Acté. Dumas Alexandre

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Acté - Dumas Alexandre

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action et voir cet hommage sans aucun étonnement; car, sans tendre la main à l'athlète, sans le relever, il jeta circulairement les yeux autour de lui, comme pour demander à cette foule étonnée s'il était dans ses rangs un homme qui osât lui contester sa victoire. Mais nul ne fit un geste, nul ne prononça une parole, et ce fut au milieu du plus profond silence que Lucius s'avança vers l'estrade du proconsul, qui lui tendit la couronne. En ce moment seulement, quelques applaudissements éclatèrent; mais il fut facile de reconnaître, dans ceux qui donnaient cette marque d'approbation, les matelots du bâtiment qui avait transporté Lucius.

      Et cependant le sentiment qui dominait cette foule n'était point défavorable au jeune Romain: c'était comme une terreur superstitieuse qui s'était répandue sur cette assemblée. Cette force surnaturelle, réunie à tant de jeunesse, rappelait les prodiges des âges héroïques; les noms de Thésée, de Pirithoüs, se trouvaient sur toutes les lèvres; et, sans que nul eût communiqué sa pensée, chacun était prêt à croire à la présence d'un demi-dieu. Enfin, cet hommage public, cet aveu anticipé de sa défaite, cet abaissement de l'esclave devant le maître, achevaient de donner quelque consistance à cette pensée. Aussi, lorsque le vainqueur sortit du cirque, s'appuyant d'un côté sur le bras d'Amyclès, et de l'autre laissant tomber sa main sur l'épaule de Sporus, toute cette foule le suivit jusqu'à la porte de son hôte, curieuse, pressée, mais en même temps si muette et si craintive, qu'on eût, certes dit, bien plutôt un convoi funéraire qu'une pompe triomphale.

      Arrivé aux portes de la ville les jeunes filles et les femmes qui n'avaient pu assister au combat attendaient le vainqueur, des branches de laurier à la main. Lucius chercha des yeux Acté au milieu de ses compagnes; mais, soit honte, soit crainte, Acté était absente, et il la chercha vainement. Alors il doubla le pas, espérant que la jeune Corinthienne l'attendait au seuil de la porte qu'elle lui avait ouverte la veille; il traversa cette place qu'il avait traversée avec elle, prit la rue par laquelle elle l'avait guidé; mais aucune couronne, aucun feston n'ornaient la porte hospitalière. Lucius en franchit rapidement le seuil, et s'élança dans le vestibule, laissant bien loin derrière lui le vieillard; le vestibule était vide, mais par la porte qui donnait sur le parterre, il aperçut la jeune fille à genoux devant une statue de Diane, blanche et immobile comme le marbre qu'elle tenait embrassé; alors il s'avança doucement derrière elle, et lui posa sur la tête la couronne qu'il venait de remporter. Acté jeta un cri, se retourna vivement vers Lucius, et les yeux ardents et fiers du jeune Romain lui annoncèrent, mieux encore que la couronne qui roula à ses pieds, que son hôte avait remporté la première des trois palmes qu'il venait disputer à la Grèce.

      Chapitre IV

      Le lendemain, dès le matin, Corinthe tout entière sembla revêtir ses habits de fête. Les courses de chars, sans être les jeux les plus antiques, étaient les plus solennels; ils se célébraient en présence des images des dieux; et, réunies pendant la nuit dans le temple de Jupiter qui s'élevait près de la porte de Léchée, c'est-à-dire vers la partie orientale de la ville, les statues sacrées devaient traverser la cité dans toute sa longueur, pour aller gagner le cirque qui s'élevait sur le versant opposé, et en vue du port de Crissa. À dix heures du matin, c'est-à-dire vers la quatrième heure du jour, selon la division romaine, le cortège se mit en route. Le proconsul Lentulus marchait le premier, monté sur un char et portant le costume de triomphateur; puis, derrière lui, venait une troupe de jeunes gens de quatorze ou quinze ans, tous fils de chevaliers, montés sur de magnifiques chevaux ornés de housses d'écarlate et d'or; puis, derrière les jeunes gens, les concurrents au prix de la journée; et en tête, comme vainqueur de la veille, vêtu d'une tunique verte, Lucius, sur un char d'or et d'ivoire, menant avec des rênes de pourpre un magnifique quadrige blanc. Sur sa tête, où l'on cherchait en vain la couronne de la lutte, brillait un cercle radiant pareil à celui dont les peintres ceignent le front du soleil; et, pour ajouter encore à sa ressemblance avec ce dieu, sa barbe était semée de poudre d'or. Derrière lui marchait un jeune Grec de la Thessalie, fier et beau comme Achille, vêtu d'une tunique jaune, et conduisant un char de bronze attelé de quatre chevaux noirs. Les deux derniers étaient, l'un un Athénien qui prétendait descendre d'Alcibiade, et l'autre un Syrien, au teint brûlé par le soleil. Le premier s'avançait couvert d'une tunique bleue, et laissant flotter au vent ses longs cheveux noirs et parfumés; le second était vêtu d'une espèce de robe blanche nouée à la taille par une ceinture perse, et, comme les fils d'lsmaël, il avait la tête ceinte d'un turban blanc, aussi éclatant que la neige qui brille au sommet du Sinaï.

      Puis venaient, précédant les statues des dieux, une troupe de harpistes et de joueurs de flûte, déguisés en satyres et en silènes, auxquels étaient mêlés les ministres subalternes du culte des douze grands dieux, portant des coffres et des vases remplis de parfums, et des cassolettes d'or et d'argent où fumaient les aromates les plus précieux; enfin, dans des litières fermées et terminant la marche, étaient placées, couchées ou debout, les images divines, traînées par de magnifiques chevaux, et escortées par des chevaliers et des patriciens. Ce cortège, qui avait à traverser la ville dans presque toute sa largeur, défilait entre un double rang, de maisons couvertes de tableaux, décorées de statues, ou tendues de tapisseries. Arrivé devant la porte d'Amyclès, Lucius se retourna pour chercher Acté; et, sous un des pans du voile de pourpre étendu devant la façade de la maison, il aperçut, rougissante et craintive, la tête de la jeune fille ornée de la couronne que la veille il avait laissé rouler à ses pieds. Acté, surprise, laissa retomber la tapisserie; mais, à travers le voile qui la cachait, elle entendit la voix du jeune Romain qui disait:

      – Viens au-devant de mon retour, ô ma belle hôtesse! et je changerai ta couronne d'olivier en une couronne d'or.

      Vers le milieu du jour, le cortège atteignit l'entrée du cirque. C'était un immense bâtiment de deux mille pieds de long sur huit cents de large. Divisée par une muraille haute de six pieds, qui s'étendait dans toute sa longueur, moins, à chaque extrémité, le passage pour quatre chars, cette spina était couronnée, dans toute son étendue, d'autels, de temples, de piédestaux vides qui, pour cette solennité seulement, attendaient les statues des dieux. L'un des bouts du cirque était occupé par les carceres ou écuries, l'autre par les gradins; à chaque extrémité de la muraille se trouvaient trois bornes placées en triangle, qu'il fallait doubler sept fois pour accomplir la course voulue.

      Les cochers, comme ou l'a vu, avaient pris les livrées des différentes factions qui, à cette heure, divisaient Rome, et, comme de grands paris avait été établis d'avance, les parieurs avaient adopté les couleurs de ceux des agitatores qui, par leur bonne mine, la race de leurs chevaux, ou leurs triomphes passés, leur avaient inspiré le plus de confiance. Presque tous les gradins du cirque étaient donc couverts de spectateurs qui, à l'enthousiasme qu'inspiraient habituellement ces sortes de jeux, joignaient encore l'intérêt personnel qu'ils prenaient à leurs clients. Les femmes elles-mêmes avaient adopté les divers partis, et on les reconnaissait à leurs ceintures et à leurs voiles assortis aux couleurs que portaient les quatre coureurs. Aussi, lorsqu'on entendit s'approcher le cortège, un mouvement étrange, et qui sembla agiter d'un frisson électrique la multitude, fit-elle bouillonner toute cette mer humaine, dont les têtes semblaient des vagues animées et bruyantes; et dès que les portes furent ouvertes, le peu d'intervalle qui restait libre fut-il comblé par les flots de nouveaux spectateurs qui vinrent comme un flux battre les murs du colosse de pierre. Aussi à peine le quart des curieux qui accompagnaient le cortège put-il entrer, et l'on vit toute cette foule, repoussée par la garde du proconsul, cherchant tous les points élevés qui lui permettaient de dominer le cirque, s'attacher aux branches des arbres, se suspendre aux créneaux des remparts, et couronner de ses fleurons vivants les terrasses des maisons les plus rapprochées.

      À peine chacun avait-il pris sa place, que la porte principale s'ouvrit, et que Lentulus, apparaissant à l'entrée du cirque, fit tout à coup succéder le silence profond de la curiosité à l'agitation bruyante de l'attente. Soit confiance dans Lucius, déjà vainqueur la veille, soit flatterie pour le divin empereur Claudius Néron, qui protégeait à Rome la faction verte à laquelle il se

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