Eugénie Grandet. Honore de Balzac

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Eugénie Grandet - Honore de Balzac

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style="font-size:15px;">      ŤNe l'arrache pas tout ŕ coup ŕ sa vie oisive, tu le tuerais. Je lui demande ŕ genoux de renoncer aux créances qu'en qualité d'héritier de sa mčre il pourrait exercer contre moi. Mais c'est une pričre superflue; il a de l'honneur, et sentira bien qu'il ne doit pas se joindre ŕ mes créanciers. Fais-le renoncer ŕ ma succession en temps utile. Révčle-lui les dures conditions de la vie que je lui fais; et s'il me conserve sa tendresse, dis-lui bien en mon nom que tout n'est pas perdu pour lui. Oui, le travail, qui nous a sauvés tous deux, peut lui rendre la fortune que je lui emporte; et, s'il veut écouter la voix de son pčre, qui pour lui voudrait sortir un moment du tombeau, qu'il parte, qu'il aille aux Indes! Mon frčre, Charles est un jeune homme probe et courageux: tu lui feras une pacotille, il mourrait plutôt que de ne pas te rendre les premiers fonds que tu lui pręteras; car tu lui en pręteras, Grandet! sinon tu te créerais des remords. Ah! si mon enfant ne trouvait ni secours ni tendresse en toi, je demanderais éternellement vengeance ŕ Dieu de ta dureté. Si j'avais pu sauver quelques valeurs, j'avais bien le droit de lui remettre une somme sur le bien de sa mčre; mais les payements de ma fin du mois avaient absorbé toutes mes ressources. Je n'aurais pas voulu mourir dans le doute sur le sort de mon enfant; j'aurais voulu sentir de saintes promesses dans la chaleur de ta main, qui m'eűt réchauffé; mais le temps me manque. Pendant que Charles voyage, je suis obligé de dresser mon bilan. Je tâche de prouver par la bonne foi qui préside ŕ mes affaires qu'il n'y a dans mes désastres ni faute ni improbité. N'est-ce pas m'occuper de Charles? Adieu, mon frčre. Que toutes les bénédictions de Dieu te soient acquises pour la généreuse tutelle que je te confie, et que tu acceptes, je n'en doute pas. Il y aura sans cesse une voix qui priera pour toi dans le monde oů nous devons aller tous un jour, et oů je suis déjŕ.

      Victor-Ange-Guillaume Grandet. ť

      – Vous causez donc? dit le pčre Grandet en pliant avec exactitude la lettre dans les męmes plis et la mettant dans la poche de son gilet. Il regarda son neveu d'un air humble et craintif sous lequel il cacha ses émotions et ses calculs.

      – Vous ętes-vous réchauffé?

      – Trčs bien, mon cher oncle.

      – Hé! bien, oů sont donc nos femmes? dit l'oncle oubliant déjŕ que son neveu couchait chez lui. En ce moment Eugénie et ma dame Grandet rentrčrent.

      – Tout est-il arrangé lŕ-haut? leur demanda le bonhomme en retrouvant son calme.

      – Oui, mon pčre.

      – Hé! bien, mon neveu, si vous ętes fatigué, Nanon va vous conduire ŕ votre chambre. Dame, ce ne sera pas un appartement de mirliflor! mais vous excuserez de pauvres vignerons qui n'ont jamais le sou. Les impôts nous avalent tout.

      – Nous ne voulons pas ętre indiscrets, Grandet, dit le banquier. Vous pouvez avoir ŕ jaser avec votre neveu, nous vous souhaitons le bonsoir. A demain.

      A ces mots, l'assemblée se leva, et chacun fit la révérence suivant son caractčre. Le vieux notaire alla chercher sous la porte sa lanterne, et vint l'allumer en offrant aux des Grassins de les reconduire. Madame des Grassins n'avait pas prévu l'incident qui devait faire finir prématurément la soirée, et son domestique n'était pas arrivé.

      – Voulez-vous me faire l'honneur d'accepter mon bras, madame? dit l'abbé Cruchot ŕ madame des Grassins.

      – Merci, monsieur l'abbé. J'ai mon fils, répondit-elle sčchement.

      – Les dames ne sauraient se compromettre avec moi, dit l'abbé.

      – Donne donc le bras ŕ monsieur Cruchot, lui dit son mari.

      L'abbé emmena la jolie dame assez lestement pour se trouver ŕ quelques pas en avant de la caravane.

      – Il est trčs bien, ce jeune homme, madame, lui dit-il en lui serrant le bras. Adieu, paniers, vendanges sont faites! Il vous faut dire adieu ŕ mademoiselle Grandet, Eugénie sera pour le Parisien. A moins que ce cousin ne soit amouraché d'une Parisienne, votre fils Adolphe va rencontrer en lui le rival le plus …

      – Laissez donc, monsieur l'abbé. Ce jeune homme ne tardera pas ŕ s'apercevoir qu'Eugénie est une niaise, une fille sans fraîcheur. L'avez-vous examinée? elle était, ce soir, jaune comme un coing.

      – Vous l'avez peut-ętre déjŕ fait remarquer au cousin.

      – Et je ne m'en suis pas gęnée …

      – Mettez-vous toujours auprčs d'Eugénie, madame, et vous n'aurez pas grand'chose ŕ dire ŕ ce jeune homme contre sa cousine, il fera de lui-męme une comparaison qui …

      – D'abord, il m'a promis de venir dîner aprčs-demain chez moi.

      – Ah! si vous vouliez, madame, dit l'abbé.

      – Et que voulez-vous que je veuille, monsieur l'abbé? Entendez-vous ainsi me donner de mauvais conseils? Je ne suis pas arrivée ŕ l'âge de trente-neuf ans, avec une réputation sans tache, Dieu merci, pour la compromettre, męme quand il s'agirait de l'empire du Grand-Mogol. Nous sommes ŕ un âge, l'un et l'autre, auquel on sait ce que parler veut dire. Pour un ecclésiastique, vous avez en vérité des idées bien incongrues. Fi! cela est digne de Faublas.

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