La Comédie humaine, Volume 5. Honore de Balzac

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La Comédie humaine, Volume 5 - Honore de Balzac

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en sa place! Bonne sainte Ursule, ma chère patronne, et vous divine mère de Dieu, reine du ciel, archanges et saints du paradis, écoutez-moi, joignez vos intercessions aux miennes et prenez pitié de nous.»

      La somnambule imita si parfaitement les gestes candides et les saintes inspirations de l'enfant, que le docteur Minoret eut les yeux pleins de larmes.

      – Dit-elle encore quelque chose? demanda Minoret.

      – Oui.

      – Répétez-le?

      – Ce cher parrain! avec qui fera-t-il son trictrac à Paris? Elle souffle son bougeoir, elle penche la tête et s'endort. La voilà partie! Elle est bien jolie dans son petit bonnet de nuit.

      Minoret salua le grand inconnu, serra la main à Bouvard, descendit avec rapidité, courut à une station de cabriolets bourgeois qui existait alors sous la porte d'un hôtel depuis démoli pour faire place à la rue d'Alger; il y trouva un cocher et lui demanda s'il consentait à partir sur-le-champ pour Fontainebleau. Une fois le prix fait et accepté, le vieillard, redevenu jeune, se mit en route à l'instant. Suivant sa convention, il laissa reposer le cheval à Essonne, atteignit la diligence de Nemours, y trouva de la place, et congédia son cocher. Arrivé chez lui vers cinq heures du matin, il se coucha dans les ruines de toutes ses idées antérieures sur la physiologie, sur la nature, sur la métaphysique, et dormit jusqu'à neuf heures, tant il était fatigué de sa course.

      A son réveil, certain que depuis son retour personne n'avait franchi le seuil de sa maison, le docteur procéda, non sans une invincible terreur, à la vérification de faits. Il ignorait lui-même la différence des deux billets de banque et l'interversion des deux volumes de Pandectes. La somnambule avait bien vu. Il sonna la Bougival.

      – Dites à Ursule de venir me parler, dit-il en s'asseyant au milieu de sa bibliothèque.

      L'enfant vint, elle courut à lui, l'embrassa; le docteur la prit sur ses genoux, où elle s'assit en mêlant ses belles touffes blondes aux cheveux blancs de son vieil ami.

      – Vous avez quelque chose, mon parrain?

      – Oui, mais promets-moi, par ton salut, de répondre franchement, sans détour, à mes questions.

      Ursule rougit jusque sur le front.

      – Oh! je ne te demanderai rien que tu ne puisses me dire, dit-il en continuant et voyant la pudeur du premier amour troubler la pureté jusqu'alors enfantine de ces beaux yeux.

      – Parlez, mon parrain.

      – Par quelle pensée as-tu fini tes prières du soir, hier, et à quelle heure les as-tu faites?

      – Il était neuf heures un quart, neuf heures et demie.

      – Eh! bien, répète-moi ta dernière prière?

      La jeune fille espéra que sa voix communiquerait sa foi à l'incrédule; elle quitta sa place, se mit à genoux, joignit les mains avec ferveur, une lueur radieuse illumina son visage, elle regarda le vieillard et lui dit: – Ce que je demandais hier à Dieu, je l'ai demandé ce matin, je le demanderai jusqu'à ce qu'il m'ait exaucée.

      Puis elle répéta sa prière avec une nouvelle et plus puissante expression; mais, à son grand étonnement, son parrain l'interrompit en achevant la prière.

      – Bien, Ursule, dit le docteur en reprenant sa filleule sur ses genoux. Quand tu t'es endormie la tête sur l'oreiller, n'as-tu pas dit en toi-même: «Ce cher parrain! avec qui fera-t-il son trictrac à Paris?»

      Ursule se leva comme si la trompette du jugement dernier eût éclaté à ses oreilles: elle jeta un cri de terreur; ses yeux agrandis regardaient le vieillard avec une horrible fixité.

      – Qui êtes-vous, mon parrain? De qui tenez-vous une pareille puissance? lui demanda-t-elle en imaginant que pour ne pas croire en Dieu il devait avoir fait un pacte avec l'ange de l'enfer.

      – Qu'as-tu semé hier dans le jardin?

      – Du réséda, des pois de senteur, des balsamines.

      – Et en dernier des pieds d'alouette?

      Elle tomba sur ses genoux.

      – Ne m'épouvantez pas, mon parrain; mais vous étiez ici, n'est-ce pas?

      – Ne suis-je pas toujours avec toi? répondit le docteur en plaisantant pour respecter la raison de cette innocente fille. Allons dans ta chambre.

      Il lui donna le bras et monta l'escalier.

      – Vos jambes tremblent, mon bon ami, dit-elle.

      – Oui, je suis comme foudroyé.

      – Croiriez vous donc enfin en Dieu? s'écria-t-elle avec une joie naïve en laissant voir des larmes dans ses yeux.

      Le vieillard regarda la chambre si simple et si coquette qu'il avait arrangée pour Ursule. A terre un tapis vert uni peu coûteux, qu'elle maintenait dans une exquise propreté; sur les murs un papier gris de lin semé de roses avec leurs feuilles vertes; aux fenêtres, qui avaient vue sur la cour, des rideaux de calicot ornés d'une bande d'étoffe rose; entre les deux croisées, sous une haute glace longue, une console en bois doré couverte d'un marbre, sur laquelle était un vase bleu de Sèvres où elle mettait des bouquets; et, en face de la cheminée, une petite commode d'une charmante marqueterie et à dessus de marbre dit brèche d'Alep. Le lit, en vieille perse et à rideaux de perse doublés de rose, était un de ces lits à la duchesse si communs au dix-huitième siècle et qui avait pour ornements une touffe de plumes sculptée au-dessus des quatre colonnettes cannelées de chaque angle. Une vieille pendule, enfermée dans une espèce de monument en écaille incrusté d'arabesques en ivoire, décorait la cheminée, dont le chambranle et les flambeaux de marbre, dont la glace et son trumeau à peinture en grisaille offraient un remarquable ensemble de ton, de couleur et de manière. Une grande armoire, dont les battants offraient des paysages faits avec différents bois, dont quelques-uns avaient des teintes vertes et qui ne se trouvent plus dans le commerce, contenait sans doute son linge et ses robes. Il respirait dans cette chambre un parfum du ciel. L'exact arrangement des choses attestait un esprit d'ordre, un sens de l'harmonie qui certes aurait saisi tout le monde, même un Minoret-Levrault. On voyait surtout combien les choses qui l'environnaient étaient chères à Ursule et combien elle se plaisait dans une chambre qui tenait, pour ainsi dire, à toute sa vie d'enfant et de jeune fille. En passant tout en revue par maintien, le tuteur s'assurait que de la chambre d'Ursule on pouvait voir chez madame de Portenduère. Pendant la nuit il avait médité sur la conduite qu'il devait tenir avec Ursule relativement au secret surpris de cette passion naissante. Un interrogatoire le compromettrait vis-à-vis de sa pupille. Ou il approuverait ou il désapprouverait cet amour: dans les deux cas, sa position devenait fausse. Il avait donc résolu d'examiner la situation respective du jeune Portenduère et d'Ursule pour savoir s'il devait combattre ce penchant avant qu'il fût irrésistible. Un vieillard pouvait seul déployer tant de sagesse. Encore pantelant sous les atteintes de la vérité des faits magnétiques, il tournait sur lui-même et regardait les moindres choses de cette chambre, il voulait jeter un coup d'œil sur l'almanach suspendu au coin de la cheminée.

      – Ces vilains flambeaux sont trop lourds pour tes jolies menottes, dit-il en prenant les chandeliers en marbre ornés de cuivre. Il les soupesa, regarda l'almanach, le prit et dit: – Ceci me semble bien laid aussi. Pourquoi gardes-tu cet almanach de facteur dans une si jolie chambre?

      – Oh! laissez-le-moi, mon parrain.

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