Œuvres complètes de lord Byron, Tome 6. George Gordon Byron

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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 6 - George Gordon Byron

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DOGE

      Comment! tout, dites-vous? Est-ce un songe? – Impossible. – Donne-moi ce papier. (Il arrache le papier et lit.) «Il est arrêté dans le conseil que Michel Steno…» Ah! mon neveu, ton bras.

BERTUCCIO FALIERO

      Remettez-vous; calmez ce transport. Je vais chercher du secours.

LE DOGE

      Restez, monsieur. – Ne faites pas un pas. – Je suis remis.

BERTUCCIO FALIERO

      Je ne puis m'empêcher de reconnaître avec vous que la punition est au-dessous de l'offense. – Il est honteux pour les Quarante d'avoir infligé une peine aussi légère à celui qui vous avait aussi hautement outragé, vous et eux, puisqu'ils sont vos sujets; mais il ne faut désespérer de rien, vous pouvez en appeler à eux-mêmes qui, voyant un semblable déni, reviendront sans doute sur la cause qu'ils avaient déclinée, et feront justice de l'insolent coupable. N'est-ce pas là votre avis, mon cher oncle? Vous ne m'écoutez pas: pourquoi demeurer ainsi immobile? au nom du ciel, répondez-moi.

LE DOGE, jetant à terre son bonnet ducal et le foulant aux pieds

      Oh! que les Sarrasins ne sont-ils dans Saint-Marc! comme je m'empresserais de leur faire hommage.

BERTUCCIO FALIERO

      Par le ciel, au nom de tous les saints! monseigneur: -

LE DOGE

      Laisse-moi! Ah! que les Génois ne sont-ils dans le port! Pourquoi, autour de ce palais, ne vois-je pas les Huns que je défis à Zara!

BERTUCCIO FALIERO

      Appartient-il au doge de Venise de parler ainsi!

LE DOGE

      Doge de Venise! Quel est maintenant le doge de Venise? qu'on me conduise à lui pour qu'il me rende justice.

BERTUCCIO FALIERO

      Si vous oubliez votre rang et les devoirs qu'il vous impose, rappelez-vous du moins celui d'homme, et triomphez de cet emportement; le doge de Venise-

LE DOGE, l'interrompant

      Il n'y en a pas-c'est un mot-quelque chose de pire, une expression dépourvue de sens. Quand le plus chétif, le plus vil, le dernier des misérables demande son pain, il peut, quand on le lui refuse, trouver quelque pitié dans un autre homme; mais celui qui demande en vain justice à ceux qui sont au-dessus des lois, celui-là est plus pauvre que le mendiant que l'on repousse-c'est un esclave-ce que je suis enfin, et toi et toute notre famille. Et quand le plus vil artisan nous montre au doigt, quand le noble nous accable de ses dédains, qui se chargera de notre vengeance?

BERTUCCIO FALIERO

      La loi, mon prince-

LE DOGE, l'interrompant

      Vous voyez ce qu'elle vient de faire: je n'ai recherché de réparation que dans la loi-je ne voulais pas de vengeance, mais justice. – Je ne choisis pour mes juges que ceux désignés par la loi. – Souverain, j'en appelai à mes sujets, ceux-là même qui m'avaient confié la souveraineté, et qu'ils avaient ainsi rendu doublement légitime. Eh bien! les droits de mon rang, de leur choix, de ma naissance et de mes services; mes honneurs, mes années, mes rides, mes courses, mes fatigues, mon sang enfin répandu pendant près de quatre-vingts années, tout cela fut mesuré dans la balance contre la plus odieuse insulte, l'affront le plus brutal, le crime le plus lâche d'un insolent patricien. – Tout cela fut trouvé plus léger! et voilà ce qu'il faut supporter!

BERTUCCIO FALIERO

      Je ne dis pas cela. – Mais si l'on rejette votre second appel, nous retrouverons d'autres moyens d'y suppléer.

LE DOGE

      En appeler encore! Es-tu bien le fils de mon frère, un rejeton de la race des Faliero? Es-tu le neveu d'un Doge et d'un sang qui donna trois princes à Venise? Mais tu parles bien-oui, désormais, il nous faut de la résignation.

BERTUCCIO FALIERO

      Oh! mon noble oncle, votre emportement va trop loin: – oui, je l'avoue, l'offense était grossière, la punition est mille fois trop douce; mais votre ressentiment est au-dessus de l'insulte. Si l'on nous outrage, nous demandons justice. Si on nous la refuse, nous la prenons; pour cela il faut du calme: – une profonde vengeance est fille d'un silence profond. J'ai tout au plus le tiers de vos années; j'aime notre maison; je vous honore, vous qui en êtes le chef, vous le tuteur, le guide de ma jeunesse; – mais bien que je comprenne votre douleur, et que je ressente votre injure, je frémis en voyant votre colère, semblable aux vagues de l'Adriatique, franchir toutes les bornes et se dissiper dans les airs.

LE DOGE

      Je te le dis-faut-il te le dire-ce que ton père aurait compris sans avoir besoin de paroles? N'as-tu de sensibilité que pour les tortures du corps? n'as-tu pas d'ame-pas d'orgueil-de passions-de sentimens d'honneur?

BERTUCCIO FALIERO

C'est la première fois qu'on a mis en doute mon honneur, et de tout autre ce serait la dernière8.

LE DOGE

      Vous n'ignorez pas quel fut l'affront dont je me plains; un lâche reptile osa déposer son venin dans un infâme libelle et fit planer des soupçons-ah! ciel-sur ma femme, la plus délicate portion de notre honneur. Ses calomnies passèrent de bouche en bouche, grossies des commentaires injurieux et des jeux de mots obscènes d'une vile populace; et cependant d'orgueilleux patriciens avaient les premiers semé la calomnie, ils souriaient d'une imposture qui me transformait non-seulement en époux trompé, mais heureux et peut-être fier de sa honte.

BERTUCCIO FALIERO

      Mais, enfin, c'était un mensonge-vous le savez, et personne ne l'ignore.

LE DOGE

      Mon neveu! l'illustre Romain a dit: la femme de César ne doit pas être soupçonnée, et il renvoya sa femme.

BERTUCCIO FALIERO

      Cela est vrai-mais aujourd'hui-

LE DOGE

      Eh quoi! ce qu'un Romain ne pouvait souffrir, un souverain de Venise doit-il le supporter? Le diadême des Césars? Mais le vieux Dandolo l'avait refusé, et il accepta le bonnet ducal, qu'aujourd'hui je foule aux pieds, parce qu'il est dégradé.

BERTUCCIO FALIERO

      Cela est vrai-

LE DOGE

      Cela est-cela est! – loin de moi l'idée de punir une créature innocente, indignement calomniée parce qu'elle a pris pour époux un vieillard, autrefois l'ami de son père et le protecteur de sa famille; comme si l'éclat de la jeunesse et des traits imberbes pouvaient seuls captiver le cœur des femmes. – Je ne voulais pas venger sur elle l'infamie d'un autre, mais je demandais justice à mon pays, justice due au plus humble des hommes qui ayant une femme, dont la foi lui est douce, une maison dont les foyers lui sont chers, un nom dont l'honneur est tout pour lui, se voit atteint dans ces trois biens par le souffle odieux d'un calomniateur.

BERTUCCIO FALIERO

      Et quelle digne réparation pouvez-vous attendre?

LE DOGE

      O rage! N'étais-je pas le chef de l'état! – ne m'avait-on pas insulté sur mon trône, et rendu le jouet des hommes faits pour m'obéir? N'avais-je pas été outragé comme mari, insulté comme citoyen, avili, dégradé comme prince? – Une telle offense n'était-elle pas une complication de trahison? Et cependant il vit! S'il avait conduit le même stylet, non sur le trône d'un Doge mais, sur l'escabeau d'un paysan, il eût payé de son sang une telle audace; le poignard l'aurait au même instant frappé.

BERTUCCIO FALIERO

      Écoutez, il ne vivra pas jusqu'au soleil couchant. – Rapportez-vous du tout à moi, et calmez-vous.

LE DOGE

      Vois-tu, mon neveu, c'était bon hier: à présent je n'ai plus de fiel contre cet homme.

BERTUCCIO FALIERO

      Que

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<p>8</p>

(retour) Voilà une imitation évidente du célèbre mot de Corneille:

Tout autre que mon père

L'éprouverait sur l'heure!