Le meunier d'Angibault. Жорж Санд
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Le meunier d'Angibault - Жорж Санд страница 16
Marcelle trouva cette maison si déplaisante, qu'elle résolut de n'y pas demeurer. Elle déclara qu'elle ne voulait pas causer le moindre dérangement à ses hôtes, et qu'elle chercherait dans le hameau quelque maison de paysan où elle pût prendre gite, à moins qu'il n'y eût dans le vieux château quelque chambre habitable. Cette dernière idée parut causer quelque souci à madame Bricolin, et elle n'épargna rien pour en détourner son hôtesse.
– Il est bien vrai, dit-elle, qu'il y a toujours au vieux château ce qu'on appelle la chambre du maître. Lorsque M. le baron, votre défunt mari, nous faisait l'honneur de passer par ici, comme il nous écrivait toujours d'avance pour nous prévenir de son arrivée, nous avions soin de tout nettoyer, afin qu'il ne s'y trouvât pas trop mal. Mais ce malheureux château est si triste, si délabré…! Les rats et les oiseaux de nuit font là dedans un vacarme si épouvantable, et, d'ailleurs, les toitures sont en si mauvais état, et les murs si branlants, qu'il n'y a vraiment pas de sûreté à y dormir. Je ne conçois pas le goût que M. le baron avait pour cette chambre. Il n'en voulait pas accepter chez nous, et on aurait dit qu'il se serait cru dégradé s'il eût passé une nuit ici ailleurs que sous le toit de son vieux château.
– J'irai voir cette chambre, dit Marcelle, et pour peu qu'on y puisse dormir à couvert, c'est tout ce qu'il me faut. En attendant, je vous supplie de ne rien déranger chez vous. Je ne veux en aucune façon vous être à charge.
Rose exprima le désir qu'elle aurait au contraire à céder son appartement à madame de Blanchemont, dans des termes si aimables et avec une physionomie si prévenante, que Marcelle lui prit doucement la main pour la remercier, mais sans changer de résolution. L'aspect du château neuf, joint à une répugnance instinctive pour madame Bricolin, lui firent refuser obstinément l'hospitalité qu'elle avait fini par accepter de grand coeur au moulin.
Elle se débattait encore contre les cérémonieuses importunités de la fermière, lorsque M. Bricolin arriva.
VIII.
LE PAYSAN PARVENU
M. Bricolin était un homme de cinquante ans, robuste et d'une figure régulière. Mais l'embonpoint avait envahi ses membres ramassés, ainsi qu'il arrive à tous les campagnards à leur aise, qui, passant leurs journées au grand air, à cheval la plupart du temps, et menant une vie active mais non pénible, ont juste assez de fatigue pour entretenir l'exubérance de leur santé et la complaisance de leur appétit. Grâce à ce stimulant d'un air vif et d'un exercice continuel, ces hommes supportent quelque temps sans malaise des excès de table journaliers, et, quoique dans leurs occupations champêtres ils soient vêtus d'une manière peu différente des paysans, il est impossible de les confondre avec eux, même au premier coup d'oeil. Tandis que le paysan est toujours maigre, bien proportionné et d'un teint basané qui a sa beauté, le bourgeois de campagne est toujours, dès l'âge de quarante ans, affligé d'un gros ventre, d'une démarche pesante et d'un coloris vineux qui vulgarisent et enlaidissent les plus belles organisations.
Parmi ceux qui ont fait leur fortune eux-mêmes et qui ont commencé leur vie par la sobriété forcée du paysan, on ne trouverait guère d'exception à cet épaississement de la forme et à cette altération de la peau. Car c'est une observation proverbiale que lorsque le paysan commence à se nourrir de viande et à boire du vin à discrétion, il devient incapable de travailler, et que le retour à ses premières habitudes lui serait infailliblement et promptement mortel. On peut donc dire que l'argent passe dans leur sang, qu'ils s'y attachent de corps et d'âme, et que la vie ou la raison doit fatalement succomber chez eux à la perte de leur fortune. Toute idée de dévouement à l'humanité, toute notion religieuse, sont presque incompatibles avec cette transformation que le bien-être opère dans leur être physique et moral. Il serait fort inutile de s'indigner contre eux. Ils ne peuvent pas être autrement. Ils s'engraissent pour arriver à l'apoplexie ou à l'imbécillité. Leurs facultés pour l'acquisition et la conservation de la richesse, très-développées d'abord, s'éteignent vers le milieu de leur carrière, et, après avoir fait fortune avec une rapidité et une habileté remarquables, ils tombent de bonne heure dans l'apathie, le désordre et l'incapacité. Aucune idée sociale, aucun sentiment de progrès ne les soutient. La digestion devient l'affaire de leur vie, et leur richesse si vigoureusement acquise est, avant qu'ils l'aient consolidée, engagée dans mille embarras et compromise par mille maladresses… sans parler de la vanité qui les précipite dans des spéculations au-dessus de leur crédit; si bien que tous ces riches sont presque toujours ruinés au moment où ils font le plus d'envieux.
M. Bricolin n'en était pas encore là. Il était à cet âge où l'activité et la volonté dans toute leur force, peuvent encore lutter contre la double ivresse de l'orgueil et de l'intempérance. Mais il suffisait de voir ses yeux un peu bridés, son vaste abdomen, son nez luisant, et le tremblement nerveux que l'habitude du coup du matin (c'est-à-dire les deux bouteilles de vin blanc à jeun en guise de café), donnait à sa main robuste, pour présager l'époque prochaine où cet homme si dispos, si matinal, si prévoyant et si impitoyable en affaires, perdrait la santé, la mémoire, le jugement et jusqu'à la dureté de son âme, pour devenir un ivrogne épuisé, un bavard très-lourd, et un maître facile à tromper.
Sa figure avait été belle, quoique dépourvue absolument de distinction. Ses traits courts et fortement accentués annonçaient une énergie et une âpreté peu communes. Il avait l'oeil vif, noir et dur, la bouche sensuelle, le front étroit et bas, les cheveux crépus, la parole brève et rapide. Il n'y avait point de fausseté dans son regard, ni d'hypocrisie dans ses manières. Ce n'était point un homme fourbe, et le grand respect qu'il avait pour le tien et le mien, aux termes de la société actuelle, le rendait incapable de friponnerie. D'ailleurs, le cynisme de sa cupidité l'empêchait de farder ses intentions, et quand il avait dit à son semblable: «Mon intérêt est contraire au tien,» il pensait lui avoir démontré qu'il agissait en vertu du droit le plus sacré, et qu'il avait fait acte de haute loyauté en le lui annonçant.
Demi-bourgeois, demi-manant, il portait le dimanche un costume mixte entre le paysan el le monsieur. Son chapeau avait la forme plus basse que celui des uns, et les bords moins larges que celui des autres. Il avait une blouse grise à ceinture et à plis fixés sur sa taille courte, qui lui donnait l'aspect d'une barrique cerclée. Ses guêtres exhalaient une odeur d'étable indélébile, et sa cravate de soie noire était d'un luisant graisseux. Ce personnage, court et brusque, fit une impression désagréable sur Marcelle, et sa conversation prolixe, roulant toujours sur l'argent, lui fut encore moins sympathique que les prévenances désobligeantes de sa moitié.
Voici quel fut à peu près le résumé du bavardage de deux heures