Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau

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Les esclaves de Paris - Emile Gaboriau

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style="font-size:15px;">      Le placeur ne sembla ni effrayé ni surpris.

      Il descendit trois marches encore, poussa une autre porte, matelassée comme la première, et se trouva sur le seuil d'une vaste pièce voûtée, disposée comme celle d'un café, éclairée au gaz, avec des tables et des chaises tout autour. Plusieurs consommateurs y buvaient du fameux vin de Mâcon.

      Au milieu de la salle, deux hommes en bras de chemise soufflaient, jusqu'à en être cramoisis, dans des trompes à la Dampierre, entourées du galon vert traditionnel.

      Près d'eux, un très vieux bonhomme, chaussé de grandes guêtres de cuir montant au-dessus du genou, ayant une ceinture de cuir fauve à plaque armoriée sur un gilet rouge, sifflait l'air que s'efforçaient de reproduire les joueurs de trompe.

      Le silence se fit dès que parut M. Mascarot, qui, son chapeau à la main, saluait poliment à la ronde.

      – Eh!.. c'est le papa Mascarot, s'écria un jeune homme à beaux favoris, portant culotte courte et bas blancs bien tirés. Arrivez donc, je vous attendais si bien que voici un verre propre pour vous.

      M. Mascarot, sans se plus faire prier, alla prendre place à la table, trinqua, but et fit claquer sa langue en signe de satisfaction.

      – Comme cela, reprit le jeune homme, qui n'était autre que Florestan, le père Canon vous a dit que j'étais à la salle de musique. Hein!.. on est bien ici.

      – Admirablement.

      – Vous nous voyez en train de prendre notre petite leçon. La police vous savez, ne veut pas qu'on joue de la trompe à Paris. Alors, savez-vous ce qu'a fait le père Canon? Il nous a installé dans cette cave. On peut y souffler tant qu'on veut, personne au-dehors n'entend rien. L'air vient par les deux tuyaux que vous voyez.

      Les deux élèves ayant repris leur leçon, Florestan était obligé de se faire un porte-voix de ses deux mains, et de crier de toutes ses forces.

      – Ce vieux-là, poursuivait-il, est un ancien piqueur du duc de Champdoce. Ah! quel professeur! Il n'a pas son pareil pour la trompe! Tel que vous me voyez, je n'ai que vingt leçons, et je vais déjà très bien. Il faut dire que j'ai, à ce qu'il paraît, une embouchure comme on n'en voit guère. Tenez, voulez-vous que je vous sonne un débuché, un bien-aller, un changement?..

      M. Mascarot eut peine à dissimuler un mouvement d'épouvante.

      – Merci! cria-t-il, un jour que j'aurai le temps, je serai ravi de vous entendre; mais aujourd'hui, je suis un peu pressé et je voudrais vous parler.

      – A vos ordres! Mais j'y songe, ici vous ne serez peut-être pas très bien pour causer, montons, nous demanderons un cabinet.

      Si les «cabinets de société» du père Canon ne sont pas précisément somptueux, ils ont l'inestimable mérite d'être discrets.

      Bien que séparés par de minces cloisons de verre rayé, rarement ils laissent s'évaporer les confidences qui s'y échangent, confidences, dont les «maîtres» sont l'éternel sujet.

      – Ah! ils en conteraient de belles, ces cabinets, s'ils pouvaient parler!..

      Ainsi disait Florestan, en prenant place en face de M. Mascarot à une petite table que le père Canon venait de charger d'une bouteille et de deux verres.

      – Je le crois, approuva le digne placeur, mais ce n'est point de cancans qu'il s'agit. Si je t'ai fait demander un rendez-vous par Beaumar, c'est que tu es en position de me rendre un petit service.

      – A vos ordres.

      – En ce cas, nous y reviendrons. Commençons par parler de toi. Comment te trouves-tu chez ton comte de Mussidan?

      Une outrageante familiarité est un des traits distinctifs de B. Mascarot. Il ne saurait s'empêcher de tutoyer ses clients. Il ignore sans doute qu'au mépris d'un homme pour ses semblables, on peut presque toujours juger de quel mépris lui-même est digne.

      Cependant, ce tutoiement n'offusquait nullement Florestan.

      – Je suis très mal, répondit-il, chez ce noble de malheur, si mal que j'ai déjà demandé à Beaumarchef de me chercher une autre condition.

      – C'est à n'y pas croire. Tous mes renseignements affirment que le service du comte est très doux, et ton prédécesseur…

      – Merci!.. interrompit le domestique avec une grimace significative, je voudrais vous y voir. D'abord, il est rat!..

      D'un mouvement éloquent, l'honorable placeur blâma ce vilain défaut.

      – Ensuite, continua Florestan, il est plus soupçonneux qu'un chat. Jamais rien à la traîne, pas une lettre, pas un cigare, pas un louis. La moitié de sa vie se passe à ouvrir et à fermer ses serrures, et il dort avec ses clés sous son oreiller.

      – J'avoue qu'une telle méfiance est singulièrement blessante.

      – N'est-ce pas? Ajoutez à cela qu'il est d'une violence terrible. Pour un rien, les yeux lui sortent de la tête. On dirait toujours qu'il va vous tuer ou vous battre, pour le moins. Moi, d'abord, il me fait peur.

      Ce portrait, après l'avertissement du docteur, devait donner à réfléchir à B. Mascarot.

      – Le comte est-il donc toujours ainsi? demanda-t-il.

      – Les jours ordinaires, oui. Il est pire quand il a beaucoup joué ou beaucoup bu. Et Dieu sait s'il s'en fait faute. Il ne rentre jamais avant quatre heures du matin, quand il rentre toutefois.

      – Diable! cette conduite ne doit guère être du goût de la comtesse.

      Florestan éclata de rire, jugeant l'observation naïve.

      – Madame!.. fit-il. Elle se soucie bien de monsieur, en vérité. Souvent ils sont des semaines sans se voir. Cette femme-là, pourvu qu'elle dépense, elle est contente. Aussi, il faut voir les créanciers chez nous.

      – Cependant M. et Mme de Mussidan sont très riches.

      – Énormément riches, papa Mascarot, immensément. Ce qui n'empêche pas qu'il y a des moments où il n'y a pas cent sous à l'hôtel. Alors, madame est comme une tigresse, elle envoie emprunter à toutes ses amies, n'importe quoi, cent francs, vingt francs, dix francs… et on les lui refuse.

      – C'est humiliant.

      – A qui le dites-vous? Cependant, quand il faut absolument une grosse somme, c'est au duc de Champdoce que madame s'adresse. Oh!.. celui-là, il ne dit jamais non. Et elle ne lui en écrit pas long, allez.

      M. Mascarot daigna sourire.

      – On dirait, fit-il, que tu sais ce que la comtesse écrit.

      – Dame! vous comprenez, on aime à savoir ce qu'on porte. Elle dit simplement: «Mon ami, j'ai besoin de tant…» et il paie sans rechigner. Il faut, voyez-vous, qu'il y ait eu quelque chose entre eux.

      – D'après cela, je le croirais.

      – Parbleu!.. Aussi qu'arrive-t-il? Quand monsieur et madame se trouvent ensemble, c'est pour se disputer. Et quelles disputes!.. Dans les ménages d'ouvriers, quand le mari a un peu bu, il cogne et la femme crie. Mais ce n'est rien.

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