Contes bruns. Honore de Balzac

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Contes bruns - Honore de Balzac

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son regard à l'Italienne:

      – Rosina?.. lui dit-il.

      Puis, sans attendre sa réponse, il alla se coucher dans la petite grange aux fourrages.

      Le sens de l'interpellation du colonel était facile à saisir; aussi la jeune femme laissa-t-elle échapper un geste indescriptible qui peignait tout à la fois, et la contrariété qu'elle devait éprouver à voir sa dépendance affichée, sans aucun respect humain, et l'offense faite à sa dignité de femme, ou à son mari; puis, il y eut aussi dans la crispation rapide des traits, de son visage, dans le rapprochement violent de ses sourcils, une sorte de pressentiment: elle eut peut-être une prévision de sa destinée. Rosina resta tranquillement à table; mais un instant après, et vraisemblablement lorsque le colonel fut couché dans son lit de foin ou de paille, il répéta:

      – Rosina?..

      L'accent de ce second appel fut encore plus brutalement interrogatif que ne l'avait été l'autre. Le grasseyement du colonel et le nombre que la langue italienne permet de donner aux voyelles et aux finales, peignirent tout le despotisme, l'impatience, la volonté de cet homme.

      Rosina pâlit, mais elle se leva, passa derrière nous, et rejoignit le colonel.

      Tous mes camarades gardèrent un profond silence; mais moi, malheureusement, je me mis à rire après les avoir tous regardés, et mon rire se répéta de bouche en bouche.

      – Tu ridi?.. dit le mari.

      – Ma foi, mon camarade, lui répondisse en redevenant sérieux, j'avoue que j'ai eu tort… Je te demande mille fois pardon, et si tu n'es pas content des excuses que je te fais, je suis prêt à te rendre raison…

      – Ce n'est pas toi qui as tort, c'est moi!.. reprit-il froidement.

      Là-dessus, nous nous couchâmes dans la salle; et bientôt nous nous endormîmes tous d'un profond sommeil.

      Le lendemain, chacun, sans éveiller son voisin, sans chercher un compagnon de voyage, se mit en route à sa fantaisie, avec cette espèce d'égoïsme qui a fait de notre déroute un des plus horribles drames de personnalité, de tristesse et d'horreur, qui jamais se soit passé sous le ciel.

      Cependant, à sept ou huit cents pas de notre gîte, nous nous retrouvâmes presque tous, et nous marchâmes ensemble, comme des oies conduites en troupe par le despotisme aveugle d'un enfant: une même nécessité nous poussait.

      Arrivés à un petit monticule d'où l'on pouvait encore apercevoir la ferme où nous avions passé la nuit, nous entendîmes des cris qui ressemblaient au rugissement des lions dans le désert, au mugissement des taureaux; mais non, cette clameur ne pouvait se comparer à rien de connu. Néanmoins nous distinguâmes un faible cri de femme mêlé à cette horrible et sinistre râle. Nous nous retournâmes tous, en proie à je ne sais quel sentiment de frayeur; alors nous ne vîmes plus la maison; mais un vaste bûcher. L'habitation était tout en flammes, et des tourbillons de fumée, enlevés par le vent, nous apportaient et les sons rauques et je ne sais quelle vapeur forte.

      A quelques pas de nous marchait le capitaine; il venait tranquillement se joindre à notre caravane…

      Nous le contemplâmes tous en silence, car nul n'osa l'interroger; mais lui, devinant notre curiosité, tourna sur sa poitrine l'index de la main droite; et, de la gauche, montrant l'incendie:

      – Son'io! dit-il… Ç'est moi!..

      Nous continuâmes à marcher, sans lui faire une seule observation.

      – Toutes vos histoires sont épouvantables!.. dit la maîtresse du logis, et vous me causerez cette nuit des cauchemars affreux. Vous devriez bien dissiper les impressions qu'elles nous laissent en nous racontant quelque histoire gaie, ajouta-t-elle en se tournant vers un homme gros et gras, homme de beaucoup d'esprit et qui devait partir pour l'Italie, où l'appelaient des fonctions diplomatiques.

      – Volontiers, répondit-il.

      – Madame de… reprit-il en souriant, la femme d'un ancien ministre de la marine sous Louis XVI, se trouvait au château de… où j'avais été passer les vacances de l'année 180… Elle était encore belle, malgré trente-huit ans avoués, et en dépit des malheurs qu'elle avait essuyés pendant la révolution. Appartenant à l'une des meilleures maisons de France, elle avait été élevée dans un couvent. Ses manières, pleines de noblesse et d'affabilité, étaient empreintes d'une grâce indéfinissable. Je n'ai connu qu'à elle une certaine manière de marcher qui imprimait autant de respect qu'elle inspirait de désirs. Elle était grande, bien faite et pieuse. Il est facile d'imaginer l'effet qu'elle devait produire sur un petit garçon de treize ans: c'était alors mon âge. Sans avoir précisément peur d'elle, je la regardais avec une inquiétude désireuse et avec de vagues émotions qui ressemblaient aux tressaillemens de la crainte.

      Un soir, par un de ces hasards dont il est difficile de rendre compte, sept ou huit des dames qui habitaient le château se trouvèrent seules, sur les onze heures du soir, devant un de ces feux qui ne sont ni pétillans ni éteints, mais dont la chaleur moite dispose peut-être à une causerie plus intime, en communiquant aux fibres une sorte d'épanouissement qui les béatifie.

      Madame de… jeta un regard d'espion sur les hauts lambris et les vieilles tapisseries de l'immense salon. Ses grands yeux noirs tombèrent sur un coin passablement obscur où j'étais tapi derrière une duchesse aux pieds contournés: ce fut comme un regard de feu; mais elle ne me vit pas. J'étais resté coi en entendant ces dames raconter, sotto voce, des histoires auxquelles je ne comprenais rien; mais les rires de bon aloi qui terminaient chaque narration avaient piqué ma curiosité d'enfant.

      A votre tour, avaient dit en choeur les châtelaines à madame de… allons, contez-nous comment…

      Elle conservait peut-être une vague inquiétude de m'avoir vu jouant auprès d'elle; elle se leva, comme pour faire le tour du meuble énorme derrière lequel j'étais tapi; mais une vieille dame, plus impatiente que les autres, lui prit la main en lui disant:

      – Le petit est couché, ma chère; d'ailleurs, voudriez-vous paraître plus prude que nous…

      Alors la belle dame de… toussa, ses yeux se baissèrent souvent, et elle commença ainsi:

      «J'étais au couvent de… et je devais en sortir au bout de trois jours pour épouser M. le comte de F… mon mari. Mon bonheur futur, envié par quelques unes de mes compagnes, donnait lieu pour la vingtième fois à des conjectures que je vous épargne, puisque d'après vos récits vous vous en êtes toutes occupées en temps et lieu.

      »Trois jeunes personnes de mon âge et moi, qui ne pouvions pas faire ensemble soixante-dix ans, étions groupées devant la fenêtre d'un corridor, d'où l'on voyait ce qui se passait dans la cour du couvent. Depuis une heure environ, nos jeunes imaginations avaient cultivé le champ des suppositions d'une manière si folle et si innocente, je vous jure, qu'il nous était impossible de déterminer en quoi consistait le mariage; mes idées étaient même devenues si vagues que je ne savais plus sur quoi les fixer.

      »Une soeur de trente à quarante ans, qui nous avait prises en amitié, vint à passer; c'était, autant que je me le rappelle, la fille d'un campagnard fort riche: elle avait été mise au couvent dès sa jeunesse, soit pour avantager son frère, soit à cause d'une aventure qu'elle ne racontait qu'à son honneur et gloire. Mademoiselle de Langeac, qui était plus libre qu'aucune de nous avec elle, l'arrêta et lui exposa assez [Note du transcripteur: mot illisible] ment le danger qu'il pouvait y avoir pour moi d'ignorer les conditions de la nature humaine.

      La

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