Vingt ans après. Dumas Alexandre

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Vingt ans après - Dumas Alexandre

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Rustaud, monseigneur; c'est une bonne bête, avec laquelle je m'entends à merveille.

      – C'est vigoureux, n'est-ce pas?

      – Normand croisé Mecklembourg, ça irait jour et nuit.

      – Voilà notre affaire. Tu feras restaurer les trois bêtes, tu fourbiras ou tu feras fourbir mes armes; plus, des pistolets pour toi et un couteau de chasse.

      – Nous voyagerons donc, monseigneur? dit Mousqueton d'un air inquiet.

      D'Artagnan, qui n'avait jusque-là fait que des accords vagues, battit une marche.

      – Mieux que cela, Mouston! répondit Porthos.

      – Nous faisons une expédition, monsieur? dit l'intendant, dont les roses commençaient à se changer en lis.

      – Nous rentrons au service, Mouston! répondit Porthos en essayant toujours de faire reprendre à sa moustache ce pli martial qu'elle avait perdu.

      Ces paroles étaient à peine prononcées que Mousqueton fut agité d'un tremblement qui secouait ses grosses joues marbrées, il regarda d'Artagnan d'un air indicible de tendre reproche, que l'officier ne put supporter sans se sentir attendri; puis il chancela, et d'une voix étranglée:

      – Du service! du service dans les armées du roi? dit-il.

      – Oui et non. Nous allons refaire campagne, chercher toutes sortes d'aventures, reprendre la vie d'autrefois, enfin.

      Ce dernier mot tomba sur Mousqueton comme la foudre. C'était cet autrefois si terrible qui faisait le maintenant si doux.

      – Oh! mon Dieu! qu'est-ce que j'entends? dit Mousqueton avec un regard plus suppliant encore que le premier, à l'adresse de d'Artagnan.

      – Que voulez-vous, mon pauvre Mouston? dit d'Artagnan, la fatalité…

      Malgré la précaution qu'avait prise d'Artagnan de ne pas le tutoyer et de donner à son nom la mesure qu'il ambitionnait, Mousqueton n'en reçut pas moins le coup, et le coup fut si terrible, qu'il sortit tout bouleversé en oubliant de fermer la porte.

      – Ce bon Mousqueton, il ne se connaît plus de joie, dit Porthos du ton que Don Quichotte dut mettre à encourager Sancho à seller son grison pour une dernière campagne.

      Les deux amis restés seuls se mirent à parler de l'avenir et à faire mille châteaux en Espagne. Le bon vin de Mousqueton leur faisait voir, à d'Artagnan une perspective toute reluisante de quadruples et de pistoles, à Porthos le cordon bleu! et le manteau ducal. Le fait est qu'ils dormaient sur la table lorsqu'on vint les inviter à passer dans leur lit.

      Cependant, dès le lendemain, Mousqueton fut un peu réconforté par d'Artagnan, qui lui annonça que probablement la guerre se ferait toujours au coeur de Paris et à la portée du château du Vallon, qui était près de Corbeil; de Bracieux, qui était près de Melun, et de Pierrefonds, qui était entre Compiègne et Villers-Cotterêts.

      – Mais il me semble qu'autrefois… dit timidement Mousqueton.

      – Oh! dit d'Artagnan, on ne fait pas la guerre à la manière d'autrefois. Ce sont aujourd'hui affaires diplomatiques, demandez à Planchet.

      Mousqueton alla demander ces renseignements à son ancien ami, lequel confirma en tout point ce qu'avait dit d'Artagnan; seulement, ajouta-t-il, dans cette guerre, les prisonniers courent le risque d'être pendus.

      – Peste, dit Mousqueton, je crois que j'aime encore mieux le siège de La Rochelle.

      Quant à Porthos, après avoir fait tuer un chevreuil à son hôte, après l'avoir conduit de ses bois à sa montagne, de sa montagne à ses étangs, après lui avoir fait voir ses lévriers, sa meute, Gredinet, tout ce qu'il possédait enfin, et fait refaire trois autres repas des plus somptueux, il demanda ses instructions définitives à d'Artagnan, forcé de le quitter pour continuer son chemin.

      – Voici, cher ami! lui dit le messager; il me faut quatre jours pour aller d'ici à Blois, un jour pour y rester, trois ou quatre jours pour retourner à Paris. Partez donc dans une semaine avec vos équipages; vous descendrez rue Tiquetonne, à l'hôtel de la Chevrette, et vous attendrez mon retour.

      – C'est convenu, dit Porthos.

      – Moi je vais faire un tour sans espoir chez Athos, dit d'Artagnan; mais, quoique je le croie devenu fort incapable, il faut observer les procédés avec ses amis.

      – Si j'allais avec vous, dit Porthos, cela me distrairait peut- être.

      – C'est possible, dit d'Artagnan, et moi aussi; mais vous n'auriez plus le temps de faire vos préparatifs.

      – C'est vrai, dit Porthos. Partez donc, et bon courage; quant à moi, je suis plein d'ardeur.

      – À merveille! dit d'Artagnan.

      Et ils se séparèrent sur les limites de la terre de Pierrefonds, jusqu'aux extrémités de laquelle Porthos voulut conduire son ami.

      – Au moins, disait d'Artagnan tout en prenant la route de Villers-Cotterêts, au moins je ne serai pas seul. Ce diable de Porthos est encore d'une vigueur superbe. Si Athos vient, eh bien! nous serons trois à nous moquer d'Aramis, de ce petit frocard à bonnes fortunes.

      À Villers-Cotterêts il écrivit au cardinal.

      «Monseigneur, j'en ai déjà un à offrir à Votre Éminence, et celui- là vaut vingt hommes. Je pars pour Blois, le comte de La Fère habitant le château de Bragelonne aux environs de cette ville.»

      Et sur ce il prit la route de Blois tout en devisant avec Planchet, qui lui était une grande distraction pendant ce long voyage.

      XV. Deux têtes d'ange

      Il s'agissait d'une longue route; mais d'Artagnan ne s'en inquiétait point: il savait que ses chevaux s'étaient rafraîchis aux plantureux râteliers du seigneur de Bracieux. Il se lança donc avec confiance dans les quatre ou cinq journées de marche qu'il avait à faire suivi du fidèle Planchet.

      Comme nous l'avons déjà dit, ces deux hommes, pour combattre les ennuis de la route, cheminaient côte à côte et causaient toujours ensemble. D'Artagnan avait peu à peu dépouillé le maître, et Planchet avait quitté tout à fait la peau du laquais. C'était un profond matois, qui, depuis sa bourgeoisie improvisée, avait regretté souvent les franches lippées du grand chemin ainsi que la conversation et la compagnie brillante des gentilshommes, et qui, se sentant une certaine valeur personnelle, souffrait de se voir démonétiser par le contact perpétuel des gens à idées plates.

      Il s'éleva donc bientôt avec celui qu'il appelait encore son maître au rang de confident. D'Artagnan depuis de longues années n'avait pas ouvert son coeur. Il arriva que ces deux hommes en se retrouvant s'agencèrent admirablement.

      D'ailleurs, Planchet n'était pas un compagnon d'aventures tout à fait vulgaire; il était homme de bon conseil; sans chercher le danger il ne reculait pas aux coups, comme d'Artagnan avait eu plusieurs fois occasion de s'en apercevoir; enfin, il avait été soldat, et les armes anoblissaient; et puis, plus que tout cela, si Planchet avait besoin de lui, Planchet ne lui était pas non plus inutile. Ce fut donc presque sur le pied de deux bons amis que d'Artagnan et Planchet arrivèrent dans le Blaisois.

      Chemin

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