Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau

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Les esclaves de Paris - Emile Gaboriau

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chiffre, comparé aux plus audacieuses espérances de Paul, était encore si fabuleux, qu'il pensa que le placeur s'amusait de son inexpérience.

      – Il est peu généreux à vous de me railler, monsieur, fit-il.

      Mais B. Mascarot ne raillait pas.

      Seulement, il lui fallut un bon quart d'heure pour prouver à son jeune client que, de sa vie, il n'avait parlé plus sérieusement d'une affaire sérieuse.

      Très probablement il eût perdu ses frais d'éloquence, si, à bout de raisons, il ne lui était venu à la pensée de dire:

      – Pour me croire, vous exigez des preuves… Voulez-vous que je vous avance votre premier mois?

      Et il tendit un billet de mille francs qu'il avait pris dans le tiroir de son bureau.

      Paul repoussa le billet, mais force lui était de se rendre devant ce puissant argument. Alors, pris d'anxiétés terribles, il demandait si cet emploi si magnifique, si inespéré, il serait capable de le remplir.

      – Eh!.. vous le proposerais-je s'il était au-dessus de vos moyens? repondait le digne placeur. Je vous connais, n'est-ce pas? Si je n'étais très pressé, je vous expliquerais sur-le-champ la nature de vos fonctions… Ce sera pour demain. Soyez ici, comme aujourd'hui, entre midi et une heure.

      Si bouleversé que fût Paul, il comprit qu'en restant il serait importun, et il se leva.

      – Un mot encore, fit le placeur. Vous ne pouvez rester à l'hôtel du Pérou. Cherchez-vous immédiatement une chambre dans ce quartier, et, dès que vous l'aurez trouvée, apportez-moi l'adresse. Allons, à demain, et soyons forts et sachons porter la prospérité.

      Pendant près d'une minute encore, M. Mascarot resta debout près de son bureau, prêtant l'oreille, étudiant le bruit des pas de Paul, qui s'éloignait chancelant sous le poids de tant d'émotions diverses.

      Lorsqu'il fut bien certain qu'il avait quitté l'appartement, il courut à une porte vitrée qui donnait dans sa chambre, et l'ouvrit en disant:

      – Hortebize!.. docteur!.. tu peux venir, il est parti.

      Un homme aussitôt entra vivement et alla se jeter dans un fauteuil, près du feu.

      – Brrr! disait-il, j'ai les pieds engourdis. On me les couperait que je ne les sentirais pas. C'est une glacière, ta chambre, ami Baptistin. Une autre fois, tu me feras faire du feu, hein?

      Mais rien ne peut détourner M. Mascarot du but de ses pensées.

      – Tu as tout entendu? demanda-t-il.

      – J'entendais et je voyais comme toi-même.

      – Eh bien! que penses-tu du sujet?

      – Je pense que Tantaine est un homme très fort et qu'entre tes mains ce joli garçon ira loin.

      III

      Le docteur Hortebize, cet intime du «l'agence», qui appelait ainsi familièrement M. Mascarot par son prénom: Baptistin, a bel et bien cinquante-six ans sonnés.

      Il n'en avoue que quarante-neuf et n'a pas tort. C'est à peine si on les lui donnerait, tant il porte lestement son embonpoint de chanoine, tant ses grosses lèvres sensuelles sont fraîches encore, tant il a les cheveux noirs, l'œil vif et sain.

      Homme du monde, et du meilleur monde, souple, élégant, spirituel, voilant sous une ironie du meilleur goût un monstrueux cynisme, il est très entouré, très recherché, très fêté.

      Cela tient à ce qu'il n'a pas de défauts, mais seulement quelques bons gros vices qu'il étale avec un sans-gêne absolu.

      Ces dehors d'épicurien cachent, assure-t-on, un médecin distingué, un savant.

      Ce qui est sûr, c'est que n'étant pas ce qui s'appelle un travailleur, il exerce le moins qu'il peut.

      Même, il y a quelques années, voulant, à ce qu'il a prétendu, dégoûter de lui sa clientèle qui devenait importante, un beau matin il s'improvisa homœopathe et fonda un journal médical: le Globule, qui eut cinq numéros.

      Cette conversion pouvait prêter à rire; il en a ri le premier, prouvant ainsi la sincérité de la philosophie qu'il professe.

      De sa vie, le docteur Hortebize n'a rien pu ou voulu prendre au sérieux.

      En ce moment même, M. Mascarot, qui cependant le connaît bien, semble déconcerté et blessé de son ton léger.

      – Si je t'ai écrit de venir ce matin, dit-il d'un ton mécontent, si je t'ai prié de te cacher dans ma chambre…

      – Où j'ai failli geler.

      – … C'est que je tenais à avoir ton avis. Nous engageons une grosse partie, Hortebize, une partie terriblement périlleuse, et tu es de moitié dans le jeu.

      – Bast!.. j'ai en toi, tu le sais bien, une confiance aveugle. Ce que tu feras sera bien fait. Tu n'es pas homme à te risquer sans atouts.

      – C'est vrai, mais je puis perdre, et alors…

      Le docteur interrompit son ami en agitant gaiment un gros médaillon d'or suspendu à la chaîne de sa montre.

      Ce geste sembla particulièrement désagréable au placeur.

      – Quand tu me montreras ta breloque! fit-il. Voici vingt-cinq ans que nous la connaissons. Que veux-tu dire? qu'il y a dedans de quoi t'empoisonner en cas de malheur! C'est une louable prévoyance, mais mieux vaut tâcher de la rendre inutile en me donnant un bon conseil.

      Le souriant docteur avait pris la pose ennuyée du marquis de Moncade écoutant les comptes de son intendant.

      – Si tu tenais tant, dit-il, à une consultation, il fallait mander à ma place notre honorable ami Catenac; il connaît les affaires, lui, il est avocat.

      Ce nom de Catenac irrita tellement M. Mascarot, que lui, l'homme calme et contenu par excellence, il arracha son magnifique bonnet grec et le lança violemment contre la tablette de son bureau.

      – Est-ce sérieusement, Hortebize, demanda-t-il, que tu me dis cela?

      – Pourquoi non?

      L'honnête placeur souleva ses lunettes, comme si, avec ses yeux seuls, il eût pu lire plus sûrement jusqu'au fond de la pensée de son interlocuteur.

      – Parce que, fit-il en appuyant sur chaque syllabe de chaque mot, parce que tu es comme moi, docteur, tu te défies de Catenac. Combien y a-t-il de temps que tu l'as vu? Voici plus de deux mois qu'il n'est venu chez Martin-Rigal.

      – Il est de fait que ses façons sont au moins singulières, de la part d'un associé, d'un ancien camarade.

      M. Mascarot eut un sourire si mauvais, que certainement il eût donné beaucoup à réfléchir au Catenac en question, s'il lui eût été permis de le voir.

      – Ajoute, fit-il, que sa conduite est sans excuses de la part d'un homme dont nous avons fait la fortune. Car il est riche, notre ami, très riche, quoiqu'il prétende le contraire.

      – Vraiment, tu crois?..

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