La Daniella, Vol. II. Жорж Санд
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– Mais comment les prendras-tu, ces oiseaux? Nous n'avons ni fusil ni poudre.
– Nous ferons des arcs et des flèches, mossiou! Je n'y suis pas maladroit, non plus qu'à la fronde.
– Je songe à quelque chose de plus sûr, lui dis-je en riant: c'est à faire des épinards avec des orties. J'ai lu quelque part que c'était absolument la même chose.
Tartaglia fit la grimace.
– Possible! dit-il; mais je crois que je laisserai ma part de ce mets-là au capucin.
Vous voyez que la gaieté nous était revenue, et j'aidais mon compagnon à faire des projets gastronomiques, puisque c'était là sa préoccupation dominante. La mienne était de trouver moyen de faire évader le moine, afin qu'il pût au moins dire à Daniella que je prenais patience, et que j'étais pourvu de vivres pour longtemps.
– Écoute, dis-je à Tartaglia, tout cela est réglé, et nous voilà bien sûrs de pouvoir attendre environ une semaine; mais nous croiserons-nous les bras, et ne chercherons-nous pas cette issue souterraine qui a certainement existé et qui doit exister encore?
– Ah! voilà, fit-il en soupirant, a-t-elle jamais existé?
– Mais on sortait de ces cuisines où tu as tant cherché à entrer! On y entrait par le palais, et on en sortait par le jardin au bas du terrazzone.
– Je vous entends, mossiou, dit Tartaglia, dont l'esprit actif se réveille dès qu'on fait appel à sa sagacité. Si nous pouvions sortir de cette cuisine, que nous appelons la Befana, nous nous trouverions au bas du terrazzone, tandis que les carabiniers sont dessus, et nous entrerions tout de suite dans un fourré de lauriers qui est là, et, de là, dans l'allée de cyprès; et, de là, dans la cour de Felipone, qui nous laisserait certainement évader. C'est un brave homme, je le connais.
– Eh bien?
– Eh bien, oui, on sortirait par les cuisines, s'il y avait une sortie; mais je ne la connais pas, mossiou; elle doit être souterraine, car je n'entends pas le cri des sentinelles au bas du grand contre-fort sans yeux du terrazzone, ce qui prouve bien qu'on regarde comme impossible une évasion de ce côté-là.
– Raison de plus pour diriger nos efforts de ce côté-là. Il y a toujours moyen de percer un mur, eût-il dix pieds d'épaisseur; et, d'ailleurs, je compte comme toi sur la découverte d'un passage souterrain.
– Comme moi, vous dites? Eh! je n'y compte déjà pas tant, quoique j'en aie ouï parler. Mais, mossiou, vous oubliez une chose, c'est que la grande affaire, ce n'est pas encore tant de sortir de cette fameuse Befana que d'y entrer!
– Eh bien! la cave du Pianto? Et ton barreau entamé il y a si longtemps? et ta lime anglaise qui ne te quitte jamais? et nos quatre bras pour travailler?
– Et les pierres qui se disjoignent, mossiou?.. et la lézarde qui s'agrandit dès qu'on ébranle la grille du soupirail?
– Bah! nous étayerons!
– Nous étayerons une construction de peut-être cent pieds de haut, à nous deux, mossiou?..
– Oui quelques briques bien placées suffiraient pour empêcher le dôme de Saint-Pierre de s'écrouler. Voyons, il n'est que neuf heures; voilà le vent qui s'élève, et qui couvrira le bruit de notre travail. C'est une circonstance rare depuis quelque temps, et dont il faut profiter. Nous sommes lestés d'un bon souper, nous sommes dispos, nous sommes de bonne humeur; attendrons-nous la faim, la tristesse, le découragement?..
– Allons-y, mossiou, s'écria Tartaglia en se levant, et, à la française, allons-y gaiement!
Mais au moment de prendre la bougie, il s'arrêta.
– Nous ferions mieux, dit-il, de nous coucher de bonne heure et de ménager le luminaire. Le jour où nous manquerons de bougie et de chandelle… Cela peut devenir bien incommode et bien dangereux, mossiou, de ne pas voir clair dans ce taudis!
– Bah! nous sommes approvisionnés de cela aussi pour une semaine, et, d'ailleurs, la question est maintenant de sortir d'ici.
Quand Tartaglia m'eut fait voir la barre limée par lui, je reconnus avec chagrin qu'en réussissant à scier la grille, nous ferions indubitablement tomber le petit cintre de pierres du soupirail; et comment savoir où s'arrêterait l'écroulement de cet édifice, abandonné depuis plus de cinquante ans à toutes les influences de la destruction?
Mais, après mûr examen, je crus pouvoir affirmer qu'en étayant le milieu avec une pile de briques sur champ, et en soutenant les bas-côtés avec deux grosses boules de pierre qui servaient d'ornement autrefois à je ne sais quelle construction dans ce préau, et qui gisent maintenant dans les ronces, nous pouvions enlever la grille sans danger, et nous glisser encore par l'ouverture du soupirail.
Les mesures étant prises et les matériaux rassemblés, nous nous mîmes à l'oeuvre, et les pléiades étaient sur nos têtes, c'est-à-dire qu'il était environ minuit, quand deux barres, enlevées sans accident, nous laissèrent le passage libre. Mais nous étions fatigués, nous avions chaud, et Tartaglia éprouvait une extrême répugnance à risquer l'aventure. Il avait des vertiges, il lui semblait que le pavé oscillait sous ses pieds. Il me supplia d'attendre au lendemain.
– Si rien n'a bougé demain matin, dit-il, je vous jure d'être gai comme un merle, et de descendre là dedans en sifflant la cachucha.
Je cédai, et, une heure après, nous étions endormis, en dépit de la voix des sentinelles qui s'appelaient et se répondaient autour des murailles, et de la lueur du feu du bivouac, qui projetait un reflet rouge jusque sur les dalles de la terrasse du casino.
XXXIV
Mondragone, 22 avril.
Hier matin, nous avons déjeuné copieusement; malgré mes recommandations de sobriété et de prudence, Tartaglia a la passion de la cuisine. Faire de bons plats et en manger sa bonne part, voilà pour lui une jouissance intellectuelle et physique du premier ordre. Il aurait aussi le goût de l'économat; son rêve serait de devenir majordome dans une grande maison. En attendant, il est fier et comme charmé, malgré notre situation précaire, de commander, dans les ruines de Mondragone, à une valetaille imaginaire, et d'y ordonner toutes choses en vue du bien et la satisfaction de ses seigneurs. Je crois qu'il y a des moments où il me prend pour l'ombre d'un ancien pape, car il sollicite mes éloges avec une ardeur naïve, et je suis forcé de l'en accabler et de paraître très-sensible à ses soins, sous peine de le voir s'affecter et se démoraliser.
Il semble aussi que, de son côté, il soutienne son personnage facétieux et comique dans l'intention de me conserver en belle humeur; mais c'est peut-être tout simplement le résultat d'une habitude invétérée de poserie burlesque. Ainsi, ce matin, je l'ai trouvé dans le parterre avec le capucin, qu'il avait affublé d'un torchon en guise de tablier de cuisine, et qu'il employait à la recherche des asperges sauvages. Il lui avait donné un nom. Ce n'était plus frère Cyprien; c'était Carcioffo (artichaut).
– Il n'y a plus de moine ici, disait-il. Il n'y a plus qu'un marmiton, un éplucheur de légumes, un plumeur de volaille, sous les ordres du chef Tartaglia; et, si Carcioffo ne travaille pas, Carcioffo ne mangera pas.
– Tu