Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 2. Bastiat Frédéric
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Sauf donc Bayonne, tous les ports de France sont ouverts aux céréales du monde entier.
L'inondation qui, selon nos adversaires, devrait suivre cette mesure, avilir les prix, arrêter la culture, rendre les champs aux ronces, cette inondation a-t-elle eu lieu? Évidemment non, puisque chacun se préoccupe de savoir si nous aurons assez de pain pour passer l'hiver.
Cependant les circonstances n'étaient-elles pas éminemment propres à déterminer l'inondation?
Cela vaut la peine d'être examiné.
Dans sa circulaire aux préfets, M. le ministre du commerce établit «que dans les trois régions du Nord, ainsi que dans les trois régions du Centre, la récolte en froment, méteil, seigle et orge, a été généralement inférieure à une année ordinaire et que, dans les trois régions du Midi, les rapports accusent une infériorité de récolte encore plus marquée.
«La perte de la pomme de terre paraît aller au quart ou au tiers d'une année commune.»
En outre, «l'année dernière n'a pas été une année favorable, et si elle présentait un boni de quelques millions d'hectolitres, le mauvais résultat de la récolte des pommes de terre, en augmentant la consommation des céréales, l'avait considérablement réduit.»
Ainsi, du côté de la France, tout semblait se réunir pour provoquer, en cas d'ouverture des ports, une inondation de blés étrangers.
D'un autre côté, les circonstances extérieures favorisaient au plus haut degré ce phénomène.
«En effet, dit monsieur le ministre, l'approvisionnement des grands marchés est en ce moment très-considérable; la récolte des grains a été magnifique dans les anciennes provinces polonaises et les gouvernements de la Nouvelle-Russie, qui alimentent les places d'Odessa dans la mer Noire, de Taganrog, Rostow, Marioupole, etc., dans la mer d'Azow. L'énorme exportation des années 1844 et 1845 avait donné dans ces contrées une grande impulsion à la culture des céréales; la température extraordinairement favorable de l'été en a favorisé le développement…
«La récolte en Égypte a été supérieure aux produits d'une année commune. Elle excède de beaucoup les besoins de la consommation; la moyenne des exportations annuelles est d'environ 990,000 hectolitres; Alexandrie peut en livrer facilement cette année de 1,700,000 à 1,800,000…
«Aux États-Unis, les deux récoltes abondantes de 1845 et 1846 ont accumulé d'importantes quantités de grains disponibles pour l'exportation; et un rapport officiel du 30 septembre dernier n'évalue pas cette récolte à moins de 26 millions d'hectolitres de maïs, et plus de 49 millions d'hectolitres de froment.»
Les deux phénomènes qui, dans leur coexistence, sont les plus propres à déterminer une invasion de produits étrangers se présentent donc ici, à savoir: déficit chez nous, extrême abondance dans les autres pays producteurs.
Nous ajouterons qu'au point de vue du système restrictif, qui se préoccupe surtout de celui qui produit le blé et non de celui qui le mange, il était impossible de choisir un plus mauvais moment pour ouvrir les ports.
Après bien du travail et des fatigues, le laboureur voit son blé détruit par la pluie; ce qui lui en reste ne peut le récompenser de ses soins et de ses avances qu'autant qu'il le vendra à un prix élevé. Et c'est dans ce moment que vous donnez un libre accès au blé étranger, cultivé sur une terre qui ne coûte rien, par des mains qu'on ne paye pas, dans un pays exempt d'impôts, et où, par surcroît de fatalité, la récolte a été magnifique? Qu'est donc devenue votre théorie de la lutte à forces égales, de l'égalisation des conditions du travail?
Vous avez mis tous ces arguments de côté, vous avez ouvert les ports sans ménagements, sans transition, sans ces sages tempéraments qui, dans d'autres circonstances, sont un commode prétexte pour ne rien faire du tout. La peur de la faim a surmonté la peur de l'inondation. Vous vous êtes fait libre-échangiste pratique, dans toute la force du terme. Vous avez été non moins radical que Cobden et plus que sir Robert Peel. Vous avez prononcé, en fait de céréales, la liberté totale, immédiate, sans condition, sans stipuler aucune réciprocité. – C'est une grande expérience. Et que nous apprend-elle? C'est que l'inondation, loin de nous submerger, ne se fait pas assez vite au gré de vos désirs; le commerce, la spéculation, la différence des prix, l'inégalité des conditions de production, rien de tout cela ne peut hâter assez cette concurrence étrangère si redoutée; et pour la surexciter, vous êtes réduit à y appliquer les deniers publics et les vaisseaux de l'État.
Laisserons-nous passer un fait aussi grave sans en retirer quelque enseignement?
Ce que vous avez fait aujourd'hui sans dommage, évidemment vous pouvez le faire toujours sans danger.
Car enfin, de quelle manière peuvent se combiner les récoltes relatives de la France et de l'étranger? nous n'en connaissons que quatre, savoir:
Abondance partout;
Déficit partout;
Abondance chez nous, déficit ailleurs;
Abondance ailleurs, déficit chez nous.
Parmi ces quatre combinaisons possibles, il n'y a que la dernière qui puisse rendre l'inondation redoutable.
S'il y a abondance partout, il y a bon marché partout. C'est le cas actuel, sauf que le prix serait plus bas en France, et par conséquent l'importation moins lucrative. Le rayon de l'approvisionnement serait plus restreint.
S'il y a déficit partout, il y a cherté partout. C'est encore le cas actuel, sauf que le prix serait plus élevé en Bessarabie, en Égypte, aux États-Unis; et nous serions dans le cas de faire plus, s'il était possible, que d'ouvrir les ports.
Quant à la troisième hypothèse, abondance chez nous, déficit ailleurs, c'est certainement celle où la possibilité de l'inondation est à son moindre degré.
Il n'y a donc qu'un cas où cette singulière inondation d'aliments puisse à priori paraître imminente; c'est le cas où les aliments nous manquent tandis qu'il y en a ailleurs. C'est le cas où nous nous trouvons; c'est le cas, le seul cas où la loi restrictive ait quelque chose de logique et de justifiable, au point de vue étroit de l'intérêt producteur.
Or, nous y sommes dans cette éventualité, et, par une inconséquence bien remarquable, nous avons rejeté la protection, non-seulement quoique, mais parce que nous nous trouvons dans l'hypothèse même qui lui sert de prétexte et d'excuse. Et qui plus est, nous en sommes à regretter de ne l'avoir pas plus tôt rejetée.
De fait, notre loi