La Daniella, Vol. II. Жорж Санд

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La Daniella, Vol. II - Жорж Санд

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le piano fantastique, qui n'était ni aussi bon ni aussi bien joué que le prétendait Tartaglia, mais qui, malgré nos anxiétés, nous donnait des idées de gaieté folle, comme on en a dans les rêves, au milieu des plus désagréables situations.

      Nous ne fûmes pas moins étonnés de voir que les carabiniers restaient parfaitement indifférents à cette nouvelle bizarrerie. Il était évident qu'ils ne l'entendaient pas, et que, comme des cornets acoustiques, les colonnes creuses du terrazzone nous apportaient ces sons mystérieux, aussitôt perdus dans les régions supérieures de l'air, et insaisissables pour nos gardiens, placés à une centaine de pieds plus bas que nous.

      – Donc, reprit Tartaglia, ils demeurent là-dessous, les autres! ils y ont de bons appartements, ils y font bonne chère, et belle musique au dessert! Et ils ne se doutent pas qu'ils ont des carabiniers sur la tête!

      – Cela, nous n'en savons rien; mais nous savons que, tout à l'heure, les carabiniers ne se doutaient pas qu'ils eussent des prisonniers sous les pieds.

      – C'est vrai, puisqu'ils ont eu une si belle peur de cette fumée! Or, comme je vous le disais, mossiou, nous avons là des camarades d'infortune; mais par où sont-ils entrés?

      – Par une issue extérieure qui existe, et que les carabiniers ne connaissent pas.

      – Ni la police non plus, je vous en réponds!

      – Ni Daniella, ni Olivia non plus, car elles m'en eussent fait part.

      – Et elles ne savent pas non plus qu'il y a ici d'autres réfugiés que nous, car elles nous en eussent avertis!

      – Eh bien!

      – Eh bien… mais, s'il y avait une sortie à ce château du diable, par-dessous le contre-fort de la grande terrasse… ces prisonniers seraient partis ou en train de partir. Ils songeraient à filer, et non à manger en étudiant la Norma de Bellini.

      – C'est ce que je me dis, et je vois leur captivité dans ces caves bien plus effrayante que la nôtre.

      – Ah! voilà ce qui m'intrigue, reprit Tartaglia en secouant la tête; vous avez entendu ouvrir et fermer des portes. Il y a une communication, entre eux et nous, plus facile que votre diable de galerie qui nous ensevelira si nous continuons à la fouiller. Nous avons mal cherché, mossiou?

      – Il faut chercher encore!

      – C'est ce que j'allais dire.

      – Prenons toujours le pic et la pioche, et allume la lanterne.

      – Mais dînez d'abord, mossiou, que diable!

      – Non, nous dînerons après! Il faut suivre l'inspiration quand on la tient. Je ne sais pas pourquoi je suis persuadé que nous allons réussir, maintenant que nous avons la certitude de la présence des autres, comme tu dis.

      – Laissez-moi prendre beaucoup d'allumettes, mossiou. Tant que je vois clair, je suis assez brave.

      – Passons par mon atelier, j'ai là tout ce qu'il faut.

      Je pris la clef de l'ancienne chapelle papale, que je me permets d'appeler, sans façon, mon atelier, et nous y fîmes nos préparatifs. En voyant, sur le chevalet, mon étude presque finie, dont, par parenthèse, je ne suis pas trop mécontent, l'idée me vint que quelque accident nouveau pourrait bien m'empêcher de l'achever, ainsi que l'album sur lequel je vous écris mes aventures. Un instant d'attachement puéril pour ces deux objets qui m'ont aidé à savourer mes joies, et à me distraire de mes peines, s'empara de moi, et je grimpai à une échelle, au moyen de laquelle je peux atteindre un creux de la muraille formant une sorte de cachette que j'ai découverte par hasard, ces jours-ci. J'y déposai ma petite toile et mon manuscrit. Je me disais qu'en cas de départ forcé je les y retrouverais peut-être un jour.

      – Que faites-vous là, mossiou? me dit Tartaglia inquiet; avez-vous quelque pressentiment? Vous me rendez triste, moi qui avais bonne idée de notre expédition de ce soir!

      J'étais encore sur l'échelle, mais je ne songeais ni à descendre ni à lui répondre. Nous nous regardâmes tous deux avec la même expression de doute et de surprise: il nous semblait qu'on venait de frapper légèrement à la porte du fond de la chapelle.

      Tartaglia, sans dire un mot, ôta ses souliers et alla coller son oreille à cette porte. On y frappa discrètement une seconde fois.

      Je lui fis signe d'ouvrir. La curiosité l'emportait en moi sur la méfiance. Il subissait l'impulsion contraire, car il me fit signe, avec énergie, de garder le silence, et, regardant à ses pieds, il ramassa une lettre qu'on venait de passer sous la porte.

      Je m'emparai de cette missive et la décachetai avec empressement. Elle contenait ce qui suit, en français:

      «Le prince de Mondragone vous prie de lui faire l'honneur de dîner et de passer la soirée chez lui. On fera de la musique».

      Il y avait sur l'adresse: «A monsieur Jean Valreg, peintre, en son atelier de Mondragone». Le papier rose, satiné et parfumé, état découpé, enguirlandé et orné, au coin, d'un écusson armorial doré et enluminé.

      J'examinais avec stupéfaction cet étrange billet, pendant que Tartaglia se tenait les côtes pour s'empêcher de rire tout haut, tant il trouvait la chose plaisante et l'idée du dîner agréable; mais quand je voulus aller ouvrir au porteur de cette courtoise invitation, Tartaglia, revenant à ses craintes, se mit en travers.

      – Non, non! disait-il tout bas, c'est peut-être un piège; n'y allez pas, mossiou. C'est comme le souper du Commandeur!

      On frappait pour la troisième fois: c'était demander la réponse. Je repoussai Tartaglia en lui reprochant tout haut sa méfiance, et j'ouvris à un groom très-bien mis et d'une figure intelligente, dont les habits élégants étaient seulement un peu poudreux et rayés ça et là de toiles d'araignées, ornement indispensable de quiconque se promène dans les salles de notre manoir.

      – Qu'est-ce que le prince de Mondragone? lui demandai-je sans préambule, en regardant derrière lui pour me convaincre qu'il était seul.

      – C'est mon maître, répondit l'enfant en italien sans hésiter, et en retenant une intention gaie ou moqueuse, sons l'air respectueux d'un valet bien stylé.

      – Belle réponse! s'écria Tartaglia. Cela ne nous apprend rien! Moi qui connais la noblesse d'Italie, je vous jure, mossiou, que je n'ai jamais entendu parler d'un prince de Mondragone!

      – Monsieur veut-il faire réponse au prince? reprit le groom sans se déconcerter.

      Je crus devoir montrer le même sang-froid et prendre cette fantasmagorie comme une chose toute naturelle.

      – Dites à votre maître que j'irais bien volontiers si j'avais un habit; mais…

      – Oh! ça ne fait rien, monsieur! Il n'y a que des hommes. D'ailleurs, on sait bien que vous êtes en voyage.

      – Il appelle ça être en voyage! dit Tartaglia d'un ton piteux; mais suis-je invité aussi, moi? car du diable si je reste seul!..

      – Moi, je vous invite, répondit le groom; il y a repas et soirée aussi à l'office.

      – Mais… reprit Tartaglia singeant ma réponse, c'est que je ne suis pas

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