Lettres à Mademoiselle de Volland. Dénis Diderot

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Lettres à Mademoiselle de Volland - Dénis Diderot

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on redresse les paniers, on relève l'âne par la queue; cependant on laissait là cette pauvre femme qui criait comme une femme troussée. – Mais il y en a qui ne crient pas trop. – Aux sérails. – Là comme ailleurs.

      L'Alcoran fut le seul livre de la nation pendant plusieurs siècles; on brûla les autres, ou parce qu'ils étaient superflus, s'il n'y avait que ce qui est dans l'Alcoran, ou parce qu'il étaient pernicieux, s'ils contenaient autre chose que ce qui y est. Ce fut d'après ce raisonnement qu'on chauffa pendant six mois les bains d'Alexandrie des ouvrages du temps précédent. L'imposteur n'était plus, lorsque des fanatiques remplis de son esprit damnaient le calif Almamon pour avoir accueilli la science au détriment de la sainte ignorance des fidèles croyants. Ils disaient: Si quelqu'un ose l'imiter, il faut l'empaler et le porter de tribu en tribu, précédé d'un héraut qui criera: C'est ainsi qu'on traitera l'impie qui préférera la philosophie profane à la divine tradition, la raison au miraculeux Alcoran.

      Cependant les Omméades firent peu de chose pour les savants. Les Abbassides osèrent davantage. Un d'entre eux institua des pèlerinages, éleva des temples, prescrivit des prières publiques et se montra si religieux qu'il put, sans irriter les dévots, attacher près de lui un astrologue et deux médecins chrétiens. Il n'y a point de sectes que les musulmans haïssent autant que la chrétienne. Cependant les lettrés que les derniers Abbassides appelèrent à leur cour étaient tous chrétiens. Le peuple n'y prit pas garde. – C'est qu'il était heureux sous leur gouvernement. Je dirais volontiers à un prince… – Est-ce qu'on dit quelque chose aux princes? Mais voyons, père Hoop, ce que vous leur diriez. – Soyez bons; soyez justes; soyez victorieux; soyez honorés de vos sujets et redoutés de vos voisins. – Rien que cela? – J'ajouterais: Ayez une armée nombreuse à vos ordres, et vous établirez la tolérance universelle; vous renverserez ces asiles de l'ignorance, de la superstition et de l'inutilité. – Voulez-vous vous taire! vous ne savez donc pas que je veux fonder un couvent au Grandval? – Beau projet!.. Vous réduirez à la simple condition de citoyens ces hommes de droit divin qui opposent sans cesse leurs chimériques prérogatives à votre autorité; vous reprendrez ce qu'ils ont extorqué de l'imbécillité de vos prédécesseurs; vous restituerez à vos malheureux sujets la richesse dont ces dangereux fainéants regorgent; vous doublerez vos revenus, sans multiplier les impôts; vous réduirez leur chef orgueilleux à sa ligne et à son filet; vous empêcherez des sommes immenses d'aller se perdre dans un gouffre étranger d'où elles ne reviennent plus; vous aurez l'abondance et la paix; et vous régnerez, et vous aurez exécuté de grandes choses, sans exciter un murmure, sans verser une goutte de sang. – Pardi c'est un bel instrument que la langue; comme il enfile cela! – Mais il faudrait, avant tout, qu'un souverain fut bien persuadé que l'amour de ses peuples est le seul véritable appui de sa puissance. Si, dans la crainte que les murs de son palais ne tombent en dehors, il leur cherche des étais, il y en a certains qui tôt ou tard les renverseront en dedans. Un souverain prudent isolera sa demeure de celle des dieux. Si ces deux édifices sont trop voisins, le trône sera gêné par l'autel, l'autel par le trône; et il arrivera quelque jour que, portés l'un contre l'autre avec violence, ils s'ébranleront tous les deux. – Il ne serait pas difficile à un prince politique de soulever le haut clergé contre la cour de Rome, ensuite le bas clergé contre le haut, puis d'avilir le corps entier. – Les voilà-t-il pas qui rêvent comment on pourrait traîner la sainte Église de Dieu dans la boue! Voulez-vous vous taire, vilains athées que vous êtes! – Mais à propos, le petit Croque-Dieu de Sussy ne vient-il pas souper? – Pardi, mon gendre, s'il vient, ménagez un peu ses oreilles; comment voulez-vous qu'il dise la messe, quand il a ri de vos ordures? – Qu'il ne la dise pas. – Il ne lui est pas aussi facile de se passer de la dire qu'à vous de l'entendre. – Je ne doute point que cela n'arrive un jour. – Pardi, je le voudrais bien; c'est un petit homme; il rit de si bon cœur. – Il ne s'agit que de persuader aux évêques de se passer du pape, et aux curés de partager avec les évêques. – Si vous me renvoyez là, il a la mine d'attendre longtemps… Mademoiselle Anselme, écoutez tout contre: si vous ne voulez pas que je vous voie avec le vilain cul de mon rêve, montrez-nous celui que vous portez.

      – Les musulmans sont divisés en une multitude incroyable de sectes. On en compte jusqu'à soixante-treize. Ils ont des jansénistes, des molinistes, des pyrrhoniens, des sceptiques, des déistes, des spinosistes, des athées. – Les voilà bien lotis!.. C'est comme parmi nous. La belle couvée! – On les vit éclore du mélange de la religion avec la philosophie. – Cette philosophie gâte tout. – Lorsqu'ils quittèrent le glaive tranchant dont ils prouvaient la divinité de l'Alcoran, et qu'ils se mirent à raisonner. – C'est encore une mauvaise chose que la raison: aussi j'en use le moins que je peux… Il y paraît quelquefois. – Aux autres il n'y paraît pas tant; mais c'est tout un.

      – Ils ont des espèces de manichéens et d'optimistes. Un des premiers disait un jour à son antagoniste: Un père eut trois enfants. – Mesdames, voici un conte; il faut l'entendre. – L'un de ces enfants vécut dans la crainte de Dieu. – Et fit bien. Il n'y en a guère aujourd'hui de ceux-là. On ne sait plus ce que le monde devient; les enfants sont aussi méchants que les vieilles gens. – Le second vécut dans le crime, et le troisième mourut tout jeune. Quel sera leur sort dans l'autre vie? L'optimiste répondit que le premier serait récompensé dans le ciel, le second puni dans les enfers, et que le troisième n'aurait ni châtiment ni récompense. Mais, reprit le manichéen, si ce dernier disait à Dieu: Seigneur, il n'a dépendu que de toi que je vécusse plus longtemps, et que je fusse assis dans le ciel à côté de mon frère; cela eût été mieux pour moi. Que lui répondrait le Seigneur? Il lui répondrait: J'ai vu que si je t'accordais une plus longue vie, tu tomberais dans le crime, et qu'au jour de mes vengeances, tu mériterais le supplice du feu. Mais, ajouta le manichéen, n'entendez-vous pas le second qui réplique au Seigneur: Eh! que ne m'ôtais-tu la vie dans mon enfance? Pourquoi m'accorder les jours malheureux que tu as refusés à mon frère? Si je ne me réjouissais pas dans le ciel avec mon frère aîné, du moins je sommeillerais en paix auprès de mon frère cadet; cela eût été aussi bien pour moi que pour lui. Comment le Seigneur s'en tira-t-il? – Ma foi, je n'en sais rien; il y a de quoi le foire affoler. Mais nous saurons cela quand nous y serons; il faut y aller tôt ou tard… Il lui dira: J'ai prolongé ta vie afin que tu méritasses la félicité éternelle, et tu me reproches une faveur que je t'ai faite… Si c'était une faveur, dira le troisième que ne me la faisais-tu donc aussi? – Voilà trois enfants bien incommodes; ils ont dû donner bien du chagrin à leurs parents. Mais il faut prendre la charge avec les bénéfices. Allons souper.

      – Il y en a qui nient tout rapport du Créateur à la créature. Selon eux, Dieu est juste parce qu'il est tout-puissant. Ses attributs n'ont rien de commun avec les nôtres; et nous ne savons pas par quels principes nous serons jugés à son tribunal. – Maman, tant mieux pour votre amie Mme de ***. – N'en partons pas. Laissons notre prochain pour ce qu'il est. La fille est noire comme une taupe; mais mon fils dit qu'elle a les pieds blancs. Blancs ou noirs, qu'est-ce que cela me fait? Pour la mère, elle eût été mieux avisée de garder ses yeux qu'elle avait beaux et bons, et de laisser assommer son mari; mais ce qui est fait est fait. – Ils disent: Qu'est-ce qu'un être passager d'un instant, d'un point, devant un être éternel, infini? Que deviendraient les autres hommes pour un de leurs semblables à qui Dieu aurait accordé seulement une durée éternelle? Croit-on qu'il eût le moindre scrupule de s'immoler tout ce qui lui résisterait? Ne dirait-il pas à ses victimes: Qu'êtes-vous en comparaison de moi? Dans un moment il ne sera non plus question de vous que si vous n'aviez point été, vous ne jouirez ni ne souffrirez plus; mais il s'agit d'une éternité pour moi. Je me dis à moi-même et à vous, selon ce que je suis et ce que vous êtes, périssez donc sans murmurer; je suis juste. – Il est incroyable tout ce qui leur croît dans la tête. En vérité, il y a de quoi déranger la mienne. – Cependant quelle distance plus grande encore de Dieu à un homme, que d'un homme, quel qu'on le suppose, à un autre! Qu'il soit immortel, cet homme, je le veux; combien ne lui restera-t-il pas encore d'infirmités qui le rapprocheront de la condition commune? Toute notion de justice s'anéantit entre un homme et son semblable par le privilège d'un

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