La Comédie humaine, Volume 5. Honore de Balzac

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La Comédie humaine, Volume 5 - Honore de Balzac

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l'avait dit la somnambule, un petit point rouge devant le 19 octobre; il en vit également un en face du jour de saint Denis, son patron à lui, et devant saint Jean, le patron du curé. Ce point gros comme la tête d'une épingle, la femme endormie l'avait aperçu malgré la distance et les obstacles. Le vieillard médita jusqu'au soir sur ces événements, plus immenses encore pour lui que pour tout autre. Il fallait se rendre à l'évidence. Une forte muraille s'écroula pour ainsi dire en lui-même, car il vivait appuyé sur deux bases: son indifférence en matière de religion et sa dénégation du magnétisme. En prouvant que les sens, construction purement physique, organes dont tous les effets s'expliquaient, étaient terminés par quelques-uns des attributs de l'infini, le magnétisme renversait ou du moins lui paraissait renverser la puissante argumentation de Spinosa: l'infini et le fini, deux éléments, incompatibles selon ce grand homme, se trouvaient l'un dans l'autre. Quelque puissance qu'il accordât à la divisibilité, à la mobilité de la matière, il ne pouvait pas lui reconnaître des qualités quasi-divines. Enfin il était devenu trop vieux pour rattacher ces phénomènes à un système, pour les comparer à ceux du sommeil, de la vision, de la lumière. Toute sa science, basée sur les assertions de l'école de Locke et Condillac, était en ruines. En voyant ses creuses idoles en pièces, nécessairement son incrédulité chancelait. Ainsi tout l'avantage, dans le combat de cette enfance catholique contre cette vieillesse voltairienne, allait être à Ursule. Dans ce fort démantelé, sur ces ruines ruisselait une lumière. Du sein de ces décombres éclatait la voix de la prière! Néanmoins l'obstiné vieillard chercha querelle à ses doutes. Encore qu'il fût atteint au cœur, il ne se décidait pas, il luttait toujours contre Dieu. Cependant son esprit parut vacillant, il ne fut plus le même. Devenu songeur outre mesure, il lisait les Pensées de Pascal, il lisait la sublime Histoire des Variations de Bossuet, il lisait Bonald, il lut saint Augustin; il voulut aussi parcourir les œuvres de Swedenborg et de feu Saint-Martin, desquels lui avait parlé l'homme mystérieux. L'édifice bâti chez cet homme par le matérialisme craquait de toutes parts, il ne fallait plus qu'une secousse; et, quand son cœur fut mûr pour Dieu, il tomba dans la vigne céleste comme tombent les fruits. Plusieurs fois déjà, le soir, en jouant avec le curé, sa filleule à côté d'eux, il avait fait des questions qui, relativement à ses opinions, paraissaient singulières à l'abbé Chaperon, ignorant encore du travail intérieur par lequel Dieu redressait cette belle conscience.

      – Croyez-vous aux apparitions? demanda l'incrédule à son pasteur en interrompant la partie.

      – Cardan, un grand philosophe du seizième siècle, a dit en avoir eu, répondit le curé.

      – Je connais toutes celles qui ont occupé les savants, je viens de relire Plotin. Je vous interroge en ce moment comme catholique, et vous demande si vous pensez que l'homme mort puisse revenir voir les vivants.

      – Mais Jésus est apparu aux apôtres après sa mort, reprit le curé. L'Église doit avoir foi dans les apparitions de Notre Sauveur. Quant aux miracles, nous n'en manquons pas, dit l'abbé Chaperon en souriant: voulez-vous connaître le plus récent? il a eu lieu pendant le dix-huitième siècle.

      – Bah!

      – Oui, le bienheureux Marie-Alphonse de Liguori a su bien loin de Rome la mort du pape, au moment où le Saint-Père expirait, et il y a de nombreux témoins de ce miracle. Le saint évêque, entré en extase, entendit les dernières paroles du souverain pontife et les répéta devant plusieurs personnes. Le courrier chargé d'annoncer l'événement ne vint que trente heures après…

      – Jésuite! répondit le vieux Minoret en plaisantant, je ne vous demande pas de preuves, je vous demande si vous y croyez.

      – Je crois que l'apparition dépend beaucoup de celui qui la voit, dit le curé continuant à plaisanter l'incrédule.

      – Mon ami, je ne vous tends pas de piége, que croyez-vous sur ceci?

      – Je crois la puissance de Dieu infinie, dit l'abbé.

      – Quand je serai mort, si je me réconcilie avec Dieu, je le prierai de me laisser vous apparaître, dit le docteur en riant.

      – C'est précisément la convention faite entre Cardan et son ami, répondit le curé.

      – Ursule, dit Minoret, si jamais un danger te menaçait, appelle-moi, je viendrai.

      – Vous venez de dire en un seul mot la touchante élégie intitulée Néère, d'André Chénier, répondit le curé. Mais les poètes ne sont grands que parce qu'ils savent revêtir les faits ou les sentiments d'images éternellement vivantes.

      – Pourquoi parlez-vous de votre mort, mon cher parrain? dit d'un ton douloureux la jeune fille; nous ne mourrons pas, nous autres chrétiens, notre tombe est le berceau de notre âme.

      – Enfin, dit le docteur en souriant, il faut bien s'en aller de ce monde, et quand je n'y serai plus, tu seras bien étonnée de ta fortune.

      – Quand vous ne serez plus, mon bon ami, ma seule consolation sera de vous consacrer ma vie.

      – A moi, mort?

      – Oui. Toutes les bonnes œuvres que je pourrai faire seront faites en votre nom pour racheter vos fautes. Je prierai Dieu tous les jours, afin d'obtenir de sa clémence infinie qu'il ne punisse pas éternellement les erreurs d'un jour, et qu'il mette près de lui, parmi les âmes des bienheureux, une âme aussi belle, aussi pure que la vôtre.

      Cette réponse, dite avec une candeur angélique, prononcée d'un accent plein de certitude, confondit l'erreur, et convertit Denis Minoret à la façon de saint Paul. Un rayon de lumière intérieure l'étourdit en même temps que cette tendresse, étendue sur sa vie à venir, lui fit venir les larmes aux yeux. Ce subit effet de la grâce eut quelque chose d'électrique. Le curé joignit les mains et se leva troublé. La petite, surprise de son triomphe, pleura. Le vieillard se dressa comme si quelqu'un l'eût appelé, regarda dans l'espace comme s'il y voyait une aurore; puis, il fléchit le genou sur son fauteuil, joignit les mains et baissa les yeux vers la terre en homme profondément humilié.

      – Mon Dieu! dit-il d'une voix émue en relevant son front, si quelqu'un peut obtenir ma grâce et m'amener vers toi, n'est-ce pas cette créature sans tache? Pardonne à cette vieillesse repentie que cette glorieuse enfant te présente! Il éleva mentalement son âme à Dieu, le priant d'achever de l'éclairer par sa science après l'avoir foudroyé de sa grâce, il se tourna vers le curé, et lui tendant la main: – Mon cher pasteur, je redeviens petit, je vous appartiens et vous livre mon âme.

      Ursule couvrit de larmes joyeuses les mains de son parrain en les lui baisant. Le vieillard prit cette enfant sur ses genoux et la nomma gaiement sa marraine. Le curé tout attendri récita le Veni, Creator dans une sorte d'effusion religieuse. Cette hymne servit de prière du soir à ces trois chrétiens agenouillés.

      – Qu'y a-t-il? demanda la Bougival étonnée.

      – Enfin! mon parrain croit en Dieu, répondit Ursule.

      – Ah! ma foi, tant mieux, il ne lui manquait que ça pour être parfait, s'écria la vieille Bressane en se signant avec une naïveté sérieuse.

      – Cher docteur, dit le bon prêtre, vous aurez compris bientôt les grandeurs de la religion et la nécessité de ses pratiques; vous trouverez sa philosophie, dans ce qu'elle a d'humain, bien plus élevée que celle des esprits les plus audacieux.

      Le curé, qui manifestait une joie presque enfantine, convint alors de catéchiser ce vieillard en conférant avec lui deux fois par semaine. Ainsi, la conversion attribuée à Ursule et à un esprit de calcul sordide fut spontanée. Le curé, qui s'était abstenu

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