Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau
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C'est sans nul doute à ce long exercice d'une profession ordinairement ingrate, que M. B. Mascarot doit sa réputation et la grande considération dont il jouit, non seulement dans son quartier, mais encore dans tout Paris.
Les maîtres, assure-t-on, n'ont jamais eu à se plaindre d'un serviteur garanti par lui.
Parmi les domestiques, il est avéré qu'il ne procure que des places où on a toutes les douceurs de la vie.
Les employés, enfin, savent très bien que, grâce à ses connaissances, grâce à ses nombreuses relations et ramifications partout, il a toujours un bon emploi au service de qui sait lui plaire.
B. Mascarot a d'autres titres à l'estime publique.
C'est lui qui, le premier, vers 1845, conçut le projet d'organiser en société les «gens de maison». On s'est emparé depuis de son idée et de son programme, mais il n'a pas réclamé.
Il s'est consolé en prenant un associé, un sieur Beaumarchef, et en installant dans la maison même de son agence un hôtel garni où les domestiques sans place trouvent à crédit le logement et la nourriture.
Si ces diverses entreprises ont servi la société, elles ont aussi profité à B. Mascarot.
Il est propriétaire pour partie, – on dit pour un quart, – de la maison qu'il occupe.
Eh bien! c'est devant cette maison, qu'à midi, l'heure convenue, était arrêté Paul Violaine.
Il avait utilisé les cinq cents francs de son vieux voisin, et un confectionneur lui avait improvisé une élégance qui n'était pas de trop mauvais goût.
Même, il était si bien, sous ses nouveaux vêtements, que les femmes qui passaient se retournaient pour le voir encore.
Lui n'y prenait garde. Il avait réfléchi depuis la veille, et maintenant, il se prenait à douter beaucoup du pouvoir de cet inconnu, qui, selon l'expression du père Tantaine, pour faire la fortune de quelqu'un n'avait qu'à le vouloir.
– Un placeur! murmurait-il; sûrement il va me proposer quelque emploi de cent francs par mois!
Cependant, il était un peu ému, et avant d'entrer il étudiait la maison, comme si elle eût pu lui apprendre quelque chose de celui qui l'habitait.
Elle ressemblait à toutes les autres, avec ses deux corps de logis séparés par une cour mal tenue.
Le bureau de placement et l'hôtel étaient au fond.
Sous la porte cochère, l'encombrant de ses ustensiles, était un marchand de marrons, un jeune drôle à l'air insolent.
– Allons, se dit Paul, rester ici ne m'avance à rien, il faut voir.
Il traversa donc résolument la cour, monta un escalier en face, et arrivé au premier étage, voyant sur une porte le mot: Bureaux, il frappa.
– Entrez?.. cria une grosse voix.
La porte n'était pas fermée, mais seulement maintenue par un poids glissant au bout d'une corde. Paul n'eut qu'à pousser.
La pièce où il pénétra ressemblait à tous les bureaux de placement de Paris.
Tout autour, régnait un large banc de chêne noirci et poli par l'usage. Au fond, se trouvait une manière de loge grillée, entourée d'un rideau de serge verte, que dans la clientèle on appelait le confessionnal.
Entre les deux fenêtres, sur une plaque de zinc, on lisait:
Dans un des angles de la pièce, un monsieur était assis devant une grande table, et, tout en écrivant sur un énorme registre, il donnait audience à une femme debout.
– Monsieur Mascarot? demanda Paul timidement.
– Que lui voulez-vous? fit le monsieur sans saluer; s'agit-il d'une affaire? je le remplace; désirez-vous vous faire inscrire? nous avons en ce moment trois tenues de livres, une caisse, une correspondance, six emplois de ville. Vous avez de bonnes références?..
On eût juré que le monsieur récitait le tableau des offres accroché à la porte.
– Pardon, interrompit Paul, je voudrais parler à M. Mascarot lui-même; je lui suis envoyé par un de ses amis.
Cette simple déclaration parut impressionner le monsieur. Il quitta son air rogue, et c'est presque poliment qu'il dit à Paul:
– Mon associé est en conférence, monsieur, mais il sera libre bientôt; prenez la peine de vous asseoir.
Paul prit place sur le banc et, faute de mieux, se mit à examiner l'associé.
Grand, robuste, éclatant de santé, cet associé porte les cheveux courts et, sous un nez odieusement busqué, il étale une paire de moustaches farouches, longues, lustrées, cirées, terminées en pointe.
Ton, tenue, cheveux, moustaches, décèlent l'homme qui tient à ce que chacun sache bien qu'il a été militaire.
Il a servi, en effet, assure-t-il dans la cavalerie. C'est même au régiment qu'il a gagné le nom sous lequel il est connu: Beaumarchef, abréviation soldatesque de beau maréchal-des-logis-chef. Son vrai nom est Durand.
Il était jeune, en ce temps, il a plus de quarante-cinq ans, maintenant, ce qui ne l'empêche pas de jouir encore d'une réputation incontestable d'homme superbe.
Sa besogne, qui consistait à écrire des noms à la suite les uns des autres, ne l'empêchait nullement de répondre juste à la femme placée devant lui.
Cette cliente, qui, par sa mise, tenait le milieu entre la cuisinière et la marchande des Halles, était ce qu'à Paris on appelle une forte commère.
Elle ponctuait ses phrases de larges prises de tabac. Elle s'exprimait avec un accent alsacien des plus prononcés.
– Finissons-en, disait le sieur Beaumarchef; voulez-vous réellement vous replacer?
– Oui, là, vraiment.
– Vous en disiez autant, la dernière fois que vous êtes venue, il y a plus de six mois. On vous trouve une bonne condition, vous y entrez et paf!.. le troisième jour vous rendez votre tablier, sans raison.
– Alors, je n'étais pas dans le besoin.
– Et à cette heure?
– C'est différent, je commence à voir la fin de mes économies.
M. Beaumarchef posa sa plume, et regardant finement la grosse femme comme s'il eût cherché la confirmation de quelque soupçon, il dit lentement:
– Vous aurez fait quelque folie!
Elle détourna la tête, et, sans répondre directement, se mil à se répandre en plaintes sur la dureté des temps, sur la ladrerie des maîtres, sur la rapacité des jeunes dames qui ne permettent plus à leurs cuisinières de faire danser l'anse du panier, se chargeant très bien elles-mêmes de ce soin.
Beaumarchef approuvait de la tête, exactement comme un