Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau
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Читать онлайн книгу Les esclaves de Paris - Emile Gaboriau страница 3
– Autrefois, je ne savais pas.
– Non, Rose, non, mais tu m'aimais. Mon Dieu! n'ai-je donc pas tout essayé, tout tenté!.. Je suis allé de porte en porte offrir mes compositions, ces mélodies que tu chantais si bien, j'ai demandé des leçons à tous les échos de Paris. Qu'aurais-tu fait de plus, à ma place? parle, réponds…
Paul s'animait par degrés. Rose, au contraire, affectait une irritante nonchalance.
– Je ne sais, répondit-elle enfin, pourtant il me semble que si j'étais homme, je ne laisserais jamais manquer du nécessaire la femme que je prétendrais aimer, non, jamais. J'irais, je travaillerais…
– Je ne suis pas un ouvrier, malheureusement, je n'ai pas d'état.
– Moi, j'en apprendrais un. Combien gagne-t-on par jour à servir les maçons? C'est peut-être pénible, ce n'est pas, ce me semble, bien difficile. Tu as, à ce que tu prétends, un rare talent? Je ne dis pas non. Mais si j'étais un grand compositeur et s'il n'y avait pas de pain chez moi, j'irais, sans hésiter, jouer dans les rues et dans les cafés, je chanterais dans les cours. Enfin, j'aurais de l'argent quand même, n'importe comment, n'importe d'où, à tout prix, quand je devrais…
– Tu oublies que je suis un honnête homme, Rose!
– Vraiment! ne dirait-on pas que je te propose une mauvaise action! Ta réponse, Paul, est celle de tous ceux qui, faute d'adresse ou d'énergie, restent en chemin. On va vêtu comme un mendiant, le ventre vide, crevant de jalousie, mais on se redresse pour dire: Je suis honnête. Comme si on ne pouvait absolument être riche ou faire fortune sans être le dernier des coquins. C'est trop bête, à la fin!
Elle parlait d'une voix vibrante, et une infernale hardiesse étincelait dans ses yeux. C'était bien là une de ces créatures redoutables, énergiques surtout pour le mal, qui peuvent conduire un homme faible sur le bord de l'abîme, l'y pousser et l'oublier avant même qu'il ait roulé jusqu'au fond.
Sous le fouet de ces sarcasmes, la nature violente de Paul se réveillait; la colère empourprait ses joues.
– Que ne m'aides-tu toi-même, s'écria-t-il, que ne travailles-tu!
– Oh!.. moi… c'est autre chose, je ne suis pas faite pour travailler.
Paul eut un geste terrible, il marcha la main levée sur la jeune femme.
– Malheureuse, disait-il, tu n'es qu'une malheureuse!
– Non… j'ai faim!
Une querelle arrivée à ce point devait finir mal, lorsqu'un bruit assez fort attira l'attention des jeunes gens; ils se retournèrent.
La porte de la mansarde était ouverte, et sur le seuil se tenait, debout, un vieux homme qui les regardait avec un sourire paternel.
Il était grand et légèrement voûté. De son visage, on ne découvrait que les pommettes couleur brique et le nez rouge; une barbe grisonnante, longue, épaisse, inculte, cachait le reste. Il portait des lunettes de pacotille à verres teintés, mais il avait en le soin d'entourer d'un ruban noir la monture de fer.
En lui, tout respirait la misère et l'incurie à leur apogée. Son paletot, à larges poches éraillées, informe, graisseux, portait les traces de toutes les murailles essuyées à boire. Il devait être un de ces cyniques nomades qui, jugeant fastidieux de quitter les vêtements pour dormir, couchent tout habillés, à terre ou sur leur grabat.
Ce vieux, Paul et Rose le connaissaient bien. Ils l'avaient déjà rencontré dans les escaliers, et savaient qu'il habitait le taudis voisin et qu'on l'appelait le père Tantaine.
Sa vue rappela à Paul que d'une mansarde à l'autre on distinguait les moindres paroles, et cette idée qu'on l'avait écouté l'exaspéra.
– Que voulez-vous, monsieur, demanda-t-il brutalement, et qui vous a permis d'entrer chez moi sans frapper?
Cette question, adressée d'un ton presque menaçant, ne sembla ni fâcher ni déconcerter le vieil homme.
– Je mentirais, répondit-il, si je n'avouais pas que me trouvant par hasard chez moi, et vous entendant causer de vos petites affaires, j'ai prêté l'oreille.
– Monsieur!..
– Attendez donc, bouillante jeunesse!.. Vous en êtes vite venus à une querelle, et, par ma foi! cela s'explique. Quand il n'y a rien dans le râtelier, les chevaux les plus jolis, les mieux élevés se battent, je connais, ça, moi!
Il parlait de l'air le plus bénin, sans paraître avoir conscience de son indiscrétion.
– Eh bien! monsieur, fit Paul, profondément humilié, vous savez au juste, maintenant, jusqu'où la pauvreté peut faire descendre un homme de cœur. Êtes-vous satisfait?..
– Allons, bon! reprit le vieux, voilà que vous vous fâchez. Si je suis venu, sans dire gare, c'est qu'à mon avis des voisins se doivent aide et secours, surtout des voisins logés à notre enseigne. Quand j'ai été au courant de vos petits chagrins, je me suis dit: Voici de jolis enfants que je veux tirer de peine.
Cette déclaration, cette promesse d'assistance, dans la bouche d'un personnage de si piteuse apparence, avait quelque chose de si véritablement comique, que Rose ne put dissimuler un sourire.
Elle pensait que le vieux voisin allait tirer son porte-monnaie et offrir la moitié de sa fortune, une pièce de vingt sous ou de quarante, pour le moins.
Paul eut une idée pareille; mais il fut touché, lui, de cette obligeance si simple et si belle, sachant que l'argent emprunte aux circonstances une prodigieuse valeur, et que l'unique franc qui nous assure pour deux jours le pain du pauvre est un million de fois plus précieux que le billet de mille francs du riche.
– Hélas! monsieur, fit-il, visiblement radouci, que pouvez-vous pour nous?
– Qui sait!
– Vous voyez à quel extrême dénûment nous sommes arrivés peu à peu. Tout nous manque. Ne sommes-nous pas perdus?
Le père Tantaine leva les bras, comme pour prendre le ciel à témoin d'un blasphème.
– Perdus!.. dit-il. Ah! la perle cachée au fond de la mer et qui ignore sa valeur est perdue pareillement, si un pêcheur adroit ne la découvre. Les pêcheurs sont des malheureux qui ne portent pas de perles, mais ils en savent le prix et ils les confient à des joailliers…
Il acheva sa pensée par un petit rire discret dont le sens devait échapper à deux pauvres enfants qui avaient en germe tous les instincts mauvais, que poignaient toutes les convoitises, mais qui étaient ignorants et inexpérimentés.
– Enfin, monsieur, reprit Paul, je serais un sot orgueilleux si je n'acceptais pas vos offres généreuses.
– Parfait!.. Cela étant, il va falloir tout d'abord descendre chercher un bon repas. Il faut aussi faire monter du bois: il fait un froid ici!.. Ma vieille carcasse est à moitié gelée. Plus tard, nous songerons aux vêtements.
– Tout cela, soupira Rose, va nécessiter une grosse somme!
– Eh! qui vous dit que je ne l'ai pas?
Lentement, le père Tantaine déboutonna son