Contes bruns. Honore de Balzac

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Contes bruns - Honore de Balzac

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me le faut mort ou vif, s'écria le préfet, en forme de conclusion.

      Là dessus le père s'en revint désolé chez lui; car il ne savait réellement pas où était son fils et se doutait bien de ce qui allait arriver.

      En effet, le lendemain, il vit dès le matin, en allant aux champs, le chapeau bordé d'un gendarme qui galopait le long des haies, et que le préfet envoyait loger chez lui, jusqu'à ce que le réfractaire se fût retrouvé.

      Il fallut donc chauffer, blanchir, éclairer le garnisaire et le nourrir son cheval et lui. Le paysan y mangea ses économies, vendit la croix d'or, les boucles d'oreilles, de souliers, les agrafes d'argent et les hardes de sa femme; puis un champ qu'il avait, et enfin sa maison.

      Avant de vendre la maison et le morceau de terre dont elle était environnée, il y eut une horrible dispute entre la femme et le mari, celui-ci prétendait qu'elle savait où était son fils… Le gendarme fut obligé de mettre le holà, au moment où le paysan s'emporta, car il avait pris son sabot pour le jeter à la tête de sa femme.

      Depuis cette soirée, le garnisaire ayant pitié de ces deux malheureux menait son cheval paître le long des chemins et dans les prés communaux. Quelques voisins se cotisèrent pour lui fournir de l'avoine et de la paille; la plupart du temps le gendarme achetait de la viande, et l'on s'entendait pour soutenir ce pauvre ménage. Le paysan avait parlé de se pendre.

      Enfin, un jour qu'il fallait du bois pour cuire le dîner du gendarme, le père du réfractaire était allé dès le matin dans une forêt voisine pour ramasser des branches mortes et faire provision de bois.

      A la nuit, il aperçut dans un fourré, près des habitations, une masse blanche, et ayant été voir ce que cela pouvait être, il reconnut son fils. Il était mort de faim, et avait encore entre les dents l'herbe qu'il avait essayé de manger.

      Le paysan chargea son enfant sur ses épaules, et, sans le montrer à personne, sans rien dire, il le porta pendant trois lieues; il arriva à la préfecture, s'enquit où était le préfet, et, apprenant qu'il était au bal, il l'attendit; et quand celui-ci rentra, sur les deux heures du matin, il trouva le paysan à sa porte, qui lui dit:

      – Vous avez voulu mon fils, monsieur le préfet, le voilà!

      Il mit le cadavre contre le mur et s'enfuit.

      Maintenant, lui et sa femme mendient leur pain.

      – Ceci est tout bonnement sublime, reprit le médecin; mais je crois que si les actions des paysans sont si complètes, si simplement belles, c'est que, chez eux, tout est naturel et sans art; ils obéissent toujours au cri de la nature; leur ruse même, leur astuce, si célèbres et si formidables, sont un développement de l'instinct humain. Ils sont cauteleux dans les affaires, et dissimulés, comme tous les gens faibles, en présence d'un ennemi puissant; et, ne faisant pas abus de la pensée, ils la trouvent comme la foi, très-robuste dans leur ame, au moment où ils en font usage. La foi du charbonnier est un proverbe.

      Ce qui m'étonne le plus en eux, ajouta-t-il, c'est leur détachement de la vie, et je ne comprends pas qu'en estimant si peu une existence si chargée de peines et de travail, ils soient si peu vindicatifs, et ne la risquent pas plus souvent, par calcul. Ils n'ont pas le temps peut-être de réfléchir ou de combiner de grandes choses.

      – C'est ce qui sauve la civilisation de leurs entreprises, dit quelqu'un.

      – Encore la civilisation!.. répéta le médecin d'un air comi-tragique.

      – Mais, docteur, lui dis-je, je vous assure que je connais un petit pays de Touraine où les gens de la campagne font mentir vos observations. Du côté de Chinon, les naturels de notre pays sont possédés d'une fureur courte et vive qui leur donne l'énergie de se livrer à leurs passions, puis ils rentrent soudain dans cette douceur spirituelle et railleuse qui distingue le caractère tourangeau. Serait-ce que Caïn aurait peuplé les environs de Chinon, dont les habitans sont nommés Caïnones dans les cartulaires, ou faut-il attribuer ce sentiment de vengeance immédiate à la vie sauvage que mènent les habitans des campagnes? Le docteur Gall aurait bien dû venir visiter le Chinonnais, où, du reste, il y a de fort honnêtes gens. Un des avocats les plus distingués de ce pays me disait en riant que cet arrondissement devrait lui constituer une rente, parce que la plupart des procès civils et criminels étaient issus de ce pays si célébré par Rabelais. Quant à moi, j'ai vu de mes yeux un exemple frappant de cette observation, dont je ne voudrais pas cependant garantir la vérité psycologique.

      Voici le fait:

      – Je revenais, en 181… d'Azai à Tours par la voiture de Chinon. En prenant ma place, je vis, sur la banquette de derrière deux gendarmes, entre lesquels était un gars d'environ vingt-deux ans.

      – Qu'a-t-il donc fait celui-là?.. dis-je au brigadier, croyant qu'il s'agissait de quelque délit forestier ou autre.

      – Presque rien… répondit le gendarme; il s'est permis de rompre avec une barre de fer l'échine de son maître, et il l'a tué, pas plus tard qu'hier…

      Là-dessus, grand silence. Je voyageais en compagnie d'un assassin. Celui-ci se tenait coi dans la carriole, regardant avec assez d'insouciance les arbres du chemin, qui fuyaient avec autant de rapidité que sa vie promise à l'échafaud. Il avait une figure douce, quoique brune et fortement colorée.

      – Pourquoi donc a-t-il assommé son maître?.. dis-je au brigadier.

      – Pour une misère… répondit le gendarme. En allant à la foire de Tours, son bourgeois, qui était un fort métayer, avait promis de rapporter les cadeaux d'usage à la fille de basse-cour et à ce gars-là… Pour lors, il s'agissait d'un tablier pour elle, et d'un gilet rouge pour lui. Au retour, il paraît que le fermier eut quelque motif de mécontentement contre lui. Il donna bien le tablier à la fille, mais il garda le gilet. Assoupi par la chaleur, et fatigué, vu qu'il avait fait la route sans arrêt et à cheval, il s'endormit sur le coin de sa table, dans la salle. Alors le gars prit la barre de fer, et lui en asséna un grand coup sur la nuque; le métayer a encore eu la force de se relever et de lui dire:

      – Malheureux!..

      Et il lui a donné un second coup, qui finalement l'a tué raide. Et après il a été se cacher dans l'écurie avec le gilet; mais il n'a pas seulement pris un liard de l'argent que son maître rapportait de Tours, et il s'est laissé empoigner sans résistance.

      – Comment, lui dis-je, en me tournant vers le paysan, as-tu pu tuer un homme pour un gilet?..

      – Dam!.. j'avais compté là-dessus pour aller à la danse.

      Ce fut tout ce que je tirai de ce garçon… qui ne paraissait point méchant du tout. Les gendarmes ne lui avaient seulement pas lié les mains. La voiture vint à verser au-dessus de Bellon. – Mais non, elle ne versa pas. L'un des brancards s'était cassé. Nous en sortîmes tous; les gendarmes se mirent de chaque côté de ce malheureux en le laissant libre; néanmoins ils avaient l'oeil sur lui. Ce gaillard-là, voyant le conducteur s'y prendre assez mal pour relever la patache, l'aida, lia lui-même une perche pour remplacer le brancard; et quand tout fut fini:

      – Ah! ça ira!.. maintenant, dit-il en achevant de serrer le dernier noeud d'une corde, et il remonta dans cette voiture qui le menait pour ainsi dire au supplice. Il fut exécuté à Tours.

      – Bah! ce sang froid n'a rien de bien extraordinaire, dit un jeune homme qui était venu du salon du jeu, au milieu de ma narration, et n'avait pas assisté aux prémisses de mon argumentation. Il existe une foule d'anecdotes sur les derniers momens

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