Le meunier d'Angibault. Жорж Санд
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– Si nous en avions un comme ça pour nous réjouir à la maison? hein, mère? Mais ça ne sera jamais!
Et la mère comprit qu'il ne voulait se marier qu'avec celle à laquelle il ne pouvait raisonnablement prétendre.
VII.
BLANCHEMONT
Marcelle ayant embrassé la meunière et largement récompensé en cachette les serviteurs du moulin, remonta gaiement dans l'infernale patache. Son premier essai d'égalité avait épanoui son âme, et la suite du roman qu'elle voulait réaliser se présentait à ses yeux sous les plus poétiques couleurs. Mais le seul aspect de Blanchemont rembrunit singulièrement ses pensées, et son coeur se serra dès qu'elle eut franchi la porte de son domaine.
En remontant le cours de la Vauvre, et après avoir gravi un mamelon assez raide, on se trouve sur le tré ou terrier, c'est-à-dire le tertre de Blanchemont. C'est une belle pelouse ombragée de vieux arbres, et dominant un site charmant, non pas des plus étendus de la Vallée-Noire, mais frais, mélancolique et d'un aspect assez sauvage, à cause de la rareté des habitations dont on aperçoit à peine les toits de chaume ou de tuile brune au milieu des arbres.
Une pauvre église et les maisonnettes du hameau entourent ce tertre incliné vers la rivière, qui fait en cet endroit de gracieux détours. De là un large chemin raboteux conduit au château situé un peu en arrière au-dessous du tertre, au milieu des champs de blé. On rentre en plaine, on perd de vue les beaux horizons bleus du Berri et de la Marche. Il faut monter aux seconds étages du château pour les retrouver.
Ce château n'a jamais été d'une grande défense: les murs n'ont pas plus de cinq à six pieds d'épaisseur en bas, les tours élancées sont encorbellées. Il date de la fin des guerres de la féodalité. Cependant la petitesse des portes, la rareté des fenêtres, et les nombreux débris de murailles et de tourelles qui lui servaient d'enceinte, signalent un temps de méfiance où l'on se mettait encore à l'abri d'un coup de main. C'est un caste! assez élégant, un carré long renfermant à tous les étages une seule grande pièce, avec quatre tours contenant de plus petites chambres aux angles, et une autre tour sur la face de derrière servant de cage à l'unique escalier. La chapelle est isolée par la destruction des anciens communs; les fossés sont comblés en partie, les tourelles d'enceinte sont tronquées à la moitié, et l'étang qui baignait jadis le château du côté du nord est devenu une jolie prairie oblongue, avec une petite source au milieu.
Mais l'aspect encore pittoresque du vieux château ne frappa d'abord que secondairement l'attention de l'héritière de Blanchemont. Le meunier, en l'aidant à descendre de voiture, la dirigeait vers ce qu'il appelait le château neuf et les vastes dépendances de la ferme, situées au pied du manoir antique et bordant une très-grande cour fermée d'un côté par un mur crénelé, de l'autre par une haie et un fossé plein d'eau bourbeuse. Rien de plus triste et de plus déplaisant que cette demeure des riches fermiers. Le château neuf n'est qu'une grande maison de paysan, bâtie, il y a peut-être cinquante ans, avec les débris des fortifications. Cependant les murs solides, fraîchement recrépis, et la toiture en tuiles neuves d'un rouge criard, annonçaient de récentes réparations. Ce rajeunissement extérieur jurait avec la vétusté des autres bâtiments d'exploitation et la malpropreté insigne de la cour. Ces bâtiments sombres, et offrant des traces d'ancienne architecture, mais solides et bien entretenus, formaient un développement de granges et d'étables d'un seul tenant qui faisait l'orgueil des fermiers et l'admiration de tous les agriculteurs du pays. Mais cette enceinte, si utile à l'industrie agricole, et si commode pour l'emménagement du bétail et de la récolte, enfermait les regards et la pensée dans un espace triste, prosaïque et d'une saleté repoussante. D'énormes monceaux de fumier enfoncés dans leurs fosses carrées en pierres de taille, et s'élevant encore à dix ou douze pieds de hauteur, laissaient échapper des ruisseaux immondes qu'on faisait écouler à dessein en toute liberté vers les terrains inférieurs pour réchauffer les légumes du potager. Ces provisions d'engrais, richesse favorite du cultivateur, charment sa vue et font glorieusement palpiter son coeur satisfait, lorsqu'un confrère vient les contempler avec l'admiration de l'envie. Dans les petites exploitations rustiques, ces détails n'offensent pourtant ni les yeux ni l'esprit de l'artiste. Leur désordre, l'encombrement des instruments aratoires, la verdure qui vient tout encadrer, les cachent ou les relèvent; mais sur une grande échelle et sur un terrain vaste, rien de plus déplaisant que cet horizon d'immondices. Des nuées de dindons, d'oies et de canards se chargent d'empêcher qu'on puisse mettre le pied avec sécurité sur un endroit épargné par l'écoulement des fumerioux (les tas de fumier). Le terrain, inégal et pelé, est traversé par une voie pavée, qui en cet instant, n'était pas plus praticable que le reste. Les débris de la vieille toiture du château neuf étant restés épars sur le sol, on marchait littéralement sur un champ de tuiles brisées. Il y avait pourtant près de six mois que le travail des couvreurs était terminé; mais ces réparations étaient à la charge du propriétaire, tandis que le soin d'enlever le déchet et de nettoyer la cour regardait le fermier. Il se promettait donc de le faire quand les occupations de l'été auraient cessé et que ses serviteurs pourraient s'en charger. D'une part, il y avait le motif d'économiser quelques journées d'ouvrier; de l'autre, cette profonde apathie du Berrichon, qui laisse toujours quelque chose d'inachevé, comme si, après un effort l'activité épuisée demandait un repos indispensable et les délices de la négligence avant la fin de la tâche.
Marcelle compara cette grossière et repoussante opulence agricole, au poétique bien-être du meunier; et elle lui aurait adressé quelque réflexion à cet égard, si, au milieu des cris de détresse des dindons effarouchés et pourtant immobiles de terreur, du sifflement des oies mères de famille, et des aboiements de quatre ou cinq chiens maigres au poil jaune, elle eût pu placer une parole. Comme c'était le dimanche, les boeufs étaient à l'étable et les laboureurs sur le pas de la porte, dans leurs habits de fête, c'est-à-dire en gros drap bleu de Prusse, de la tête aux pieds. Ils regardèrent entrer la patache avec beaucoup d'étonnement, mais aucun ne se dérangea pour la recevoir et pour avertir le fermier de l'arrivée d'une visite. Il fallut que Grand-Louis servît d'introducteur à madame de Blanchemont; il n'y fit pas beaucoup de façons et entra sans frapper, en disant:
– Madame Bricolin, venez donc! voilà madame de Blanchemont qui vient vous voir.
Cette nouvelle imprévue causa un si vif saisissement aux trois dames Bricolin qui venaient de rentrer de la messe, et qui étaient en train de manger debout une légère collation, qu'elles restèrent stupéfaites, se regardant comme pour se demander ce qu'il fallait dire et faire en pareille circonstance; et elles n'avaient pas encore bougé de leur place lorsque Marcelle entra. Le groupe qui se présenta à ses regards était composé de trois générations. La mère Bricolin, qui ne savait ni lire ni écrire, et qui était vêtue en paysanne; madame Bricolin, épouse du fermier, un peu plus élégante que sa belle-mère, ayant à peu près la tenue d'une gouvernante de curé: celle-là savait signer son nom lisiblement, et trouver les heures du lever du soleil et les phases de la lune dans l'almanach de Liège; enfin, mademoiselle Rose Bricolin, belle et fraîche en effet comme une rose du mois de mai, qui savait très-bien lire des romans, écrire la dépense de la maison et danser la contredanse. Elle était coiffée en cheveux, et portait une jolie robe de mousseline couleur de rose, qui dessinait à merveille