Lettres à Mademoiselle de Volland. Dénis Diderot

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Lettres à Mademoiselle de Volland - Dénis Diderot

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style="font-size:15px;">      Mais voilà notre nouvelle arrivée qui passe en chantant par mon corridor. Il me semble qu'elle a de la voix. Adieu, mon amie! Soyez toujours bien sage. Pour moi, je suis les conseils que je donne. Je vous l'ai dit souvent, et, plus je vais, mieux je sens que je vous l'ai bien dit: il n'y a et il n'y aura jamais qu'une femme au monde pour moi. Et cette femme, qui est-elle? C'est ma Sophie; c'est elle qui pense à moi, mais qui ne m'écrit point. Car voilà mon messager revenu de Charenton sans lettres. J'ai de l'humeur; je vais me coucher de peur de gronder mal à propos et de mériter toutes les épithètes que je donnerais à mon valet; car, après tout, ce n'est pas sa faute, si l'on n'écrit point à Paris, et si cela me fâche.

      XXVIII

Au Grandval, le 3 novembre 1759. Les IL FAUT56

      Il faut penser; sans quoi l'homme devient,

      Malgré son âme, un franc cheval de somme.

      Il faut aimer: c'est ce qui nous soutient,

      Car sans aimer, il est triste d'être homme.

      Il faut avoir un ami, qu'en tout temps,

      Pour son bonheur on écoute, on consulte,

      Qui sache rendre à notre âme en tumulte

      Les maux moins vifs et les plaisirs plus grands.

      Il faut le soir un souper délectable,

      Où l'on soit libre, où l'on puisse en repos

      Goûter gaîment les bons mets, les bons mots,

      Et sans être ivre il faut sortir de table.

      Il faut la nuit dire tout ce qu'on sent

      Au tendre objet que notre cœur adore;

      Se réveiller pour en redire autant,

      Se rendormir pour y songer encore.

      Mes chers amis, convenez que voilà

      Ce qui serait une assez douce vie.

      Ah! dès le jour que j'aimai ma Sylvie,

      Sans plus chercher, j'ai trouvé tout cela.

      À la place de ma Sylvie, mettez ma Sophie, si vous voulez. Ces vers m'ont paru jolis, et je vous les envoie pour vous, pour Mme Le Gendre et pour madame votre mère. J'ai vu la réponse que vous avez faite à un certain billet. Elle a ajouté ce qui manquait à ma peine! Il serait bien plus simple de me dire: Le sentiment que j'avais est usé; j'ai pesé la peine et le plaisir … et le plaisir m'a paru léger; comme je n'aimais plus, j'ai conçu que ma sœur avait raison. Je vous estimerai toujours. Et j'entendrais tout cela bien mieux que: je ne veux point le gêner, je ne veux point l'être, je n'empêche point qu'il saisisse l'amusement qui se présente, et j'espère qu'il approuvera que je le cherche. On a tant d'indulgence quand on n'a plus d'amour! Avec l'habitude que vous avez de regarder au fond de votre âme, voilà ce que vous y devez voir. Avec l'habitude de dire ce que vous voyez, c'est ainsi que vous auriez dû me parler. Si vous saviez le mal que vous m'avez fait!.. Mais quand vous le sauriez, qu'est-ce que cela vous ferait? Je ne rappellerais point en vous des sentiments qui n'y sont plus, et j'éloignerais peut-être une vérité qu'il faudra pourtant que je sache. Parlez-moi vrai, n'est-ce pas que vous n'aimez plus?

      XXIX

À Paris, le 15 janvier 1760.

      Il est neuf heures sonnées. Je perds l'espérance de vous voir. J'ai lu toutes les lettres de notre sœur, qui m'ont fait grand plaisir. Voilà un griffonnage qu'elles m'ont suggéré. Vous le lui enverrez, si vous croyez qu'il en vaille la peine. Je m'en retournerai donc sans vous avoir embrassée; je remporterai l'envie de vous faire une petite caresse. Il y a cependant longtemps que je l'ai, cette envie, et qu'elle me peine. Adieu, portez-vous bien, aimez-moi comme je vous aime. Je ne sais quand je vous verrai. Demain, j'ai un rendez-vous d'affaires à six heures du soir. Dimanche je vais dîner à l'École militaire où je devais dîner jeudi; mais nous en fûmes rappelés dans la matinée par l'accouchement de Mme d'Holbach, qui nous a donné une petite créature un mois plus tôt qu'elle n'était attendue. Lundi je suis invité, je ne sais où, à une représentation d'une tragédie de M. de Ximènes57. Grimm exige que j'aille avec lui. Je ferai de mon mieux pour vous apercevoir dans cet intervalle; mais de quoi me plains-je? Depuis un mois fais-je autre chose que de vous apercevoir? Cela me parai dur. Je ne me fais point, je ne me ferai jamais à l'austérité de ce régime. Pour le coup, votre mère a trouvé le secret de nous désespérer. Je m'en console un peu en imaginant qu'elle ne s'en doute pas. Bonsoir, bonsoir, voilà dix heures à votre pendule, c'est-à-dire neuf heures et demie au moins par toute terre.

      XXX

À Paris, le 1er juillet 1760.

      Je ne sais pas précisément combien il y a de temps que je vous ai vue; mais ce temps m'a bien duré! Je ne sais pas précisément ce que j'ai fait; si j'avais fait quelque chose qui m'eût intéressé, je m'en souviendrais. Je venais passer aujourd'hui la journée avec vous. Il était environ cinq heures; vous veniez de sortir; vous étiez toutes allées à Spartacus58. Quand vous ne m'auriez pas attendu, cette pièce ne vous aura pas fait grand plaisir; on n'y est ni transporté d'admiration, ni ému d'une commisération forte, ni touché d'horreur. On ne sait pour qui s'intéresser. Ce n'est ni pour le consul, ni pour sa fille, ni pour Noricus, ni pour les Romains, ni pour Spartacus. Il ne court aucun péril. Il y a des événements, mais ils ne sont pas enchaînés. Par exemple, au premier acte, Noricus est jaloux de Spartacus; les Romains forcent la mère de Spartacus à se tuer; on prend la fille de Crassus. Le poëte pouvait tout aussi bien commencer par où il a fini, et finir par où il a commencé. En se défaisant, tout en commençant, de la mère de Spartacus, et en renvoyant la fille de Crassus, il s'est privé des seules sources de pathétique qu'il pouvait avoir. Lorsqu'il a rendu Émilie à son père, à la fin du second acte ou du troisième, la pièce est finie. Faire revenir le consul comme père d'Émilie et comme député du sénat, c'est une espèce de pléonasme déplaisant. La fille du consul sortir de la maison de son père et entrer dans un camp. Il eût fallu bien du génie pour pallier l'indécence de cette action. N'est-il pas aussi bien étrange que Crassus trouve sa fille à l'entrée de la tente de Spartacus sans en être surpris? Et cette fille qu'on vient de prendre à la fin du premier acte et qui n'en est non plus émue au commencement du second que si elle était en sûreté dans Rome! Je trouve qu'il n'y a point de jugement dans la conduite, rien de sublime dans les détails; le seul moment où l'on soit affecté, c'est celui où Spartacus demande pardon à Noricus de l'injure qu'il lui a faite. Mais à quoi cela tient-il? Qu'est-ce que cela fait à l'action? Il y a du mérite à avoir imaginé la déclaration d'Émilie à Spartacus. Le dénoûment a déplu, parce que c'est, je crois, une imitation de la mort d'Aria et de Pœtus. Je ne blâme pas qu'on cherche son dénoûment dans l'histoire. Alors il est impossible qu'il soit faux: mais il ne faut pas que le spectateur s'aperçoive de cet emprunt. Il se rappelle le trait historique, et il n'est plus étonné. Il y a une scène entre Spartacus et Crassus, député des Romains, dont le commencement m'a paru dialogué: c'est l'endroit où Spartacus répond à l'offre qu'on lui fait d'une place au sénat:

      Au temps des Scipions j'aurais pu l'accepter.

      Vous venez me proposer des conditions: c'est, ce me semble, prendre le rôle du vainqueur. Que parlez-vous de sénat? C'est à moi de décider s'il doit encore y avoir un sénat ou non. Le poëte a beaucoup travaillé; mais il n'avait pas le génie, sans lequel le travail coûte beaucoup et ne produit rien. Je vous dirais encore là-dessus beaucoup d'autres choses, mais vous les aurez senties comme moi. Pourquoi Crassus ne voit-il pas sa fille avant Spartacus? Croyez-vous que cette scène n'eût pas été très-intéressante? Le poëte a tout sacrifié au rôle de Spartacus; et, en cela, il a bien fait; mais il ne s'est

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<p>56</p>

Ces vers charmants sont de Voltaire. Diderot les citait, de mémoiresans doute, ce qui explique les variantes qu'ils présentent ici. Composés à Cirey, dans l'automne de 1734, lors d'un séjour de Mme Du Châtelet, ils figurent sous le titre de Impromptu fait à un souper dans une cour d'Allemagne, au t. V des Nouveaux mélanges publiés par les frères Cramer, et sous celui de l'Usage de la vie dans une édition des Poésies. Amsterdam, 1764, in-12. Un bibliophile qui signé E. Marnicouche a réimprimé ces stances (moins les deux derniers vers), intitulées cette fois Le bonheur de la vie, sur un texte collationné par M. Clogenson. (Rouen, Cagniard J., 1868, 40 ex. sur papier rose.)

<p>57</p>

Sans doute encore Don Carlos, joué sur un théâtre particulier.

<p>58</p>

Le Spartacus de Saurin avait été donné pour la première fois le 20 février 1760, et repris avec des changements le 21 avril suivant.