Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau

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Les esclaves de Paris - Emile Gaboriau

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lecture.

      – Lisez! répondit M. de Mussidan, qui plus bas ajouta: Je n'y vois plus.

      Le placeur, pour obéir, traîna son fauteuil près des bougies.

      – A en juger par le style, observa-t-il, M. de Clinchan doit avoir rédigé ceci le soir même de l'accident. Enfin, je commence:

      «AN 1842. —26 octobre.– Aujourd'hui, de grand matin, je suis parti pour chasser avec Octave de Mussidan. Nous étions suivis du piqueur Ludovic et d'un brave garçon nommé Montlouis, que Octave dresse pour en faire son futur intendant.

      «La journée promettait d'être superbe. A midi, j'avais déjà trois lièvres. Octave était d'une gaîté folle.

      «Vers une heure, nous traversions les taillis de Bivron. J'allais devant, à cinquante pas, avec Ludovic, lorsque des éclats de voix nous font nous retourner. Octave et Montlouis avaient une discussion de la dernière violence, et nous voyons le comte lever la main sur son futur intendant.

      «J'allais accourir, quand je vois Montlouis venir vers nous. Je lui crie: Qu'y a-t-il?

      «Au lieu de me répondre, le malheureux se retourna vers son maître en proférant des menaces et en criant un mot qui, dans la position d'Octave, nouvellement marié, était une injure abominable.

      «Ce mot, Octave l'entendit.

      «Il avait à la main son fusil armé; il épaule, ajuste et fait feu.

      «Montlouis tombe nous accourons. L'infortuné avait été tué raide. Le coup avait fait balle.

      «J'étais consterné, mais je n'ai rien vu d'aussi terrible que le désespoir d'Octave. Il s'arrachait les cheveux, il embrassait le cadavre!..

      «Seul de nous, Ludovic avait gardé son sang-froid.

      « – Ceci, nous dit-il, doit être un accident de chasse. Le terrain y prête merveilleusement. Monsieur aura tiré de là-bas.

      «Là-dessus, nous avons arrangé une version, et fait le serment de la soutenir.

      «C'est moi qui ait fait la déclaration au juge de paix de Bivron, il n'a pas douté de mon récit.

      « – Mais quelle journée!.. Je crains bien un gros rhume! Mon pouls bat quatre-vingt-six pulsations, j'ai la fièvre, et je sens que je dormirai mal.

      «Octave est comme fou. Mon Dieu!.. Qu'arrivera-t-il?..»

      Enfoncé dans son fauteuil, le comte de Mussidan écouta cette lecture sans donner le plus léger signe de sensibilité.

      Était-il tout à fait accablé, cherchait-il quelque moyen pour replonger dans l'oubli de la tombe ce fantôme du passé qui, tout à coup, surgissait menaçant en travers de son chemin?

      Voilà ce que se demandait le placeur, qui n'avait cessé d'épier l'effet produit.

      Mais aux derniers mots le comte se redressa de l'air d'un homme qui à son réveil constate qu'il vient d'être le jouet d'un affreux cauchemar.

      – C'est de la folie! fit-il avec le plus beau sang-froid.

      – Folie bien lucide, en ce cas, murmura M. Mascarot, folie jouant assez bien la raison pour surprendre les plus experts. On n'est ni plus net, ni plus précis, ni plus bref.

      – Et si je prouvais, moi, reprit le comte, que ce récit est faux, absurde, ridicule, qu'il ne peut être que l'œuvre d'un maniaque, d'un halluciné…

      B. Mascarot secoua tristement la tête.

      – Ne nous laissons point endormir par de trompeuses illusions, monsieur le comte, soupira-t-il, notre réveil n'en serait que plus terrible.

      Il disait «nous» audacieusement, associant par ce pluriel sa personne à lui, B. Mascarot, et celle du comte de Mussidan. Et le comte, loin de se révolter, eut comme un sourire.

      – A la grande rigueur, poursuivait le placeur, si M. de Clinchan se fût borné à cette relation, on pourrait s'inscrire en faux, opposer un système basé sur son état mental à un moment donné, état provenant de la commotion par lui éprouvée. Malheureusement le baron se dépense en encre. Permettez que je vous fasse entendre en quels termes il revient à la charge.

      – Soit, j'écoute.

      – Trois jours se sont écoulés, reprit B. Mascarot; M. de Clinchan a eu le temps de se remettre, et cependant voici ce qu'il dit:

      «AN 1842. —29 octobre.– Ma santé m'inquiète. Je ressens des douleurs à toutes les articulations. Ce malaise vient peut-être des tourments incroyables que me cause l'affaire d'Octave.

      «J'ai été forcé tantôt de me transporter chez le juge d'instruction. Il a, ce diable de juge, des regards à faire remuer la vérité au fond des entrailles.

      «Je remarque avec terreur que ma version a quelque peu varié. Il faut, si je ne veux pas me couper, que je rédige une déposition et que je l'apprenne par cœur. Cela me sera surtout utile pour l'audience.

      «Ludovic se tient bien. Il est fort intelligent ce garçon, je serais bien aise de l'avoir à mon service.

      «C'est à peine si j'ose sortir tant je suis obsédé de gens qui me demandent le récit de l'accident. Rien que dans la famille de Sauvebourg, je l'ai raconté dix-sept fois.

      «Je m'ennuie extraordinairement ici.»

      – Eh bien!.. monsieur le comte, demanda le placeur, que pensez-vous de ces réflexions?

      M. de Mussidan ne répondit pas à cette question.

      – Achevez votre lecture, monsieur, dit-il.

      – Volontiers. La troisième mention, pour brève qu'elle est, n'en est pas moins décisive. Voici ce que le baron écrivait un mois après les événements:

      «AN 1842. —23 novembre.– Enfin, c'est fini. J'arrive du tribunal. Octave est acquitté.

      «Ludovic a été admirable. Il a expliqué l'accident avec une si rare habileté que personne, dans l'auditoire, n'a pu concevoir l'ombre d'un soupçon. Tout bien pesé, ce garçon est trop fort, je ne le prendrai pas à mon service.

      «Mon tour de déposer est venu. Il m'a fallu lever la main et jurer de dire la vérité. Je ne pouvais prévoir l'émotion qui s'est emparée de moi.

      «Non, il faut avoir passé par là pour se faire une idée de ce qu'est un faux témoignage. J'ai cru que je ne parviendrais pas à lever le bras, il me semblait de plomb.

      «En regagnant ma place, je constatai une forte oppression. Mon pouls, certainement n'avait pas quarante pulsations.

      «Voilà pourtant où peut conduire la colère!.. Il faut que pendant un an j'écrive chaque jour cette maxime: «Ne jamais céder à mon premier mouvement.»

      – Et, en effet, ajouta le placeur, une année durant, M. de Clinchan a écrit cette phrase en tête de toutes les pages de son journal. Je tiens ces faits des gens qui ont eu les volumes entre les mains.

      C'était bien la dixième fois que B. Mascarot mettait en avant ces «gens» dont il

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