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étaient si bien en règle, que les gens envoyés pour se saisir de lui craignirent de s'être trompés.

      Le chevalier de Beauvoir, – je me rappelle maintenant son nom, – avait bien médité son rôle. Il cita sa famille d'emprunt, son faux domicile, et soutint si hardiment son interrogatoire, qu'il aurait été mis en liberté sans l'espèce de croyance aveugle que les espions eurent en leurs instructions; elles étaient trop précises; dans le doute, ils aimèrent mieux commettre un acte arbitraire que de laisser échapper un homme à la capture duquel le premier consul paraissait attacher une grande importance. Dans ces temps de liberté, les agens du pouvoir national se souciaient fort peu de ce que nous nommons aujourd'hui la légalité. Le chevalier fut donc provisoirement emprisonné, jusqu'à ce que les autorités supérieures eussent pris une décision à son égard. Cette sentence bureaucratique ne se fit pas attendre, et la police ordonna de garder très-étroitement le prisonnier, malgré toutes ses dénégations.

      Alors le chevalier de Beauvoir fut transféré, suivant de nouveaux ordres, au château de l'Escarpe. Ce nom indique assez la situation de la forteresse: assise sur des rochers d'une grande élévation, elle a pour fossés des précipices; et l'on n'y peut arriver que par une pente rapide et dangereuse, aboutissant, comme dans tous les anciens châteaux, à la porte principale, qui est défendue par un fossé sur lequel s'abaisse un pont-levis.

      Le commandant de cette prison, charmé d'avoir un homme de distinction, dont les manières étaient fort agréables, qui s'exprimait à merveille, et paraissait instruit, qualités assez rares à cette époque, accepta le chevalier comme un bienfait de la Providence. Il lui proposa d'être à l'Escarpe sur parole, et de faire cause commune avec lui contre l'ennui. Beauvoir ne demanda pas mieux. C'était un loyal gentilhomme; mais c'était aussi, par malheur, un fort joli garçon. Il avait une figure attrayante, l'air résolu, la parole engageante, une force prodigieuse. C'eût été un excellent chef de parti. Il était surtout leste et bien découplé. Le commandant lui assigna le plus commode des appartemens du château, l'admit à sa table; et, d'abord, n'eut qu'à se louer du Vendéen.

      Ce commandant était un officier corse; il était marié, et très-jaloux, parce que sa femme, assez jolie, lui semblait peut-être difficile à garder. Il paraît que Beauvoir plut à la dame, et qu'il la trouva fort à son goût. Ils s'aimèrent sans doute. Commirent-ils quelque imprudence? Le sentiment qu'ils eurent l'un pour l'autre dépassa-t-il les bornes de cette galanterie superficielle qui est presque un de nos devoirs envers les femmes? Beauvoir ne s'est jamais franchement expliqué sur ce point assez obscur de son histoire; mais toujours est-il constant que le commandant se crut en droit d'exercer des rigueurs extraordinaires sur son prisonnier.

      Beauvoir, mis au donjon, fut nourri de pain noir, abreuvé d'eau claire, et enchaîné suivant le perpétuel programme des divertissemens prodigués aux captifs. Sa cellule, située sous la plate-forme du donjon, était voûtée en pierre dure; les murailles avaient une épaisseur désespérante; la tour donnait vraisemblablement sur un précipice; il n'y avait pas la moindre chance de salut.

      Lorsque le pauvre Beauvoir eut reconnu l'impossibilité d'une évasion, il tomba dans ces rêveries qui sont tout ensemble le désespoir et la consolation des prisonniers. Il s'occupa de ces riens qui deviennent de grandes affaires. Il compta les heures, les jours; il fit l'apprentissage du triste état de prisonnier. Il reçut le baptême des douleurs. Il se replia sur lui-même, et sut ce que c'étaient que l'air et le soleil; puis, après une quinzaine de jours, il eut cette maladie terrible, cette fièvre de liberté qui pousse les prisonniers à ces entreprises sublimes dont nous ne pouvons expliquer les prodigieux résultats que par des forces inconnues, par des concentrations de volonté qui font le désespoir de notre analyse physiologique, mystères dont les savans craignent presque de sonder les profondeurs. Mais il se rongeait le coeur; car il n'y avait que la mort qui pût le rendre libre.

      Un matin, le porte-clefs chargé d'apporter la nourriture de Beauvoir, au lieu de s'en aller après lui avoir donné sa maigre pitance, resta devant lui les bras croisés, et le regarda singulièrement. Leur conversation se réduisait de coutume à peu de chose; et jamais son gardien ne l'entamait. Aussi le chevalier fut-il très-étonné lorsque cet homme lui dit:

      – Monsieur, vous avez sans doute votre idée en vous faisant toujours appeler M. Lebrun ou citoyen Lebrun. Cela ne me regarde pas; mon affaire n'est point de vérifier votre nom: que vous vous nommiez Pierre ou Paul, cela m'est bien égal; mais je sais, dit-il en clignant de l'oeil, que vous êtes M. Charles-Félix-Théodore, chevalier de Beauvoir et cousin de Mme la duchesse de Maillé…

      – Hein?.. ajouta-t-il d'un air de triomphe, après un moment de silence en regardant son prisonnier.

      Beauvoir, se voyant incarcéré fort et ferme, ne crut pas que sa position pût s'empirer par l'aveu de son véritable nom; et alors il répondit:

      – Eh bien! quand je serais le chevalier de Beauvoir, qu'y gagnerais-tu?..

      – Oh! tout est gagné!.. répliqua le porte-clefs à voix basse. Écoutez-moi. J'ai reçu de l'argent pour faciliter votre évasion; mais un instant!.. Comme on me fusillerait tout bellement si j'étais soupçonné de la moindre chose, j'ai dit que je ne tremperais dans cette affaire-là que juste l'histoire de gagner mon argent. Tenez, monsieur, voilà une clef…

      Et il sortit de sa poche une petite lime.

      – Avec cela, reprit-il, vous scierez un de vos barreaux. Dam! ce ne sera pas commode.

      Et il montra l'ouverture étroite par laquelle le jour entrait dans le cachot. C'était une espèce de baie pratiquée entre le cordon qui couronnait extérieurement le donjon et ces grossières saillies en pierre destinées à figurer les supports des créneaux.

      – Dam, monsieur, dit le geôlier, il faudra scier le fer assez près pour que vous puissiez passer.

      – Oh! sois tranquille! – je passerai…

      – Et assez haut pour qu'il vous reste de quoi attacher votre corde…

      – Où est-elle?

      – La voici, répondit le guichetier en lui jetant une corde à noeuds. Elle a été fabriquée avec du linge, afin de faire supposer que vous l'avez confectionnée vous-même. Elle est de longueur suffisante. Quand vous serez au dernier noeud, laissez-vous couler tout doucement; le reste est votre affaire. Vous trouverez probablement dans les environs une voiture tout attelée et des amis qui vous attendent… De cela, je n'ai rien voulu savoir. Je n'ai pas besoin de vous dire qu'il y a une sentinelle au dret de la tour… Vous saurez ben choisir une nuit noire, et guetter le moment où le soldat de faction dormira. Vous risquera peut-être d'attraper un coup de fusil; mais…

      – C'est bon! c'est bon!.. je ne pourrirai pas ici… s'écria le chevalier.

      – Ah! ça se pourrait ben tout de même!.. répliqua le geôlier d'un air bête.

      Beauvoir prit cela pour une de ces réflexions niaises que font ces gens-là. L'espoir d'être bientôt libre le rendait si joyeux qu'il ne pouvait guère s'arrêter aux discours de cet homme, espèce de paysan renforcé. Il se mit à l'ouvrage aussitôt, et la journée lui suffit pour scier les barreaux.

      Craignant une visite du commandant, il cacha son travail, en bouchant les fentes avec de la mie de pain roulée dans de la rouille, afin de lui donner la couleur du fer; puis ayant serré sa corde, il épia quelque nuit favorable, avec cette impatience concentrée et cette profonde agitation d'ame qui font vivre si poétiquement les prisonniers.

      Enfin, par une nuit grise, une nuit d'automne, il acheva de scier les barreaux, attacha solidement sa corde, s'accroupit à l'extérieur sur le support de

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