Mademoiselle La Quintinie. Жорж Санд

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Mademoiselle La Quintinie - Жорж Санд

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toi, à moins que cette personne ne soit ta grand'tante ou une de ses amies les béguines, ou encore quelque prêtre; car il n'y a que les dévots pour dire crûment les choses, et pour apprendre aux jeunes filles ce que nous autres, vieux mécréants, nous croirions devoir leur laisser ignorer.»

      Lucie garda un instant le silence, et une vive rougeur de dépit ou de honte monta jusqu'à son front; mais la lutte contre elle-même fut rapidement terminée. La rougeur s'envola comme un éclair, elle embrassa le vieillard en disant:

      «En cela, père, tu peux bien avoir raison! Tu sais, moi, tout ce qui me console de te contredire, c'est quand je peux trouver l'occasion de me donner tort.»

      M. de Turdy, attendri, me regardait comme pour me dire: «Vous voyez si on peut résister à tant de grâce et de bonté…» Et il est certain que j'étais de son avis. On discuterait avec Lucie, on disputerait même, rien que pour le plaisir de la voir si délicieusement céder. Aussi le nuage qui me resta dans l'esprit eut-il une autre cause que son aversion systématique pour le grand génie de Rousseau, qu'elle ne connaît pas. Je m'affectai intérieurement de la pensée que cette âme candide était déjà déflorée par la science de soi-même imposée aux jeunes filles pieuses comme un devoir, comme une nécessité du sérieux de la confession. La confession!.. Je n'avais jamais pensé à cela qu'avec sang-froid. J'avais vu la première institution, la confession publique à la porte du temple, comme une chose terrible et grande, comme un reflet ardent de l'époque du martyre: je regardais la confession auriculaire comme une déviation du principe, comme un accommodement du pécheur avec le ciel et du prêtre avec le pécheur; mais je n'avais pas encore mis dans ma pensée l'image du prêtre entre Lucie et moi. Quand elle se présenta, elle fit passer une sueur froide dans tout mon corps. Je me rappelai ce passage de Paul-Louis Courier, qui ne m'avait frappé que comme éloquence, et il me revint tout entier dans la mémoire comme si je l'eusse appris par cœur. Tu te le rappelles, ce passage que nous avons lu ensemble il n'y a pas longtemps… «On leur défend l'amour, et le mariage surtout; on leur livre les femmes. Ils n'en peuvent avoir une; et ils vivent avec toutes familièrement, c'est peu, mais dans la confidence, l'intimité, le secret de leurs actions cachées, de toutes leurs pensées. L'innocente fillette, sous l'aile de sa mère, entend le prêtre d'abord, qui, bientôt l'appelant, l'entretient seul à seule, qui, le premier, avant qu'elle puisse faillir, lui nomme le péché… Seuls et n'ayant pour témoins que ces murs, que ces voûtes, ils causent! De quoi? Hélas! de tout ce qui n'est pas innocent. Ils parlent ou plutôt murmurent à voix basse, et leurs bouches s'approchent, et leur souffle se confond. Cela dure une heure et se renouvelle souvent.»

      Cette implacable citation de ma mémoire, avec son corollaire sur le rôle du prêtre entre les époux, me fit ressentir tous les aiguillons de la jalousie, et cette première torture de l'amour fut si poignante, que Lucie s'en aperçut et me demanda ce que j'avais.

      La présence du grand-père ne me gênant pas pour un entretien de cette nature, je demandai brusquement à Lucie si elle avait un confesseur.

      «Eh! mais oui, sans doute, répondit-elle; il le faut bien!

      – J'aurais cru que vous n'en aviez besoin.

      – On a toujours quelque chose à se reprocher.

      – Dans le secret de la conscience, dans le fond de la pensée apparemment; car vos actions, à vous, ne peuvent jamais être mauvaises.

      – Franchement, dit-elle en riant, je n'ai pas commis, que je sache, beaucoup de mauvaises actions. Quant aux cas de conscience, si j'en avais, ce ne serait pas à l'abbé Gémyet que je demanderais de les résoudre. Le bonhomme est l'idéal de la simplicité.»

      M. de Turdy, comme s'il eût voulu me tranquilliser, s'écria que l'abbé Gémyet était le meilleur et le plus inoffensif des hommes.

      «Celui-là, dit-il, je le connais, je réponds de lui, et je ne t'en permettrai jamais d'autre. Puisqu'on voulait absolument un confesseur, continua-t-il en s'adressant à moi, j'ai voulu au moins choisir, et j'ai mis la main sur un bon prêtre, tolérant, point cagot…

      – Et tout à fait nul, reprit Lucie avec le même sourire que j'avais déjà remarqué.

      – Nul! je le veux bien, dit le grand-père en s'animant; nul! je les aime comme cela et pas autrement, les prêtres! je ne veux point de ces fanatiques comme mademoiselle ma sœur les préférerait peut-être.

      – Eh! mon Dieu, cher papa, reprit Lucie, tu accuses ma tante! Tu sais bien qu'elle est plus mondaine que moi et qu'elle s'accommode fort bien pour son compte de la tolérance illimitée de M. Gémyet. Voyons, ne me chicane pas trop. J'ai fait ce que tu voulais, j'ai accepté mon confesseur de ta main: je le respecte, j'ai de l'estime et de l'amitié pour lui; mais je ne peux pas le prendre pour un aigle, lui-même n'a pas cette prétention-là, et, quand je me confesse à lui de beaucoup de tiédeur et de relâchement dans la pratique, je suis toute prête à lui dire que c'est sa faute, et c'est tout au plus s'il ne me dit pas que cela lui est parfaitement égal.

      – Bien, bien, très-bien! s'écria le grand-père en riant et en me regardant encore; voilà ce que je veux, et c'est à ce prix-là que nous nous entendrons.

      – Qu'est-ce que vous pensez de tout cela, vous? dit Lucie en se tournant vers moi avec son gracieux abandon. Doit-on faire les choses à demi? Je sais d'avance que vous pensez le contraire; car, si vous n'étiez pas un esprit absolu, vous ne seriez plus vous-même.

      – Je pense, répondis-je sans hésiter, que la confession est mauvaise ou inutile. Vous avez accepté la chose inutile et pris le moins mauvais parti, ne pouvant vous résoudre à prendre le seul bon…

      – Qui est de ne plus rien croire? Cela ne m'est pas possible!»

      Elle me fit cette réponse fort sèchement. Je m'inclinai et ne parlai plus, bien qu'elle m'y provoquât avec toutes les grâces d'esprit et de cœur qui sont en elle. Au bout de quelques instants, comme je prenais congé:

      «Vous me boudez, je le vois, dit-elle; vous croyez que je vous regarde comme un athée. Non, je suis à cent lieues de cela; mais rappelez-vous, j'ai une doctrine, et vous n'en avez pas!

      – Eh bien, lui répondis-je, j'en aurai une. Je vous jure que j'en aurai une avant peu, car je vois qu'il le faut!»

      Elle partit d'un grand éclat de rire et me tendit la main pour la première fois, corrigeant par ce témoignage d'affection et d'intimité ce que sa raillerie avait de blessant; mais on n'a pas deux cœurs pour aimer, et je ne peux pas mettre dans le même cette simultanéité de joie et de souffrance. Je commençais à ne plus comprendre Lucie. J'étais horriblement triste, c'est pourquoi je ne t'écrivis pas en rentrant. Henri se moquait un peu de moi.

      «Tu t'embarques mal, disait-il. Te voilà déjà aux prises avec les préjugés de ta fiancée, car elle est ta fiancée, je t'en réponds. Le grand-père t'adore, et la jeune fille t'aime.

      – Non, elle ne m'aimera probablement pas.

      – C'est peut-être toi qui n'aimes pas, reprit-il avec un peu de vivacité. Tu me fais l'effet d'un pédant ou d'un despote. Eh! mon cher, que t'importe que ta femme croie au culte et suive les pratiques d'une Église quelconque?

      – Tu permettras le confesseur à la tienne, toi?

      – Je lui en permettrai dix, à la condition que ces messieurs-là ne l'empêcheront pas d'être à moi corps et âme.

      – Non, tu ne te soucies pas de son âme! Tu lui laisseras l'absolue liberté de conscience, tu l'as dit!

      – Conscience

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