Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 2. Bastiat Frédéric

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Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 2 - Bastiat Frédéric

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des Ministres, les Électeurs des Députés, les Prolétaires des Électeurs! Selon le Commerce, le temple de Thémis est une forêt noire; suivant la Magistrature, le Commerce n'est plus que l'art de la fraude. Si l'esprit d'association ne se développe que lentement, le faiseur d'entreprises s'en prend à la défiance qu'éprouve l'actionnaire, et l'actionnaire à la défiance qu'inspire le faiseur d'entreprises. Le paysan est un routinier; le soldat, un instrument passif prêt à faire feu sur ses frères; l'artisan, un être anormal qui n'est plus retenu par le frein des croyances sans l'être encore par celui de l'honneur. Enfin, si la moitié ou le quart seulement de ces récriminations étaient fondées, il faudrait en conclure que le misanthrope de Genève nous a traités avec ménagement.

      Ce qu'il y a de singulier, c'est que nous en usons d'une façon tout opposée envers nos voisins d'outre-Manche. En masse, nous les accablons de nos mépris. «Méfiez-vous de l'Angleterre, elle ne cherche que des dupes, elle n'a ni foi ni loi; son Dieu est l'intérêt, son but l'oppression universelle, ses moyens l'astuce, l'hypocrisie et l'abus de la force.» – Mais, en détail, nous lui élevons un piédestal afin de la mieux admirer. «Quelle profondeur de vues dans ses hommes d'État! quel patriotisme dans ses représentants quelle habileté dans ses manufacturiers! quelle audace dans ses négociants! Comment l'association mettrait-elle en œuvre dans ce pays trente milliards de capitaux, si elle ne marchait pas dans la voie de la loyauté? Voyez ses fermiers, ses ouvriers, ses mécaniciens, ses marins, ses cochers, ses palefreniers, ses grooms, etc., etc.»

      Mais cette admiration outrée se manifeste surtout par le plus sincère de tous les hommages: l'imitation.

      Les Anglais font-ils des conquêtes? Nous voulons faire des conquêtes, sans examiner si nous avons, comme eux, des milliers de cadets de famille à pourvoir. Ont-ils des colonies? nous voulons avoir des colonies, sans nous demander si, pour eux comme pour nous, elles ne coûtent pas plus qu'elles ne valent. Ont-ils des chevaux de course? nous voulons des chevaux de course, sans prendre garde que ce qui peut être recherché par une aristocratie amante de la chasse et du jeu est fort inutile à une démocratie dont le sol fractionné n'admet guère la chasse, même à pied. Voyons-nous enfin leur population déserter les campagnes pour aller s'engloutir dans les mines, s'agglomérer dans les villes manufacturières, se matérialiser dans de vastes usines? aussitôt notre législation, sans égard à la situation, à l'aptitude, au génie de nos concitoyens, se met en devoir de les attirer, par l'appât de faveurs dont ils supportent, en définitive, tous les frais, vers les mines, les grandes usines, et les villes manufacturières. – Qu'il me soit permis d'insister sur cette observation, qui me conduit d'ailleurs au sujet que j'ai à traiter.

      Il est constaté que les deux tiers de la population habitent, en Angleterre, les villes, et en France, la campagne.

      Deux circonstances expliquent ce phénomène.

      La première, c'est la présence d'une aristocratie territoriale. Au delà du détroit, d'immenses domaines permettent d'appliquer à la culture du sol des moyens mécaniques et paraissent même rendre plus profitable l'extension du pâturage.

      D'un autre côté, la situation géographique de l'Angleterre, placée entre le Midi et le Nord de l'Europe, et sur la route des deux hémisphères, la multitude et la profondeur de ses rades, le peu de pente de ses rivières qui donne tant de puissance aux marées, l'abondance de ses mines de fer et de houille, le génie patient, ordonné, mécanicien de ses ouvriers, les habitudes maritimes qui naissent d'une position insulaire, tout cela la rend éminemment propre à remplir, pour son compte et souvent pour le compte des autres peuples, à l'avantage de tous, deux grandes fonctions de l'industrie: la fabrication et le voiturage des produits.

      Lors donc que la Grande-Bretagne aurait été abandonnée par le génie de ses hommes d'État au cours naturel des choses, lorsqu'elle n'aurait pas cherché à étendre au loin sa domination, lorsqu'elle n'aurait employé sa puissance qu'à faire régner la liberté du commerce et des mers, il n'est pas douteux qu'elle ne fût parvenue à une grande prospérité, et j'ajouterai, selon mes convictions profondes, à un degré de bonheur et de solide gloire qu'on peut certainement lui contester.

      Mais, parce qu'ailleurs cette émigration de la campagne à la ville s'est opérée naturellement, était-ce une raison pour que la France dût chercher à la déterminer par des moyens artificiels?

      À Dieu ne plaise que je veuille m'élever ici d'une manière générale contre l'esprit d'imitation. C'est le plus puissant véhicule du progrès. L'invention est au génie, l'imitation est à tous. C'est elle qui multiplie à l'infini les bienfaits de l'invention. En matière d'industrie surtout, l'imitation, quand elle est libre, a peu de dangers. Si elle n'est pas toujours rationnelle, si elle se fourvoie quelquefois, au bout de chaque expérience il y a une pierre de touche, le compte des profits et pertes, qui est bien le plus franc, le plus logique, le plus péremptoire des redresseurs de torts. Il ne se contente pas de dire: «l'expérience est contre vous.» Il empêche de la poursuivre, et cela forcément, sans appel, avec autorité; car la raison ne fût-elle pas convertie, la bourse est à sec.

      Mais quand l'imitation est imposée à tout un peuple par mesure administrative, quand la loi détermine la direction, la marche et le but du travail, il ne reste plus qu'un souhait à faire: c'est que cette loi soit infaillible; car si elle se trompe, au moment où elle donne une impulsion déterminée à l'industrie, celle-ci doit suivre toujours une voie funeste.

      Or, je le demande, le sol, le soleil de la France, sa position géographique, la constitution de son régime foncier, le génie de ses habitants justifient-ils des mesures coercitives, par lesquelles on pousserait la population des travaux agricoles aux travaux manufacturiers et du champ à l'usine? Si la fabrication était plus profitable, on n'avait pas besoin de ces mesures coercitives. Le profit a assez d'attrait par lui-même. Si elle l'est moins, – en déplaçant les capitaux et le travail, en faisant violence à la nature physique et intellectuelle des hommes, on n'a fait qu'appauvrir la nation.

      Je ne m'attacherai pas à démontrer que la France est essentiellement un pays agricole; aussi bien, je ne me rappelle pas avoir jamais entendu mettre cette proposition en doute. Je n'entends pas dire que toutes les fabriques, tous les arts doivent en être bannis. Qui pourrait avoir une telle pensée? Je dis qu'abandonnée à ses instincts, à sa pente, à son impulsion naturelle, – les capitaux, les bras, les facultés se distribueraient entre tous les modes d'activité humaine, agriculture, fabrication, arts libéraux, commerce, navigation, exertions intellectuelles et morales, dans des proportions toujours harmoniques, toujours calculées pour faire sortir de chaque effort le plus grand bien du plus grand nombre. J'ajoute, sans crainte d'être contredit, que, dans cet ordre naturel de choses, l'agriculture et la fabrication seraient entre elles dans le rapport du principal à l'accessoire, quoiqu'il en puisse être tout différemment en Angleterre.

      On nous accuse, nous partisans du libre-échange, de copier servilement un exemple venu d'Angleterre. Mais si jamais imitation a été servile, maladroite, inintelligente, c'est assurément le régime que nous combattons, le régime protecteur.

      Examinons-en les effets sur l'agriculture française.

      Tous les agronomes (je ne dis pas les agronomanes, ceux-ci décuplent le revenu des terres avec une facilité sans égale), tous les agronomes, dis-je, sont d'accord sur ce point, que ce qui manque à notre agriculture, ce sont les capitaux. Sans doute, il lui manque aussi des lumières; mais l'art arrive avec les moyens d'améliorer, et il n'est paysan si routinier qui ne sût fort bien placer sur sa métairie ses épargnes à bon intérêt, s'il en pouvait faire.

      La plus petite amélioration de détail exige des avances; à plus forte raison une amélioration d'ensemble. Voulez-vous perfectionner vos voitures de transport? Vous êtes entraîné à élargir, niveler, et graveler les chemins de la ferme. Voulez-vous défricher? Outre qu'il y faut beaucoup de main-d'œuvre, il faut songer à

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