Le crime d'Orcival. Emile Gaboriau

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Le crime d'Orcival - Emile Gaboriau

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bien! monsieur, quand il y a eu lutte sur un terrain favorable aux investigations, comme celui-ci, on relève deux sortes de vestiges fort distincts: ceux de l’assaillant et ceux de la victime. L’assaillant, qui se précipite en avant, s’appuie nécessairement sur la partie antérieure du pied et l’imprime sur la terre. La victime, au contraire, qui se débat, qui cherche à se débarrasser d’une étreinte fatale, fait son effort en arrière, s’arc-boute sur les talons, et moule par conséquent les talons dans le sol. Si les adversaires sont de force égale, on trouve en nombre à peu près égal les empreintes de bouts de pieds et de talons, selon les hasards de la lutte. Ici, que trouvons-nous?..

      Le père Plantat interrompit l’agent de la Sûreté.

      – Assez, monsieur, lui dit-il, assez, l’homme le plus incrédule serait maintenant convaincu.

      Et après un instant de méditations, répondant à sa pensée intime, il ajouta:

      – Non, il n’y a plus, il ne peut plus y avoir d’objection.

      M. Lecoq, de son côté, pensa que sa démonstration valait bien une récompense, et triomphalement il avala un carré de réglisse.

      – Je n’ai cependant pas encore fini, reprit-il. Nous disons donc que la comtesse n’a pu être achevée ici. J’ajouterai: elle n’y a pas été portée, mais traînée. La constatation est aisée. Il n’est que deux façons de traîner un cadavre. Par les épaules, et alors les deux pieds traînant à terre laissent deux sillons parallèles. Par les jambes, et alors la tête portant sur le sol laisse une empreinte unique et assez large.

      Le père Plantat approuva d’un mouvement de tête.

      – En examinant le gazon, poursuivit l’agent de la Sûreté, j’ai relevé les sillons parallèles des pieds, mais l’herbe était foulée sur un espace assez large. Pourquoi? C’est que ce n’est pas le cadavre d’un homme qui a été traîné à travers la pelouse, mais bien celui d’une femme tout habillée et dont les jupons étaient assez lourds, celui de la comtesse enfin, et non celui du comte.

      M. Lecoq s’interrompit, attendant un éloge, une question, un mot.

      Mais le vieux juge de paix n’avait plus l’air de l’écouter et paraissait plongé dans les calculs les plus abstraits.

      La nuit tombait, un brouillard léger comme la fumée d’un feu de paille se balançait au-dessus de la Seine.

      – Il faut rentrer, dit tout à coup le père Plantat, aller voir où le docteur en est de l’autopsie.

      Et lentement, l’agent de police et lui regagnèrent la maison.

      Sur le perron, se tenait le juge d’instruction qui s’apprêtait à aller à leur rencontre. Il tenait sous son bras sa grande serviette de chagrin violet, timbrée à ses initiales, et avait repris son léger pardessus d’Orléans noir.

      Il avait l’air satisfait.

      – Je vais vous laisser le maître, monsieur le juge de paix, dit-il au père Plantat, il est indispensable, si je veux voir ce soir monsieur le procureur impérial, que je parte à l’instant. Déjà, ce matin, lorsque vous m’avez envoyé chercher, il était absent.

      Le père Plantat s’inclina.

      – Je vous serai fort obligé, continua M. Domini, de surveiller la fin de l’opération. Le docteur Gendron n’en a plus, vient-il de me dire, que pour quelques minutes, et j’aurai ses notes demain matin. Je compte sur votre bonne obligeance, pour mettre les scellés partout où besoin est, et aussi pour constituer des gardiens. Je me propose d’envoyer un architecte relever le plan exact de la maison et du jardin.

      – Puis, remarqua le vieux juge de paix, il faudra, sans doute un supplément d’instruction?

      – Je ne le pense pas, fit le juge d’instruction, d’un ton de certitude.

      Puis s’adressant à M. Lecoq.

      – Eh bien, monsieur l’agent, demanda-t-il, avez-vous fait quelque découverte nouvelle?

      – J’ai relevé plusieurs faits importants, répondit M. Lecoq, mais je ne puis me prononcer avant d’avoir encore vu là-haut au jour. Je demanderai donc à monsieur le juge d’instruction la permission de ne lui présenter mon rapport que demain, dans l’après-midi. Je crois pouvoir répondre, d’ailleurs, que si embrouillée que soit cette affaire…

      M. Domini ne le laissa pas achever.

      – Mais, interrompit-il, je ne vois rien d’embrouillé dans cette affaire; tout me paraît, au contraire, fort clair.

      – Cependant, objecta M. Lecoq, je pensais…

      – Je regrette vraiment, poursuivit le juge d’instruction, qu’on vous ait appelé avec trop de précipitation et sans grande nécessité. J’ai maintenant, contre les deux hommes que j’ai fait arrêter, les charges les plus concluantes.

      Le père Plantat et M. Lecoq échangèrent un long regard, trahissant leur surprise profonde.

      – Quoi! ne put s’empêcher de dire le vieux juge de paix, vous auriez, monsieur, recueilli des indices nouveaux!

      – Mieux que des indices, je crois, répondit M. Domini avec un plissement de lèvres de fâcheux augure; La Ripaille, que j’ai interrogé une seconde fois, commence à se troubler. Il a perdu tout à fait son arrogance. J’ai réussi à le faire se couper à plusieurs reprises et il a fini par m’avouer qu’il a vu les assassins.

      – Les assassins! exclama le père Plantat, il a dit les assassins?

      – Il a vu au moins l’un d’entre eux. Il persiste me jurer qu’il ne l’a pas reconnu. Voilà où nous en sommes. Mais les ténèbres de la prison ont des terreurs salutaires. Demain, après une nuit d’insomnie, mon homme, j’en suis persuadé, sera bien autrement explicite.

      – Mais Guespin, interrogea anxieusement le vieux juge, avez-vous de nouveau questionné Guespin.

      – Oh! fit M. Domini, pour ce qui est de celui-là, tout est dit.

      – Il a avoué? demanda M. Lecoq stupéfié.

      Le juge d’instruction se tourna à demi vers l’homme de la police, comme s’il eût trouvé mauvais qu’il osât le questionner.

      – Guespin n’a rien avoué, répondit-il néanmoins, mais sa cause n’en est pas meilleure. Nos bateliers sont revenus. Ils n’ont pas encore retrouvé le cadavre de M. de Trémorel qu’ils supposent avoir été entraîné par le courant. Mais, ils ont repêché d’abord au bout du parc, dans les roseaux, l’autre pantoufle du comte; puis, au milieu de la Seine, sous le pont, remarquez bien ce détail, sous le pont, une veste de drap grossier qui porte encore des traces de sang.

      – Et cette veste est à Guespin? demandèrent ensemble le vieux juge de paix et l’agent de la Sûreté.

      – Précisément. Elle a été reconnue par tous les gens du château et Guespin a avoué sans difficulté qu’elle lui appartient. Mais ce n’est pas tout…

      M. Domini s’arrêta comme pour reprendre haleine, en réalité pour faire languir un peu le père Plantat. Par suite de leurs divergences d’opinions, il avait cru reconnaître en lui une certaine

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