Le meunier d'Angibault. Жорж Санд

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Le meunier d'Angibault - Жорж Санд

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on va vous bâtir un château comme celui-ci, assez solide pour durer cinq ou six cents ans. Sachez donc qu'au jour d'aujourd'hui on ne remue de fonds que dans l'industrie, les chemins de fer et autres grosses affaires où il y a cent pour cent à perdre ou à gagner. Quant aux propriétés territoriales, c'est le diable à déloger. Dans notre pays, tout le monde voudrait vendre, et personne ne veut acheter, tant on est las d'enterrer dans les sillons de gros capitaux pour un mince revenu. La terre est bonne pour quiconque y réside, en vit et y fait des économies; c'est la vie des campagnards comme moi. Mais pour vous autres gens des villes, c'est un revenu misérable. Ainsi donc, un bien de cinquante, cent mille francs au plus, trouvera parmi mes pareils des acquéreurs empressés. Un bien de huit cent mille francs dépasse généralement nos moyens, et il vous faudra chercher, dans l'étude de votre notaire à Paris un capitaliste qui ne sache que faire de ses fonds. Pensez-vous qu'il y en ait beaucoup au jour d'aujourd'hui? Quand on peut jouer à la bourse, à la roulette, aux z'houliêres, aux chemins de fer, aux places et à mille autres gros jeux? Il vous faudra donc rencontrer quelque vieux noble peureux qui aime mieux placer son argent à deux pour cent, dans la crainte d'une révolution, que de se lancer dans les belles spéculations qui tentent tout le monde au jour d'aujourd'hui. Encore faudrait-il qu'il y eût une belle maison d'habitation où un vieux rentier pût venir finir ses jours. Mais vous voyez votre château? je n'en voudrais pas pour les matériaux. La peine de le jeter par terre ne vaudrait pas ce qu'on en retirerait de charpente pourrie et de moellons fendus. Ainsi donc, vous pouvez bien, en faisant afficher votre terre, la vendre en bloc un de ces matins; mais vous pouvez bien aussi attendre dix ans; car votre notaire aura beau dire et imprimer sur ses pancartes, comme c'est l'usage, qu'elle rapporte trois et trois et demi; on verra mon bail, et on saura que, les impôts défalqués, elle n'en rapporte pas deux.

      – Voire bail a peut-être été conclu en raison des avances que vous aviez faites à M. de Blanchemont? dit Marcelle en souriant.

      – Comme de juste! répondit Bricolin avec aplomb, et mon bail est de vingt ans; il y en a un d'écoulé, reste dix-neuf. Vous le savez bien, vous l'avez signé. Après cela, vous ne l'avez peut-être pas lu… Dame! c'est votre faute.

      – Aussi, je ne m'en prends à personne. Donc, je ne puis pas vendre en bloc, mais en détail?

      – En détail, vous vendrez bien, vous vendrez cher, mais on ne vous paiera pas.

      – Pourquoi cela?

      – Parce que vous serez forcée de vendre à beaucoup de gens dont la plupart ne seront pas solvables, à des paysans qui, les meilleurs, s'acquitteront sou par sou à la longue, et, les plus gueux, qui se laisseront tenter par l'amour de posséder un peu de terre, comme ils font tous au jour d'aujourd'hui, et qu'il vous faudra exproprier au bout de dix ans, sans avoir touché de revenu. Cela vous ennuiera de les tourmenter?

      – Et je ne m'y résoudrai jamais. Ainsi, monsieur Bricolin, selon vous, je ne puis ni vendre ni conserver?

      – Si vous voulez être raisonnable, ne pas vendre cher et palper du comptant, vous pouvez vendre à quelqu'un que je connais.

      – A qui donc?

      – A moi.

      – A vous, monsieur Bricolin?

      – A moi, Nicolas-Étienne Bricolin.

      – En effet, dit Marcelle, qui se rappela en cet instant quelques paroles échappées au meunier d'Angibault; j'ai entendu parler de cela. Et quelles sont vos propositions?

      – Je m'arrange avec vos créanciers hypothécaires, je démembre la terre, je vends à ceux-ci, j'achète à ceux-là, je garde ce qui est à ma convenance et je vous paie le reste.

      – Et les créanciers, vous les payez comptant aussi? Vous êtes énormément riche, monsieur Bricolin?

      – Non, je les fais attendre, et, d'une manière ou de l'autre, je vous en débarrasse.

      – Je croyais qu'ils voulaient tous être remboursés immédiatement; vous me l'aviez dit?

      – Ils seraient exigeants avec vous; ils me feront crédit, à moi.

      – C'est juste. Je passe pour insolvable peut-être?

      – Possible! au jour d'aujourd'hui, on est très-méfiant. Voyons, madame de Blanchemont! vous me devez cent mille francs, je vous en donne deux cent cinquante mille, et nous sommes quittes.

      – C'est-à-dire que vous voulez payer deux cent cinquante mille francs ce qui en vaut trois cent mille?

      – C'est un petit boni qu'il est juste que vous m'accordiez; je paie comptant. Vous direz que c'est mon avantage de ne pas servir d'intérêts ayant l'argent. C'est votre avantage aussi de palper votre fortune, dont vous n'aurez plus ni sou ni maille si vous tardez.

      – Ainsi, vous voulez profiter des embarras de ma position pour réduire d'un sixième le peu qui me reste?

      – C'est mon droit, et tout autre que moi exigerait davantage. Soyez sûre que je prends vos intérêts autant que possible. Allons, mon premier mot sera le dernier. Vous y penserez.

      – Oui, monsieur Bricolin, il me semble qu'il faut y penser.

      – Diable! je le crois bien! Il faut d'abord vous assurer que je ne vous trompe pas, et que je ne me trompe pas moi-même sur votre situation et sur la valeur de vos biens. Vous voilà ici; vous vous renseignerez, vous verrez tout par vous-même, vous pourrez même aller visiter les terres de votre mari du côté du Blanc, et quand vous serez au courant, dans un mois environ, vous me direz votre réponse. Seulement, vous pouvez bien résumer mes offres en établissant ainsi votre calcul sur une base dont je ne crains pas la vérification: vous pouvez, 1° vendre ce qui vous reste de net le double de ce que je vous en offre, mais vous n'en toucherez pas la moitié, ou bien vous attendrez dix ans, durant lesquels vous aurez à servir tant d'intérêts qu'il ne vous restera rien; 2° vous pouvez me vendre à un sixième de perte et toucher, d'ici à trois mois, deux cent cinquante mille francs en bon or ou en bon argent, ou en jolis billets de banque, à votre choix. Allons, j'ai dit! maintenant revenez à la maison dans une petite heure, vous dînerez avec nous. Il faudra faire chez nous comme chez vous, entendez-vous, madame la baronne? Nous sommes en affaires, et si vous ne me demandez pas d'autre pot de vin, ce ne sera pas grand'-chose.

      La position où Marcelle se trouvait désormais vis-à-vis des Bricolin lui ôtait tout scrupule, et nécessitait d'ailleurs l'acceptation de cette offre. Elle promit donc d'en profiter; mais elle demanda, en attendant l'heure du repas, à rester au vieux château pour écrire une lettre, et M. Bricolin la quitta pour lui envoyer ses domestiques et ses paquets.

      IX.

      UN AMI IMPROVISÉ

      Pendant quelques instants qu'elle demeura seule, Marcelle fit rapidement beaucoup de réflexions, et bientôt elle sentit que l'amour lui donnait une énergie dont elle n'eût pas été capable peut-être sans cette toute-puissante inspiration. Au premier aspect, elle avait été un peu effrayée de ce triste manoir, l'unique demeure qui lui restât en propre. Mais en apprenant que cette ruine même n'allait bientôt plus lui appartenir, elle se prit à sourire en la regardant avec une curiosité complètement désintéressée. L'écusson seigneurial de sa famille était encore intact au manteau des vastes cheminées.

      – Ainsi, se dit-elle, tout va être rompu entre moi et le passé. Richesse et noblesse s'éteignent de compagnie, au jour d'aujourd'hui, comme dit ce Bricolin. O mon Dieu! que vous êtes bon d'avoir fait

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