La Daniella, Vol. II. Жорж Санд

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La Daniella, Vol. II - Жорж Санд

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mais ce qui corrige cet inconvénient, ajouta-t-il d'un air expressif, en s'arrêtant au centre de l'édifice et en me montrant l'escalier qui descendait à l'arcade fermée seulement par un tas de paille, c'est qu'il y a une sortie!

      XXXVI

      Comme preuve de cette assertion, un palefrenier entrait, en cet instant, en écartant la clôture de fourrage, et apportait de l'avoine aux chevaux installés dans le péristyle au bas de l'escalier. J'allais exprimer l'agréable surprise que me causait cette révélation, lorsque le prince en personne, descendant les deux marches de son sanctuaire, vint au devant de moi.

      – Vous le voyez, monsieur, me dit-il, vous êtes libre et, si vous avez une grande impatience de prendre la clef des champs, je ne vous retiens pas ici malgré vous; mais, comme je me dispose moi-môme au départ (vous voyez mes chevaux), j'ai pensé qu'il vous serait agréable de dîner d'abord et d'attendre, en bonne compagnie, l'heure de minuit, préférable à toute autre pour les gens qui ont, comme nous, quelque démêlé avec la police locale. Mon ami, ajouta-t-il en s'adressant à Tartaglia, qui me suivait comme un chien, allez trouver mes gens il leur est enjoint d'avoir grand soin de vous.

      – Mossiou! mossiou! me dit Tartaglia en me retenant par mon vêtement, n'acceptez pas ce dîner, ne parlez pas à cet homme-là. Je le connais, moi! c'est le prince de…

      Celui qu'on appelait le docteur me prit par le bras, comme pour m'encourager à suivre le prince qui nous ouvrait la marche. Tartaglia, passant de l'autre côté, me dit à l'oreille:

      – Ceci gâte notre affaire et nous compromet! Nous voici affiliés à…

      – Eh bien, venez-vous! dit le docteur, qui me supposait intimidé. Ne craignez pas de parler au prince: c'est le plus aimable homme du monde.

      – Je le vois bien, répondis-je; mais permettez-moi de dire un mot à mon compagnon d'aventures.

      – Ah! pardon! faites.

      Je fis deux pas en arrière avec Tartaglia. Il voulait parler, je l'en empêchai.

      – Il ne s'agit pas de m'apprendre avec qui je me trouve: on va certainement me le dire. D'ailleurs, ce mystère m'amuse. Mais toi, tu es libre, on te l'a dit. Si tu veux fuir…

      – Seul et à jeun, mossiou? Oh! non certes! Nous voilà chez le diable, je veux tâter de son ordinaire.

      – Mais, si tu étais mon ami, comme tu le prétends, tu irais d'abord flairer ce passage souterrain, et tu viendrais à bout d'aller dire à la villa Taverna que…

      – Je suis votre ami, répondit-il et je vais tâcher de faire savoir à la Daniella que nous fuyons cette nuit.

      – Non pas! non pas! Dis-lui que je veux partir, mais que je ne partirai pas sans elle. J'attendrai qu'elle soit guérie.

      – Cristo! vous ne voulez pas profiter…?

      – Ah! pas de discussion! N'es-tu pas libre, toi, dès a présent? Va, si tu m'aimes!

      Je sais maintenant qu'avec ce mot-là je gouverne mon pauvre diable. Il s'élança dans l'escalier; mais le docteur qui, sans nous écouter, ne nous perdait pas de vue, revint vers nous, en me disant avec politesse, mais d'un ton sérieux:

      – Ne donnez pas encore de commissions dehors, monsieur; ce serait pour nous et pour vous une grave imprudence. Attendez minuit…

      Il fallut se résigner et rappeler Tartaglia, qui alla flairer les casseroles et faire connaissance avec les cuisiniers. Moi, je suivis le docteur et le prince au salon, où l'on m'offrit un fauteuil. Le prince était déjà étendu nonchalamment sur le grand sofa, et il entama la conversation avec aisance en me parlant peinture, en me demandant ce que je pensais de l'influence de l'Italie sur les artistes des autres pays, en me questionnant, enfin, sur mes opinions à l'égard des divers maîtres de la France moderne: tout cela sans faire la moindre allusion à ma situation présente, non plus qu'à la sienne, et en discourant avec esprit et légèreté sur toutes choses, hormis celle qui devait le plus me préoccuper.

      Pendant cette causerie étrangement calme et qui semblait beaucoup plus faite pour un salon de Paris que pour le lieu où nous étions, le docteur s'occupait du service, ex professo, et s'ingéniait avec le valet de chambre pour suppléer à ce qui pouvait manquer à l'élégance et au confort de la table. Le groom n'avait qu'une idée, c'était de faire monter le jet d'eau, et, en changeant les becs de roseau, il lui arrivait à tout instant de nous arroser, ce que le prince souffrait avec une grande patience, se contentant de lui dire de temps en temps:

      – Carlino, fais donc attention! Il fait déjà assez humide ici.

      Alors, il se mettait à parler de son habitation comme un homme qui en discute avec désintéressement les inconvénients et les avantages.

      – C'est fort laid, disait-il; mais c'est si bien situé! La vue est magnifique, de la terrasse du casino.

      Je ne pus m'empêcher de lui dire que j'étais beaucoup mieux logé que lui, et qu'il devait beaucoup souffrir dans cette grande cave.

      – Mais ce n'est pas une cave, répondit-il. Nous sommes en contre-bas de la montagne, voilà tout; et, sans les infiltrations des eaux égarées dans les murs par suite de la rupture de plusieurs canaux, il ferait ici aussi sec que chez vous; mais, avec beaucoup de braise on s'en tire, vous voyez.

      – Pourtant, ces fenêtres et ces portes murées… Le soleil n'entre jamais dans cette grande salle?

      – Aussi, à l'exception de ces deux derniers jours, ne l'avons-nous habitée que la nuit. Les cours du château sont si vastes et si belles, et le petit cloître est si charmant! Nous n'avions que quelques pas à faire pour respirer un air pur; et puis, par ici, ajouta-t-il en montrant le milieu de l'édifice où est situé l'escalier, nous avons le chemin des champs. C'est là le principal avantage du logement que j'ai choisi.

      Chaque mot de ce tranquille personnage semblait appeler de ma part une foule de questions; mais, comme il s'abstenait de m'en adresser de personnelles, je crus convenable de montrer la même réserve ou la même indifférence, et de parler de Tusculum et des environs, comme ferait un touriste dans une auberge.

      Pendant que l'on sert le repas, je veux vous décrire ce fabuleux prince dont je sais maintenant le nom, mais que, par prudence, je vous désignerai ici sous un nom de fantaisie, Monte-Corona, par exemple. C'est le premier qui tombe sous ma plume.

      Ce personnage est âgé d'une cinquantaine d'années. Il appartient à un type plutôt napolitain que romain. Il parle français, sinon avec une correction parfaite, du moins avec une facilité complète et toutes les nuances de l'actualité familière.

      Il a pu être beau, mais de cette beauté italienne exagérée qui devient laideur avec les années. Il est beaucoup trop petit pour son nez, qui s'avance droit et sans courbure au devant de sa face, comme une lame d'épée. Sa peau, mate et fine, tourne au livide; ses dents sont éblouissantes, indice d'une disposition à la phtisie pulmonaire, ainsi que ses épaules étroites et sa poitrine rentrée. Une masse de cheveux, trop noirs et trop bouclés pour n'être pas un effet de l'art, tombe sur ses joues creuses et se mêle au noir de sa barbe trop bien plantée, en ce sens qu'elle fait tache d'encre et masse disproportionnée avec les plans blêmes et malingres de sa figure. Vous avez vu cette tête-là partout: un vieux Antinoüs malade croisé de Polichinelle dégénéré.

      L'oeil superbe quand même, la physionomie douce et agréable en dépit

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