Vingt ans après. Dumas Alexandre

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Vingt ans après - Dumas Alexandre

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avec le goût qui distingue les fontes de cette époque.

      On voyait par cette grille des potagers tenus avec soin, une cour assez spacieuse dans laquelle piétinaient plusieurs chevaux de main tenus par des valets en livrées différentes, et un carrosse attelé de deux chevaux du pays.

      – Nous nous trompons, ou cet homme nous a trompés, dit d'Artagnan, ce ne peut être là que demeure Athos. Mon Dieu! serait-il mort, et cette propriété appartiendrait-elle à quelqu'un de son nom? Mets pied à terre, Planchet, et va t'informer; j'avoue que pour moi je n'en ai pas le courage.

      Planchet mit pied à terre.

      – Tu ajouteras, dit d'Artagnan, qu'un gentilhomme qui passe désire avoir l'honneur de saluer M. le comte de La Fère, et si tu es content des renseignements, eh bien! alors nomme-moi.

      Planchet, traînant son cheval par la bride, s'approcha de la porte, fit retentir la cloche de la grille, et aussitôt un homme de service, aux cheveux blanchis, à la taille droite malgré son âge, vint se présenter et reçut Planchet.

      – C'est ici que demeure M. le comte de La Fère? demanda Planchet.

      – Oui, monsieur, c'est ici, répondit le serviteur à Planchet, qui ne portait pas de livrée.

      – Un seigneur retiré du service, n'est-ce pas?

      – C'est cela même.

      – Et qui avait un laquais nommé Grimaud, reprit Planchet, qui, avec sa prudence habituelle, ne croyait pas pouvoir s'entourer de trop de renseignements.

      – M. Grimaud est absent du château pour le moment, dit le serviteur commençant à regarder Planchet des pieds à la tête, peu accoutumé qu'il était à de pareilles interrogations.

      – Alors, s'écria Planchet radieux, je vois bien que c'est le même comte de La Fère que nous cherchons. Veuillez m'ouvrir alors, car je désirais annoncer à M. le comte que mon maître, un gentilhomme de ses amis, est là qui voudrait le saluer.

      – Que ne disiez-vous cela plus tôt! dit le serviteur en ouvrant la grille. Mais votre maître, où est-il?

      – Derrière moi, il me suit.

      Le serviteur ouvrit la grille et précéda Planchet, lequel fit signe à d'Artagnan, qui, le coeur plus palpitant que jamais, entra à cheval dans la cour.

      Lorsque Planchet fut sur le perron, il entendit une voix sortant d'une salle basse et qui disait:

      – Eh bien! où est-il, ce gentilhomme, et pourquoi ne pas le conduire ici?

      Cette voix, qui parvint jusqu'à d'Artagnan, réveilla dans son coeur mille sentiments, mille souvenirs qu'il avait oubliés. Il sauta précipitamment à bas de son cheval, tandis que Planchet, le sourire sur les lèvres, s'avançait vers le maître du logis.

      – Mais je connais ce garçon-là, dit Athos en apparaissant sur le seuil.

      – Oh! oui, monsieur le comte, vous me connaissez, et moi aussi je vous connais bien. Je suis Planchet, monsieur le comte, Planchet, vous savez bien…

      Mais l'honnête serviteur ne put en dire davantage, tant l'aspect inattendu du gentilhomme l'avait saisi.

      – Quoi! Planchet! s'écria Athos. M. d'Artagnan serait-il donc ici?

      – Me voici, ami! me voici, cher Athos, dit d'Artagnan en balbutiant et presque chancelant.

      À ces mots une émotion visible se peignit à son tour sur le beau visage et les traits calmes d'Athos. Il fit deux pas rapides vers d'Artagnan sans le perdre du regard et le serra tendrement dans ses bras. D'Artagnan, remis de son trouble, l'étreignit à son tour avec une cordialité qui brillait en larmes dans ses yeux…

      Athos le prit alors par la main, qu'il serrait dans les siennes, et le mena au salon, où plusieurs personnes étaient réunies. Tout le monde se leva.

      – Je vous présente, dit Athos, monsieur le chevalier d'Artagnan, lieutenant aux mousquetaires de Sa Majesté, un ami bien dévoué, et l'un des plus braves et des plus aimables gentilshommes que j'aie jamais connus.

      D'Artagnan, selon l'usage, reçut les compliments des assistants, les rendit de son mieux, prit place au cercle, et, tandis que la conversation interrompue un moment redevenait générale, il se mit à examiner Athos.

      Chose étrange! Athos avait vieilli à peine. Ses beaux yeux, dégagés de ce cercle de bistre que dessinent les veilles et l'orgie, semblaient plus grands et d'un fluide plus pur que jamais; son visage, un peu allongé, avait gagné en majesté ce qu'il avait perdu d'agitation fébrile; sa main, toujours admirablement belle et nerveuse, malgré la souplesse des chairs, resplendissait sous une manchette de dentelles, comme certaines mains de Titien et de Van Dick; il était plus svelte qu'autrefois; ses épaules, bien effacées et larges, annonçaient une vigueur peu commune; ses longs cheveux noirs, parsemés à peine de quelques cheveux gris, tombaient élégants sur ses épaules, et ondulés comme par un pli naturel; sa voix était toujours fraîche comme s'il n'eût eu que vingt-cinq ans, et ses dents magnifiques, qu'il avait conservées blanches et intactes, donnaient un charme inexprimable à son sourire.

      Cependant les hôtes du comte, qui s'aperçurent, à la froideur imperceptible de l'entretien, que les deux amis brûlaient du désir de se trouver seuls, commencèrent à préparer, avec tout cet art et cette politesse d'autrefois, leur départ, cette grave affaire des gens du grand monde, quand il y avait des gens du grand monde; mais alors un grand bruit de chiens aboyants retentit dans la cour, et plusieurs personnes dirent en même temps:

      – Ah! c'est Raoul qui revient.

      Athos, à ce nom de Raoul, regarda d'Artagnan, et sembla épier la curiosité que ce nom devait faire naître sur son visage. Mais d'Artagnan ne comprenait encore rien, il était mal revenu de son éblouissement. Ce fut donc presque machinalement qu'il se retourna, lorsqu'un beau jeune homme de quinze ans, vêtu simplement, mais avec un goût parfait, entra dans le salon en levant gracieusement son feutre orné de longues plumes rouges.

      Cependant ce nouveau personnage, tout à fait inattendu, le frappa. Tout un monde d'idées nouvelles se présenta à son esprit, lui expliquant par toutes les sources de son intelligence le changement d'Athos, qui jusque-là lui avait paru inexplicable. Une ressemblance singulière entre le gentilhomme et l'enfant lui expliquait le mystère de cette vie régénérée. Il attendit, regardant et écoutant.

      – Vous voici de retour, Raoul? dit le comte.

      – Oui, monsieur, répondit le jeune homme avec respect, et je me suis acquitté de la commission que vous m'aviez donnée.

      – Mais qu'avez-vous, Raoul? dit Athos avec sollicitude, vous êtes pâle et vous paraissez agité.

      – C'est qu'il vient, monsieur, répondit le jeune homme, d'arriver un malheur à notre petite voisine.

      – À mademoiselle de La Vallière? dit vivement Athos.

      – Quoi donc? demandèrent quelques voix.

      – Elle se promenait avec sa bonne Marceline dans l'enclos où les bûcherons équarrissent leurs arbres, lorsqu'en passant à cheval je l'ai aperçue et me suis arrêté. Elle m'a aperçu à son tour, et, en voulant sauter du haut d'une pile de bois où elle était montée, le pied de la pauvre enfant est tombé à faux et elle n'a pu se relever. Elle s'est,

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