Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Les esclaves de Paris - Emile Gaboriau страница 24
Elle sonna sur ces mots. Un domestique parut.
– Lubin, lui dit la comtesse, faites prier Mlle Sabine de descendre.
– Mlle Sabine est sortie, madame la comtesse.
– Ah!.. Y a-t-il longtemps?
– Mademoiselle est sortie un peu avant trois heures.
– Qui l'accompagne?
– Sa femme de chambre, Mlle Modeste.
– Mademoiselle a-t-elle dit où elle allait?
– Non, madame la comtesse.
– C'est bien.
Le domestique s'inclina et sortit.
L'imperturbable docteur ne laissait pas que d'être un peu étonné.
Quoi! Sabine de Mussidan, une jeune fille de dix-huit ans, était libre à ce point! Elle sortait sans prévenir, on ne savait où elle était allée, et sa mère trouvait cela tout naturel!
– Voilà un fâcheux contre-temps, reprit la comtesse. Enfin, espérons que l'indisposition que je crains n'empêchera pas une noce d'avoir lieu à l'hôtel de Mussidan.
Hortebize jouait de bonheur. Le sujet qu'il avait à traiter, qu'il ne voyait trop comment aborder, arrivait tout naturellement sur le tapis.
– Vous mariez Mlle Sabine, madame la comtesse? demanda-t-il.
Mme de Mussidan posa mystérieusement un doigt sur ses lèvres.
– Chut! fit-elle, c'est un grand secret, et il n'y a rien encore de décidé. Mais vous êtes médecin, c'est-à-dire aussi discret, par profession, qu'un confesseur, ou peut se fier à vous. Il est plus que probable qu'avant la fin de l'année, Sabine sera Mme de Breulh-Faverlay.
Il est certain que le docteur Hortebize est bien moins audacieux que B. Mascarot. Souvent, en face des conceptions de son ami, le docteur a pâli, reculé, demandé grâce.
Mais une fois engagé, quand il a dit: Oui, on peut compter sur lui. Il va droit au but, sans hésitations, sans faiblesses.
– Je dois vous avouer, madame la comtesse, dit-il, que j'ai ouï parler de vos projets.
– Vraiment, on s'occupe de nous?
– Beaucoup. Et tenez, permettez-moi, madame, de vous le dire, ce n'est pas le hasard, comme vous l'avez cru, qui m'amène chez vous, c'est ce mariage.
Mme de Mussidan aimait assez le docteur Hortebize et avait souvent pris plaisir à entendre sa conversation spirituelle et tous les petits cancans dont il était toujours largement approvisionné.
Elle ne voyait à le recevoir de temps à autre aucun inconvénient, et volontiers elle l'admettait à une sorte de familiarité banale.
Mais qu'il s'autorisât de ce qu'elle jugeait des concessions, pour oser s'occuper de sa fille, à elle, comtesse de Mussidan, née Diane de Sauvebourg, c'est ce qui lui parut intolérable.
– En vérité, docteur, dit-elle, c'est bien de l'honneur que vous nous faites, au comte et à moi, de vous intéresser à ce mariage.
Cette simple phrase fut soulignée d'un regard à faire bondir, comme sous un coup de fouet, l'homme le moins sensible aux blessures d'amour-propre.
Mais le docteur n'était pas venu pour se fâcher.
Il était venu pour dire quand même et d'une certaine façon certaines choses.
D'avance il avait étudié et préparé son rôle, et rien n'était capable de l'en détourner parce qu'il s'était préparé à toutes les répliques.
Sur ce terrain, il était supérieur à B. Mascarot, qui n'eût pas su, comme lui, nuancer, préparer les transitions, ménager des sous-entendus, tout dire enfin, sans blesser de puériles susceptibilités.
Cette supériorité d'Hortebize, B. Mascarot la connaissait, et s'il l'enviait, il ne la jalousait pas.
– «C'est affaire de naissance, disait-il à ce sujet, Hortebize appartient à une excellente famille, il a reçu une belle éducation; tout jeune il a été admis dans la meilleure compagnie, tandis que moi, ce que je sais, je me le suis appris seul; je suis le fils de mes œuvres!»
Hortebize courba donc la tête sous l'affront, – provisoirement.
– Croyez, madame, répondit-il, que pour accepter la mission que je remplis, il n'a pas fallu moins de toute la force de mon respectueux dévouement.
– Ah!.. fit la comtesse, traînant la voix et clignant des yeux de la façon la plus impertinente, ah!.. vous nous êtes dévoué?
– Beaucoup, oui, madame. Et je suis sûr qu'après m'avoir entendu vous n'en douterez pas.
Il dit cela d'un ton si sec que Mme de Mussidan tressaillit comme au contact d'une pile électrique.
– Voici vingt-cinq ans que j'exerce, reprit le docteur, c'est-à-dire vingt-cinq ans que je pénètre dans les familles, que j'assiste à d'horribles drames d'intérieur, que je suis le confident forcé des plus affreux secrets. Souvent je me suis trouvé dans des situations délicates et difficiles, jamais je n'ai été aussi embarrassé qu'en ce moment.
– C'est donc bien grave? demanda la comtesse, qui oublia d'être impertinente.
– Peut-être. Si j'ai eu affaire à un fou, comme je l'espère encore… je n'aurai qu'à vous demander les plus humbles excuses. Si, au contraire, celui qui m'est venu trouver a son bon sens, si ce qu'il prétend savoir est vrai, s'il a entre les mains les irrécusables preuves qu'il affirme posséder…
– Alors, docteur?..
– En ce dernier cas, madame, je vous dirai: usez de mon dévouement, parce qu'il y a un homme qui, moralement, a sur vous droit de vie et de mort, un homme dont les volontés devront être les vôtres…
La comtesse eut un grand éclat de rire, aussi faux qu'une larme d'héritier.
– En vérité, docteur, dit-elle, votre mine funèbre et votre accent lugubre me feront mourir… de rire.
Le docteur réfléchissait.
– Elle rit trop fort, se disait-il; Baptistin ne m'a pas trompé. Soyons prudent.
Puis, tout haut, il reprit:
– Puissé-je aussi, moi, madame, rire bientôt de craintes chimériques. Mais quoiqu'il arrive, permettez-moi de vous rappeler ce que vous me disiez il n'y a qu'un instant: le médecin est un confesseur. Cela est vrai, madame. Comme le prêtre, le médecin sait oublier les secrets que sa mission lui révèle; il sait conseiller et consoler. Mieux que le prêtre, parce qu'il est mêlé plus directement aux intérêts et aux passions, il comprend et excuse les fatalités de la vie, les entraînements…
– Docteur, interrompit la comtesse, vous oubliez de dire