Vingt ans après. Dumas Alexandre

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Vingt ans après - Dumas Alexandre

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mais je dois ce procédé à mon ancien ami, homme qui avait l'étoffe en lui du plus noble et du plus généreux de tous les hommes.

      – Oh! M. Athos était un fier gentilhomme! dit Planchet.

      – N'est-ce pas? reprit d'Artagnan.

      – Semant l'argent comme le ciel fait de la grêle, continua Planchet, mettant l'épée à la main avec un air royal. Vous souvient-il, monsieur, du duel avec les Anglais dans l'enclos des Carmes? Ah! que M. Athos était beau et magnifique ce jour-là, lorsqu'il dit à son adversaire: «Vous avez exigé que je vous dise mon nom, monsieur; tant pis pour vous, car je vais être forcé de vous tuer!» J'étais près de lui et je l'ai entendu. Ce sont mot à mot ses propres paroles. Et ce coup d'oeil, monsieur, lorsqu'il toucha son adversaire comme il avait dit, et que son adversaire tomba, sans seulement dire ouf. Ah! monsieur, je le répète, c'était un fier gentilhomme.

      – Oui, dit d'Artagnan, tout cela est vrai comme l'Évangile, mais il aura perdu toutes ces qualités avec un seul défaut.

      – Je m'en souviens, dit Planchet, il aimait à boire, ou plutôt il buvait. Mais il ne buvait pas comme les autres. Ses yeux ne disaient rien quand il portait le verre à ses lèvres. En vérité, jamais silence n'a été si parlant. Quant à moi, il me semblait que je l'entendais murmurer: «Entre, liqueur! et chasse mes chagrins.» Et comme il vous brisait le pied d'un verre ou le cou d'une bouteille! il n'y avait que lui pour cela.

      – Eh bien! aujourd'hui, continua d'Artagnan, voici le triste spectacle qui nous attend. Ce noble gentilhomme à l'oeil fier, ce beau cavalier si brillant sous les armes, que l'on s'étonnait toujours qu'il tînt une simple épée à la main au lieu d'un bâton de commandement, eh bien! il se sera transformé en un vieillard courbé, au nez rouge, aux yeux pleurants. Nous allons le trouver couché sur quelque gazon, d'où il nous regardera d'un oeil terne, et qui peut-être ne nous reconnaîtra pas. Dieu m'est témoin, Planchet, continua d'Artagnan, que je fuirais ce triste spectacle si je ne tenais à prouver mon respect à cette ombre illustre du glorieux comte de La Fère, que nous avons tant aimé.

      Planchet hocha la tête et ne dit mot: on voyait facilement qu'il partageait les craintes de son maître.

      – Et puis, reprit d'Artagnan, cette décrépitude, car Athos est vieux maintenant; la misère, peut-être, car il aura négligé le peu de bien qu'il avait; et le sale Grimaud, plus muet que jamais et plus ivrogne que son maître… tiens, Planchet, tout cela me fend le coeur.

      – Il me semble que j'y suis, et que je le vois là bégayant et chancelant, dit Planchet d'un ton piteux.

      – Ma seule crainte, je l'avoue, reprit d'Artagnan, c'est qu'Athos n'accepte mes propositions dans un moment d'ivresse guerrière. Ce serait pour Porthos et moi un grand malheur et surtout un véritable embarras; mais, pendant sa première orgie, nous le quitterons, voilà tout. En revenant à lui, il comprendra.

      – En tout cas, monsieur, dit Planchet, nous ne tarderons pas à être éclairés, car je crois que ces murs si hauts, qui rougissent au soleil couchant, sont les murs de Blois.

      – C'est probable, répondit d'Artagnan, et ces clochetons aigus et sculptés que nous entrevoyons là-bas à gauche dans les bois ressemblent à ce que j'ai entendu dire de Chambord.

      – Entrerons-nous en ville? demanda Planchet.

      – Sans doute, pour nous renseigner.

      – Monsieur, je vous conseille, si nous y entrons, de goûter à certains petits pots de crème dont j'ai fort entendu parler, mais qu'on ne peut malheureusement faire venir à Paris et qu'il faut manger sur place.

      – Eh bien, nous en mangerons! sois tranquille, dit d'Artagnan.

      En ce moment un de ces lourds chariots, attelés de boeufs, qui portent le bois coupé dans les belles forêts du pays jusqu'aux ports de la Loire, déboucha par un sentier plein d'ornières sur la route que suivaient les deux cavaliers. Un homme l'accompagnait, portant une longue gaule armée d'un clou avec laquelle il aiguillonnait son lent attelage.

      – Hé! l'ami, cria Planchet au bouvier.

      – Qu'y a-t-il pour votre service, messieurs? dit le paysan avec cette pureté de langage particulière aux gens de ce pays et qui ferait honte aux citadins puristes de la place de la Sorbonne et de la rue de l'Université.

      – Nous cherchons la maison de M. le comte de La Fère, dit d'Artagnan; connaissez-vous ce nom-là parmi ceux des seigneurs des environs?

      Le paysan ôta son chapeau en entendant ce nom et répondit:

      – Messieurs, ce bois que je charrie est à lui; je l'ai coupé dans sa futaie et je le conduis au château.

      D'Artagnan ne voulut pas questionner cet homme, il lui répugnait d'entendre dire par un autre peut-être ce qu'il avait dit lui-même à Planchet.

      – Le château! se dit-il à lui-même, le château! Ah! je comprends! Athos n'est pas endurant; il aura forcé, comme Porthos, ses paysans à l'appeler monseigneur et à nommer château sa bicoque: il avait la main lourde, ce cher Athos, surtout quand il avait bu.

      Les boeufs avançaient lentement. D'Artagnan et Planchet marchaient derrière la voiture. Cette allure les impatienta.

      – Le chemin est donc celui-ci, demanda d'Artagnan au bouvier, et; nous pouvons le suivre sans crainte de nous égarer?

      – Oh! mon Dieu! oui, monsieur, dit l'homme, et vous pouvez le prendre au lieu de vous ennuyer à escorter des bêtes si lentes. Vous n'avez qu'une demi-lieue à faire et vous apercevrez un château sur la droite; on ne le voit pas encore d'ici, à cause d'un rideau de peupliers qui le cache. Ce château n'est point Bragelonne, c'est La Vallière: vous passerez outre; mais à trois portées de mousquet plus loin, une grande maison blanche, à toits en ardoises, bâtie sur un tertre ombragé de sycomores énormes, c'est le château de M. le comte de La Fère.

      – Et cette demi-lieue est-elle longue? demanda d'Artagnan, car il y a lieue et lieue dans notre beau pays de France.

      – Dix minutes de chemin, monsieur, pour les jambes fines de votre cheval.

      D'Artagnan remercia le bouvier et piqua aussitôt; puis, troublé malgré lui à l'idée de revoir cet homme singulier qui l'avait tant aimé, qui avait tant contribué par ses conseils et par son exemple à son éducation de gentilhomme, il ralentit peu à peu le pas de son cheval et continua d'avancer la tête basse comme un rêveur.

      Planchet aussi avait trouvé dans la rencontre et l'attitude de ce paysan matière à de graves réflexions. Jamais, ni en Normandie, ni en Franche-Comté, ni en Artois, ni en Picardie, pays qu'il avait particulièrement habités, il n'avait rencontré chez les villageois cette allure facile, cet air poli, ce langage épuré. Il était tenté de croire qu'il avait rencontré quelque gentilhomme, frondeur comme lui, qui, pour cause politique, avait été forcé comme lui de se déguiser.

      Bientôt, au détour du chemin, le château de La Vallière, comme l'avait dit le bouvier, apparut aux yeux des voyageurs; puis à un quart de lieue plus loin environ, la maison blanche encadrée dans ses sycomores, se dessina sur le fond d'un massif d'arbres épais que le printemps poudrait d'une neige de fleurs.

      À cette vue d'Artagnan, qui d'ordinaire s'émotionnait peu, sentit un trouble étrange pénétrer jusqu'au fond de son coeur, tant sont puissants pendant tout le cours de la vie ces souvenirs de jeunesse. Planchet, qui n'avait pas les mêmes motifs d'impression,

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