La Comédie humaine, Volume 5. Honore de Balzac

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La Comédie humaine, Volume 5 - Honore de Balzac

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du somnambulisme, à peine soupçonnés par Mesmer, furent dus à messieurs de Puységur et Deleuze; mais la révolution mit à ces découvertes un temps d'arrêt qui donna gain de cause aux savants et aux railleurs. Parmi le petit nombre des croyants se trouvèrent des médecins. Ces dissidents furent, jusqu'à leur mort, persécutés par leurs confrères. Le corps respectable des médecins de Paris déploya contre les mesmériens les rigueurs des guerres religieuses, et fut aussi cruel dans sa haine contre eux qu'il était possible de l'être dans ce temps de tolérance voltairienne. Les docteurs orthodoxes refusaient de consulter avec les docteurs qui tenaient pour l'hérésie mesmérienne. En 1820, ces prétendus hérésiarques étaient encore l'objet de cette proscription sourde. Les malheurs, les orages de la Révolution n'éteignirent pas cette haine scientifique. Il n'y a que les prêtres, les magistrats et les médecins pour haïr ainsi. La robe est toujours terrible. Mais aussi les idées ne seraient-elles pas plus implacables que les choses? Le docteur Bouvard, ami de Minoret, donna dans la foi nouvelle, et persévéra jusqu'à sa mort dans la science à laquelle il avait sacrifié le repos de sa vie, car il fut une des bêtes noires de la Faculté de Paris. Minoret, l'un des plus vaillants soutiens des encyclopédistes, le plus redoutable adversaire de Deslon, le prévôt de Mesmer, et dont la plume fut d'un poids énorme dans cette querelle, se brouilla sans retour avec son camarade; mais il fit plus, il le persécuta. Sa conduite avec Bouvard devait lui causer le seul repentir qui pût troubler la sérénité de son déclin. Depuis la retraite du docteur Minoret à Nemours, la science des fluides impondérables, seul nom qui convienne au magnétisme si étroitement lié par la nature de ses phénomènes à la lumière et à l'électricité, faisait d'immenses progrès, malgré les continuelles railleries de la science parisienne. La phrénologie et la physiognomie, la science de Gall et celle de Lavater, qui sont jumelles, dont l'une est à l'autre ce que la cause est à l'effet, démontraient aux yeux de plus d'un physiologiste les traces du fluide insaisissable, base des phénomènes de la volonté humaine, et d'où résultent les passions, les habitudes, les formes du visage et celles du crâne. Enfin, les faits magnétiques, les miracles du somnambulisme, ceux de la divination et de l'extase, qui permettent de pénétrer dans le monde spirituel, s'accumulaient. L'histoire étrange des apparitions du fermier Martin si bien constatées, et l'entrevue de ce paysan avec Louis XVIII; la connaissance des relations de Swedenborg avec les morts, si sérieusement établie en Allemagne, les récits de Walter Scott sur les effets de la seconde vue; l'exercice des prodigieuses facultés de quelques diseurs de bonne aventure qui confondent en une seule science la chiromancie, la cartomancie et l'horoscopie; les faits de catalepsie et ceux de la mise en œuvre des propriétés du diaphragme par certaines affections morbides; ces phénomènes au moins curieux, tous émanés de la même source, sapaient bien des doutes, emmenaient les plus indifférents sur le terrain des expériences. Minoret ignorait ce mouvement des esprits, si grand dans le nord de l'Europe, encore si faible en France, où se passaient néanmoins de ces faits qualifiés de merveilleux par les observateurs superficiels, et qui tombent comme des pierres au fond de la mer, dans le tourbillon des événements parisiens.

      Au commencement de cette année, le repos de l'anti-mesmérien fut troublé par la lettre suivante.

      «Mon vieux camarade,

      »Toute amitié, même perdue, a des droits qui se prescrivent difficilement. Je sais que vous vivez encore, et je me souviens moins de notre inimitié que de nos beaux jours au taudis de Saint-Julien-le-Pauvre. Au moment de m'en aller de ce monde, je tiens à vous prouver que le magnétisme va constituer une des sciences les plus importantes, si toutefois la science ne doit pas être une. Je puis foudroyer votre incrédulité par des preuves positives. Peut-être devrai-je à votre curiosité le bonheur de vous serrer encore une fois la main, comme nous nous la serrions avant Mesmer.

»Toujours à vous.»Bouvard.»

      Piqué comme l'est un lion par un taon, l'anti-mesmérien bondit jusqu'à Paris et mit sa carte chez le vieux Bouvard, qui demeurait rue Férou, près de Saint-Sulpice. Bouvard lui mit une carte à son hôtel, en lui écrivant: «Demain, à neuf heures, rue Saint-Honoré, en face l'Assomption.» Minoret, redevenu jeune, ne dormit pas. Il alla voir les vieux médecins de sa connaissance, et leur demanda si le monde était bouleversé, si la médecine avait une École, si les quatre Facultés vivaient encore. Les médecins le rassurèrent en lui disant que le vieil esprit de résistance existait; seulement, au lieu de persécuter, l'Académie de médecine et l'Académie des sciences pouffaient de rire en rangeant les faits magnétiques parmi les surprises de Comus, de Comte, de Bosco, dans les jongleries, la prestidigitation et ce qu'on nomme la physique amusante. Ces discours n'empêchèrent point le vieux Minoret d'aller au rendez-vous que lui donnait le vieux Bouvard. Après quarante-quatre années d'inimitié, les deux antagonistes se revirent sous une porte cochère de la rue Saint-Honoré. Les Français sont trop continuellement distraits pour se haïr pendant longtemps. A Paris surtout, les faits étendent trop l'espace et font en politique, en littérature et en science la vie trop vaste pour que les hommes n'y trouvent pas des pays à conquérir où leurs prétentions peuvent régner à l'aise. La haine exige tant de forces toujours armées que l'on s'y met plusieurs quand on veut haïr pendant longtemps. Aussi les Corps peuvent-ils seuls y avoir de la mémoire. Après quarante-quatre ans, Robespierre et Danton s'embrasseraient. Cependant chacun des deux docteurs garda sa main sans l'offrir. Bouvard le premier dit à Minoret: – Tu te portes à ravir.

      – Oui, pas mal, et toi? répondit Minoret une fois la glace rompue.

      – Moi, comme tu vois.

      – Le magnétisme empêche-t-il de mourir? demanda Minoret d'un ton plaisant mais sans aigreur.

      – Non, mais il a failli m'empêcher de vivre.

      – Tu n'es donc pas riche? fit Minoret.

      – Bah! dit Bouvard.

      – Eh! bien, je suis riche, moi, s'écria Minoret.

      – Ce n'est pas à ta fortune, mais à ta conviction que j'en veux. Viens, répondit Bouvard.

      – Oh! l'entêté! s'écria Minoret.

      Le mesmérien entraîna l'incrédule dans un escalier assez obscur, et le lui fit monter avec précaution jusqu'au quatrième étage.

      En ce moment se produisait à Paris un homme extraordinaire, doué par la foi d'une incalculable puissance, et disposant des pouvoirs magnétiques dans toutes leurs applications. Non-seulement ce grand inconnu, qui vit encore, guérissait par lui-même à distance les maladies les plus cruelles, les plus invétérées, soudainement et radicalement, comme jadis le Sauveur des hommes; mais encore il produisait instantanément les phénomènes les plus curieux du somnambulisme en domptant les volontés les plus rebelles. La physionomie de cet inconnu, qui dit ne relever que de Dieu et communiquer avec les anges comme Swedenborg, est celle du lion; il y éclate une énergie concentrée, irrésistible. Ses traits, singulièrement contournés, ont un aspect terrible et foudroyant; sa voix qui vient des profondeurs de l'être, est comme chargée du fluide magnétique, elle entre en l'auditeur par tous les pores. Dégoûté de l'ingratitude publique après des milliers de guérisons, il s'est rejeté dans une impénétrable solitude, dans un néant volontaire. Sa toute puissante main, qui a rendu des filles mourantes à leurs mères, des pères à leurs enfants éplorés, des maîtresses idolâtres à des amants ivres d'amour; qui a guéri les malades abandonnés par les médecins, qui faisait chanter des hymnes dans les synagogues, dans les temples et dans les églises par des prêtres de différents cultes ramenés tous au même Dieu par le même miracle; qui adoucissait les agonies aux mourants chez desquels la vie était impossible; cette main souveraine, soleil de vie qui éblouissait les yeux fermés des somnambules, ne se lèverait pas pour rendre un héritier présomptif à une reine. Enveloppé dans le souvenir de ses bienfaits comme dans un suaire lumineux, il se refuse au monde et vit dans le ciel. Mais à l'aurore de son règne, surpris presque de

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