aussi préjudiciable qu'elle peut l'être aujourd'hui. Les événements ont fait ce que tous les raisonnements du monde n'auraient pu faire; la révolution est accomplie; ce qu'il peut y avoir de fâcheux dans le premier choc est passé; il ne faut point en perdre le bienfait permanent, en opérant la contre-révolution. Les prix intérieurs et extérieurs sont nivelés, l'agriculture française a subi la concurrence dans les circonstances les plus défavorables pour elle; il ne faut pas lui restituer d'injustes et inutiles priviléges. Enfin, il faut apprendre dans ce grand fait que le plus important de tous les produits est passé, sans transition, du régime de la restriction à celui de la liberté, et que la réforme, immédiate, absolue, n'en a été que moins douloureuse.

      Que toutes les associations du libre-échange s'unissent donc pour empêcher que la loi céréale ne soit jamais ressuscitée. Sur ce terrain elles auront une force immense. Il est plus facile d'obtenir le maintien d'une réforme déjà réalisée que le renversement d'un abus. Dans la prévision d'une liberté prochaine et inévitable, les manufacturiers, qui ont l'intelligence de la situation, seront avec nous. Le peuple ne saurait nous combattre sans déserter, non-seulement son intérêt le plus évident, mais encore son droit le plus sacré, celui d'échanger son salaire contre la plus grande somme possible d'aliments, celui d'acheter le blé au prix réduit par la concurrence, quand il vend son travail au prix réduit par la concurrence. Et quant au propriétaire (car l'agriculteur est hors de cause), croyons qu'il est assez juste envers le peuple pour renoncer à une taxe sur le pain, qui n'a d'autre effet que d'élever artificiellement le capital de la terre. Que si, d'abord, il se tourne contre nous, il nous reviendra quand nous demanderons que les classes manufacturières fassent à leur tour, en toute justice envers lui, l'abandon de leurs injustes et inefficaces priviléges.

      12. – SUBSISTANCES

8 Mai 1847.

      Quand nous avons entrepris de renverser le régime protecteur, nous nous attendions à rencontrer de grands obstacles.

      Nous savions que nous soulèverions contre nous de puissants intérêts, aveuglés par les trompeuses promesses de la législation actuelle, et nous ne nous dissimulions pas l'influence que les grands manufacturiers, les grands propriétaires et les maîtres de forges exercent dans les chambres et sur la presse périodique.

      Il n'était pas difficile de prévoir que les industries protégées entraîneraient pour un temps leurs ouvriers. Quoi de plus aisé que de faire un épouvantail de la concurrence, quand on ne la montre à chacun que dans ses rapports avec l'industrie qu'il exerce?

      Nous pensions bien que certains chefs de parti, toujours avides de recruter des boules, se poseraient aux yeux des protectionnistes comme les patrons de leurs injustes priviléges, et qu'ils ne manqueraient pas de faire, au nom de l'opposition, une campagne contre la liberté. C'est avec cette triste tactique qu'on s'enfonce dans la dégradation morale; mais qu'importe, si l'on atteint le but immédiat, celui d'enlever quelques voix à des adversaires politiques?

      Mais de tous les obstacles, le plus puissant, c'est l'ignorance du pays en matière économique. L'Université, qui décide ce que les Français apprendront ou n'apprendront pas, juge à propos de leur faire passer leurs premières années parmi des possesseurs d'esclaves, dans les républiques guerrières de la Grèce et de Rome. Est-il surprenant qu'ils ignorent le mécanisme de nos sociétés libres et laborieuses?

      Enfin, nous ne sommes pas de ceux qui pensent qu'un cabinet quelconque puisse accomplir une réforme importante contre le gré de l'opinion publique; et eussions-nous eu cette pensée, les faits nous démontraient que celui qui dirige les affaires du pays n'était nullement disposé à risquer son existence dans une telle entreprise.

      C'est donc avec la pleine connaissance des difficultés qui nous entouraient que nous avons commencé notre œuvre.

      Cependant, nous devons l'avouer, jamais nous n'aurions pu croire que la France offrirait au monde l'étrange et triste spectacle qu'elle présente;

      Que, pendant que l'Angleterre, les États-Unis et Naples affranchissent leur commerce, pendant que la même réforme s'élabore en Espagne, en Allemagne, en Russie, en Italie, la France se contenterait de répéter, sans oser rien entreprendre: «Je marche à la tête de la civilisation;»

      Que des chambres de commerce, comme celles de Metz, de Mulhouse, de Dunkerque, qui demandaient énergiquement la liberté il y a quelques années, s'en montreraient aujourd'hui épouvantées.

      Mais il n'est que trop vrai. Par les efforts combinés des protectionnistes et de certains journaux, le pays a été saisi tout à coup d'une crainte immense, inouïe, et, osons trancher le mot, ridicule.

      Car, que voyons-nous? Nous voyons la disette désoler la population, le pain et la viande hors de prix, des hommes, au dire des journaux, tomber d'inanition dans les rues de nos villes. – Et les ministres n'osent pas déclarer que les Français auront, au moins pendant un an, le droit d'acheter du pain au dehors. Ils n'osent pas le déclarer, parce que le pays n'ose pas le demander; et le pays n'ose pas le demander, parce que cela déplaît aux journaux protectionnistes, socialistes et soi-disant démocratiques. Oui, nous le disons hautement, avant peu on refusera de croire que la France a étalé aux yeux de l'univers une telle pusillanimité; chacun se vantera d'avoir fait exception, et, comme ces vieux soldats qui disent avec orgueil: «J'étais à Wagram et à Waterloo,» on dira: «En 1847, je déployai un grand courage; j'osai demander le droit de troquer mon travail contre du pain.»

      Où en sommes-nous, grand Dieu! On écrit de Mulhouse: «La consommation intérieure de nos produits est arrêtée à cause de la cherté de nos subsistances; les ateliers se ferment, les ouvriers sont sans ouvrage, le blé est à 50 fr. l'hectolitre; la Suisse est près de nous; nous serions heureux d'obtenir la permission d'aller y chercher de la viande, mais nous n'osons pas la demander.»

      On mande de Lyon qu'il serait dangereux de soumettre aux ouvriers une pétition pour la libre entrée des aliments. Il faudrait, dit-on, que cette proposition émanât du parti démocratique; et il s'y oppose parce qu'il a fait alliance avec le privilége.

      Bien plus. Êtes-vous convaincus que l'entrée libre des blés doit être provoquée? Il ne vous est pas permis de dire vos raisons. Telle est la libéralité de nos libéraux, qu'ils ne souffrent même pas la discussion sur ce point. De suite, ils vous attribuent des motifs honteux. Vous êtes des pessimistes, des alarmistes, des traîtres, et pis que cela, si c'est possible.

      C'est ainsi que le Journal des Débats s'est attiré un torrent d'invectives de ce genre pour avoir demandé la prorogation de la loi qui autorise la libre entrée des céréales, et surtout pour avoir motivé sa demande.

      Vous alarmez le pays, lui a-t-on dit; votre but est de l'agiter; votre but est de faire baisser les fonds; votre but est de rompre un chaînon du système protecteur; votre but est de nous ravir notre popularité, etc., etc.

      Alarmer le pays! Eh quoi! est-ce que pour un peuple, pas plus que pour un homme, le courage consiste à fermer les yeux devant le danger? Est-ce que le plus sûr moyen de lutter contre les obstacles et d'en triompher, ce n'est pas de les voir? Est-il possible d'employer le remède sans parler du mal, et suffit-il de dire: «La récolte sera magnifique, surabondante, précoce; ne vous préoccupez pas de l'avenir, rapportez-vous-en au hasard; fiez-vous au ministère; sauf à l'accabler si vos illusions sont trompées18?

      Que disait pourtant le Journal des Débats? Il n'arguait pas d'une mauvaise récolte. Il ne pouvait le faire, puisque c'est encore le secret de l'avenir.

      Il se fondait sur des faits connus,

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<p>18</p>

On se rappelle que le Constitutionnel, après avoir énuméré toutes les raisons qui selon lui font un devoir au ministère de ne pas laisser entrer le blé étranger, terminait ainsi son article: «Cependant, si malheur arrive, nous serons vos plus terribles accusateurs!»