Œuvres complètes de lord Byron, Tome 11. George Gordon Byron
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Nous approchons maintenant du terme de cette fatale époque de son histoire. Dans un billet 26 adressé à M. Rogers, peu de tems avant son départ pour Ostende, il dit: «Ma sœur est en ce moment près de moi, et elle repart demain. – Si jamais nous devons nous revoir, ce ne sera pas, du moins, de quelque tems; et, dans de telles circonstances, j'espère que vous et M. Shéridan m'excuserez de ne pouvoir me rendre chez lui ce soir.»
Note 26: (retour) Footnote 26: Daté du 16 avril.
Ce fut la dernière entrevue qu'il eut avec sa sœur, la seule personne, en quelque sorte, dont il se séparât avec regret. Il nous dit lui-même qu'il était incertain de savoir qui lui avait causé le plus de chagrin, des ennemis qui l'attaquaient, ou des amis qui s'en affligeaient avec lui. Ces vers si beaux et si tendres:
Quoique le jour de ma destinée soit évanoui, etc., furent le tribut d'adieux 27 qu'il adressa, en partant, à celle qui, au milieu de ses épreuves les plus amères, avait été sa seule consolatrice; et quoique connus à la plupart des lecteurs, ils peignent si bien les profondes blessures de sa sensibilité à cette époque, que je ne pense pas que le lecteur regrette d'en retrouver quelques stances ici.
Note 27: (retour) On verra dans une lettre subséquente que la première stance de ces adieux si sincèrement affectueux: «Ma barque est sur le rivage» fut aussi composée à cette époque.(Note de Moore.)
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Quoique le roc sur lequel s'appuyait ma dernière espérance soit réduit en éclats, et que les fragmens en soient engloutis sous les ondes, quoique je sente que mon ame soit condamnée à la douleur, elle ne sera pas son esclave. Je suis réservé à plus d'une angoisse; on peut m'accabler, mais non pas m'avilir; on peut me torturer, mais non me soumettre: c'est de toi que je m'occupe, et non pas d'eux.
Quoiqu'appartenant à l'humanité, tu ne m'as pas trompé. Quoique femme, tu ne m'abandonnas pas; quoique chérie, tu t'es abstenue de m'affliger, et lorsqu'on me calomnia tu restas toujours inébranlable. Je me fiais à toi, et tu n'as pas trahi ma confiance; si tu m'as quitté, ce n'était pas pour me fuir, et quand, attentive, tu me surveillais, ce n'était pas pour me diffamer, ni pour rester muette lorsque le monde m'attaquait.
Je recueillerai du moins quelque chose des débris du naufrage de mon bonheur passé. Il m'a appris que l'objet que je chérissais le plus était aussi celui qui méritait le plus d'être aimé. La fontaine qui jaillit dans le désert, l'arbre qu'on rencontre encore au milieu d'une lande nue et stérile, l'oiseau gazouillant dans une solitude, te retraceront à mon ame, et lui parleront de toi.
Sur un bout de papier, je retrouve, écrite de sa main, en date du 14 avril, la liste suivante de ses gens, avec l'indication des pays qu'il se proposait de parcourir. «Domestiques, – Berger, Suisse, William Fletcher et Robert Rushton. – John William Polidori, médecin. – La Suisse, la Flandre, l'Italie, et peut-être la France.» On remarquera que les deux domestiques anglais étaient le même paysan et le même page qui étaient partis avec lui pour ses premiers voyages en 1809, et maintenant, pour la seconde fois, il fit ses adieux à sa patrie, le 25 d'avril 1816, et s'embarqua pour Ostende.
Les circonstances sous l'influence desquelles Lord Byron quittait l'Angleterre étaient de nature, s'il eût été question d'un homme ordinaire, à ne pouvoir être envisagées que comme aussi fatales qu'humiliantes. Dans le cours rapide d'une année, il avait éprouvé tous les genres de chagrins domestiques. Ses foyers avaient été profanés huit ou neuf fois par la présence des huissiers, et les priviléges de son rang l'avaient seuls préservé de la prison. Il s'était aliéné la tendresse de sa femme, si toutefois il l'avait jamais possédée; et maintenant, rejeté par elle et condamné par le monde, il se livrait à un exil qui n'avait pas même le mérite de paraître volontaire, puisque l'espèce d'excommunication que prononçait contre lui la société, ne semblait pas lui laisser d'autre ressource. S'il eût appartenu à cette classe d'êtres insoucians et naturellement satisfaits d'eux-mêmes, contre la rude surface desquels les reproches d'autrui viennent s'émousser, il aurait pu trouver dans son insensibilité un refuge certain contre le blâme public; mais, au contraire, cette même susceptibilité de sensations, qui le rendait si sensible aux louanges des hommes, acquérait un nouveau degré de force quand il s'agissait de leur censure. En dépit de l'étrange plaisir qu'il prenait à se peindre, aux yeux du monde, d'une manière défavorable, il ne put s'empêcher d'être à la fois surpris et affligé de voir que le monde l'avait pris au mot; et, semblable à un enfant couvert d'un masque, qui se voit tout à coup dans une glace, lui-même recula d'effroi, lorsque le sombre déguisement qu'il avait affecté, en quelque sorte, en plaisantant, fut réfléchi soudainement à ses yeux, dans le miroir de l'opinion publique.
Ainsi entouré de chagrins qu'il sentait aussi profondément, nous ne craignons pas de dire que toute autre ame que la sienne aurait succombé dans cette lutte, et perdu peut-être sans retour cette estime de soi-même, le seul appui qu'on puisse opposer aux coups de la fortune. Mais chez lui, dont l'ame avait en réserve une force qui n'attendait que le moment d'être employée, la violence même du mal amena une espèce de soulagement, par la résistance proportionnée qu'il produisit. Si ses fautes et ses erreurs n'avaient trouvé que le châtiment qu'elles méritaient, il n'y a presque aucun doute que le résultat eût été bien différent: non-seulement ceci n'eût pas suffi pour éveiller les nouvelles facultés qui sommeillaient encore en lui; mais le sentiment de ses erreurs, qui était toujours si vivement présent à son esprit, s'il n'eût pas été exaspéré par d'injustes provocations, aurait exercé sur lui son influence accoutumée, en le disposant à la douceur et presque à l'humilité: heureusement, comme la suite le prouva, pour les triomphes qui attendaient son génie, on n'usa pas de tant de modération à son égard. Les torrens d'invectives si peu proportionnés aux fautes qu'il avait commises, et les basses calomnies qui, de toutes parts, s'attachèrent à son nom, ne laissèrent à son orgueil blessé d'autre ressource que de rassembler toute sa force, par ce même instinct de résistance à l'injustice qui avait fait éclore, pour la première fois, les facultés de sa jeune imagination, et qui était destiné à donner à son génie un essor plus hardi et plus élevé.
Ce ne fut pas sans vérité que Gœthe dit de lui qu'il était inspiré par le génie de la douleur; car, depuis le commencement jusqu'à la fin de sa carrière agitée, ce fut toujours à cette source amère qu'il alla puiser de nouvelles facultés. La cause principale qui l'excitait à se distinguer quand il était enfant était, comme nous l'avons déjà vu, cette marque de difformité, dont le sentiment pénible et profond le tourmentant sans cesse, produisit en lui le premier désir de devenir célèbre. 28 Il fait évidemment allusion à son sort, lorsqu'il décrit lui-même cette sensation 29:
La difformité est ambitieuse; il est dans sa nature de chercher à atteindre les autres hommes, et de leur devenir égale et même supérieure. Il y a un aiguillon dans sa marche, pénible et tardive, qui l'excite à devenir ce que les autres ne peuvent jamais être dans les choses qui sont également à leur portée, comme pour compenser le premier manque de libéralité de la nature marâtre!
Note 28: (retour) Dans une de ses lettres à M. Hunt, il exprime son opinion que le penchant à la poésie est très-généralement le résultat d'un esprit souffrant dans un corps souffrant. «La maladie ou la difformité, ajoute-t-il, a été le partage d'un grand nombre de nos meilleurs auteurs: Collins était fou; Chatterton, je crois, fou; Cowper fou; Pope contrefait, Milton aveugle, etc., etc.»
Note 29: (retour) Dans le Défiguré Transfiguré (the Deformed Transformed).(Notes de Moore.)
Vint ensuite le chagrin