Histoire des Musulmans d'Espagne, t. 3. Dozy Reinhart Pieter Anne

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Histoire des Musulmans d'Espagne, t. 3 - Dozy Reinhart Pieter Anne

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son but. Tout en profitant de la libéralité du roi, les Castillans restèrent attachés de cœur et d’âme à leur ancien comte. Celui que le roi leur avait donné, n’était à leurs yeux qu’un intrus. Dans les actes de vente, de donation etc., où l’on notait, après la date, le nom du roi et celui du comte, ils nommaient quelquefois le comte que le roi leur avait imposé; mais ils le faisaient seulement quand ils ne pouvaient agir autrement, c’est-à-dire quand l’autorité avait l’œil sur eux; ordinairement ils nommaient Ferdinand Gonzalez96. Ils montrèrent encore d’une autre façon l’amour qu’ils lui avaient voué. Ayant fait une statue à son image, ils rendirent l’hommage à ce bloc de pierre97. Puis, quand ils commencèrent à s’impatienter de la longue captivité98 de Ferdinand, ils prirent une résolution hardie; mais ici il faut laisser parler une belle et ancienne romance99:

      Tous ont juré d’une seule voix de ne point retourner en Castille sans le comte, leur seigneur.

      Son image de pierre, ils l’ont placée sur un char, bien résolus à ne point retourner à moins qu’il ne retourne avec eux.

      Ils ont juré en élevant la main, que quiconque quitterait les rangs serait tenu pour traître.

      L’hommage rendu, ils placèrent la bannière du comte à côté de la statue, et tous, depuis les jeunes gens jusqu’aux vieillards, ont baisé la main à l’image.

      Ils ont laissé déserts Burgos et les endroits d’alentour; il n’y reste que des femmes et de petits enfants.

      Intimidé par l’approche des Castillans, le roi céda enfin. Il rendit la liberté à Ferdinand, mais il ne le fit qu’après lui avoir imposé des conditions bien humiliantes et bien dures: Ferdinand avait été forcé de jurer fidélité et obéissance; il avait dû renoncer à tous ses biens et s’engager à donner sa fille Urraque en mariage à Ordoño, le fils aîné du roi100. A ce prix il fut libre; mais il était naturel que dorénavant il ne voulût plus prêter l’appui de son bras à un roi qui lui avait fait signer un tel traité. Les Castillans, qui n’avaient pas réussi à faire réintégrer dans la possession du comté celui qu’ils continuaient à appeler leur seigneur, n’étaient pas mieux disposés. Ramire II avait donc perdu l’appui de son plus vaillant capitaine et la coopération de ses plus braves sujets. De là son impuissance. Il laissa les musulmans faire une razzia en 944, et deux autres en 947101; il ne les empêcha pas de rebâtir et de fortifier la ville de Medinaceli, qui devint dès lors le boulevard de l’empire arabe contre la Castille102. Le vainqueur de Simancas et d’Alhandega se tenait tout au plus sur la défensive. Ce ne fut que dans l’année 950 qu’il envahit de nouveau le territoire musulman, et alors il remporta une victoire près de Talavera103; mais ce fut son dernier triomphe: dans le mois de janvier de l’année suivante104 il avait déjà cessé de vivre.

      Après sa mort, une guerre de succession éclata. Marié deux fois, Ramire avait eu de sa première femme, une Galicienne, un fils nommé Ordoño, et de sa seconde, Urraque, la sœur de Garcia de Navarre, un autre fils nommé Sancho105. En sa qualité d’aîné, Ordoño prétendait naturellement au trône; mais Sancho, qui comptait avec raison sur l’appui des Navarrais, y prétendait également, et il tâcha d’attirer dans son parti Ferdinand Gonzalez et les Castillans. Dans les circonstances données, le choix entre les deux compétiteurs n’était pas difficile pour Ferdinand. Ordoño, il est vrai, était son gendre; mais comment l’était-il devenu? Par une odieuse contrainte. Sa sympathie pour Ordoño ne pouvait donc pas être bien vive. Tout, au contraire, l’attirait vers Sancho, les liens du sang aussi bien que son intérêt. Sancho était son neveu106; il avait pour lui Tota de Navarre, la belle-mère de Ferdinand, et si ce dernier eût pu hésiter encore, les offres brillantes de Sancho auraient vaincu son indécision, car ce prince promettait de lui rendre ses biens confisqués et le comté de Castille. Ferdinand se déclara donc pour lui, appela ses hommes aux armes, et, accompagné de Sancho et d’une armée navarraise, il marcha contre la ville de Léon, afin d’arracher la couronne à Ordoño III107.

      «L’Eternel, dit un chroniqueur arabe108, avait fait naître cette guerre civile afin de donner aux musulmans l’occasion de remporter des victoires.» En effet, pendant que les chrétiens s’entr’égorgeaient sous les murs de Léon, les généraux d’Abdérame triomphaient sur tous les points de la frontière. Chaque messager qui arrivait du Nord apportait à Cordoue la nouvelle d’une heureuse razzia ou d’une belle victoire. Le calife pouvait faire montrer au peuple une foule de cloches, de croix, de têtes coupées; une fois, dans l’année 955, ces dernières étaient au nombre de cinq mille, et l’on disait qu’une fois autant de Castillans – car c’étaient eux qui avaient été battus – avaient péri dans la bataille qui s’était livrée109. Il est vrai que Ferdinand Gonzalez remporta une victoire près de San Estevan de Gormaz110; il est vrai aussi qu’Ordoño III, quand il eut enfin repoussé son frère et qu’il eut forcé les Galiciens, qui s’étaient révoltés aussi, à le reconnaître, usa de représailles en pillant Lisbonne111; mais c’était une faible compensation pour le mal que les musulmans avaient fait aux chrétiens, et Ordoño, qui craignait de nouvelles révoltes, désirait vivement la paix. L’année 955, il envoya un ambassadeur à Cordoue pour la demander112. Abdérame, qui la désirait aussi parce qu’il avait l’intention de tourner ses armes d’un autre côté, prêta l’oreille aux ouvertures d’Ordoño, et dans l’année suivante, il envoya à Léon, en qualité d’ambassadeurs, Mohammed ibn-Hosain et le savant juif Hasdaï ibn-Chabrout, le directeur général des douanes. Les négociations ne furent pas longues. Ordoño ayant déclaré qu’il était prêt à faire des concessions (il promettait probablement de livrer ou du moins de raser certaines forteresses), on arrêta les bases d’un traité, après quoi les ambassadeurs retournèrent à Cordoue pour le faire ratifier par le calife. Quoique le traité fût honorable et avantageux, Abdérame crut qu’il ne l’était pas assez; mais comme il ne pouvait plus guère compter sur le lendemain (il était presque septuagénaire), il pensa que l’affaire regardait plutôt son fils que lui-même. Il le consulta donc et s’en remit à sa décision. Hacam, qui était pacifique, déclara qu’à son avis le traité devait être ratifié, et alors le calife le signa113. Peu de temps après, il en conclut un autre avec Ferdinand Gonzalez114, de sorte que les musulmans n’avaient plus en Espagne d’autres ennemis que les Navarrais.

      Si Abdérame avait été cette fois plus traitable qu’à l’ordinaire, c’est qu’il voulait tourner ses armes contre les Fatimides. La puissance de ces princes croissait de jour en jour. Brûlant du désir de se venger des souverains d’Europe, qui s’étaient déjà réjouis de leur perte, tant ils la croyaient certaine, ils avaient fait d’abord éprouver le poids de leur vengeance à l’empereur de Constantinople en faisant ravager la Calabre115. Alors ç’avait été le tour d’Abdérame. En 955, lorsque, selon toute apparence, Moïzz, le quatrième calife fatimide, méditait déjà une descente en Espagne, il arriva qu’un très-grand navire, qu’Abdérame avait envoyé avec des marchandises à Alexandrie, rencontra en mer un vaisseau qui venait de Sicile et sur lequel se

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<p>96</p>

Voyez les chartes publiées par Berganza.

<p>97</p>

Cronica rimada, p. 2 (dans les Wiener Jahrbücher, Anzeige-Blatt du tome CXVI).

<p>98</p>

Cf. Sampiro, c. 23.

<p>99</p>

«Juramento llevan hecho.»

<p>100</p>

Sampiro, c. 23.

<p>101</p>

Ibn-Adhârî, t. II, p. 226, 227, 230.

<p>102</p>

Ibn-Adhârî, t. II, p. 229, 230.

<p>103</p>

Sampiro, c. 24.

<p>104</p>

Voyez mes Recherches, t. I, p. 186-189.

<p>105</p>

Manuscrit de Meyá.

<p>106</p>

La mère de Sancho et l’épouse de Ferdinand étaient sœurs.

<p>107</p>

Voyez Sampiro, c. 25.

<p>108</p>

Ibn-Adhârî, t. II, p. 233.

<p>109</p>

Ibn-Adhârî, t. II, p. 233, 234, 235, 236.

<p>110</p>

Chronicon de Cardeña, p. 378.

<p>111</p>

Sampiro, c. 25.

<p>112</p>

Ibn-Khaldoun, fol. 15 v.

<p>113</p>

Ibn-Adhârî, t. II, p. 237 (au lieu de Chabrout, comme porte le manuscrit, il faut lire: Hasdaï ibn-Chabrout); Ibn-Khaldoun, fol. 15 v.

<p>114</p>

Ibn-Khaldoun, fol. 15 v.

<p>115</p>

Voyez Amari, Storia dei musulmani di Sicilia, t. II, p. 242-248.