Le magasin d'antiquités. Tome I. Чарльз Диккенс
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Le magasin d'antiquités. Tome I - Чарльз Диккенс страница 20
«C'est sans doute pour vous rappeler le traiteur, dit Trent en ricanant, dans le cas où vous pourriez l'oublier par mégarde?
– Non, Fred, répondit gravement Richard en continuant d'écrire comme un homme très-affairé; ce n'est pas tout à fait cela. Je note dans ce petit livre les noms des rues où il m'est interdit de passer, tant que les boutiques en sont ouvertes. Notre dîner d'aujourd'hui me ferme Long-Acre. La semaine dernière, j'ai acheté une paire de bottes dans Great-Queen-Street, et je ne puis plus aller par là. Maintenant, si je veux me rendre au Strand, il n'y a plus pour moi qu'un chemin, et encore faudra-t-il que je me le ferme en y achetant ce soir une paire de gants. Toutes les issues sont si bien bouchées que si, d'ici à un mois, ma tante ne m'envoie de l'argent, je serai forcé d'aller m'établir à trois ou quatre milles de Londres pour pouvoir circuler avec sécurité.
– Mais ne craignez-vous pas qu'à la longue elle ne se fatigue?
– J'espère que non; cependant le nombre de lettres que j'ai à lui écrire d'ordinaire pour l'attendrir est de six, et cette fois nous ne lui en avons pas envoyé moins de huit sans obtenir aucun effet. Demain matin, je lui écrirai de nouveau. Je compte faire beaucoup de pâtés et arroser ma lettre de larmes que je verserai du flacon à l'essence de poivre pour leur donner un air plus sombre et plus pénitent. «Ma chère tante, je suis dans un état d'esprit tel, que je sais à peine ce que j'écris. – Un pâté. – Si vous pouviez me voir en ce moment versant des pleurs amers sur les fautes de mon passé!.. – Poivrière. – Quand j'y pense, ma main tremble…» – Encore un pâté. – Ma foi, si cela ne produit rien, tout est fini.»
En parlant ainsi, Swiveller avait achevé de tracer sa note; il replaça le crayon dans son petit étui et ferma le carnet d'un air parfaitement calme et sérieux. Frédéric songea alors qu'il avait un engagement qui l'appelait dehors, et laissa Richard en compagnie du vin rosé et de ses méditations sur miss Sophie Wackles.
«C'est un peu subit, se dit Richard, secouant la tête avec un regard profond et jetant en désordre des lambeaux de poésies à travers ses réflexions, comme de la vile prose, habitude qu'on lui connaît: si le coeur de l'homme est accablé de crainte, ce brouillard se dissipe quand miss Wackles apparaît: miss Wackles, cette délicieuse créature!.. C'est la rose vermeille qui éclôt sous les rayons de juin. On ne peut nier qu'elle ne soit aussi, comme une douce mélodie jouée sur un instrument harmonieux. C'est réellement un peu subit. Assurément, il n'est pas urgent de rompre immédiatement avec elle, à cause de la petite soeur de Fred; mais il vaut mieux ne pas aller trop loin. Si je dois lui battre froid, il sera bon de le faire tout de suite. Il y aurait lieu à une action judiciaire pour rupture de promesse, premier point. Sophie pourra trouver un autre mari, second point. Il est probable que… Non, cela n'est pas probable; mais, en tout cas, il vaut mieux se tenir sur ses gardes.»
Cette chance, qu'il n'avait pas développée et sur laquelle il s'était arrêté tout court, c'était la possibilité, qu'il ne cherchait pas à se dissimuler à lui-même, qu'il ne fût pas encore parfaitement à l'épreuve des charmes de miss Wackles et la crainte que, s'il venait à lier son sort à celui de cette jeune fille dans un moment d'abandon, il ne s'enlevât à lui-même le moyen de poursuivre le beau plan d'avenir qu'il avait accueilli avec tant de chaleur de la bouche de son ami. Toutes ces raisons réunies le décidèrent à chercher querelle à miss Wackles sans perdre de temps et à la planter là sous un prétexte en l'air de jalousie mal fondée. Fixé sur ce point important, il fit passer plusieurs fois le verre de sa droite à sa gauche, et de sa gauche à sa droite, avec une assez notable dextérité, pour se mettre en état de remplir son rôle en homme prudent; puis, après avoir donné quelques soins à sa toilette, il sortit et se dirigea vers le lien poétisé par le charmant objet de ses méditations.
C'était à Chelsea. Miss Sophie Wackles y demeurait avec sa mère, qui était veuve, et deux soeurs; elles tenaient ensemble un modeste externat pour les petites filles: ce qu'indiquait aux passants un cadre ovale placé au-dessus d'une fenêtre du premier étage et où on lisait au milieu de magnifiques parafes: Pensionnat de jeunes demoiselles. Le fait prenait chaque matin plus de certitude encore lorsque, de neuf heures et demie à dix, on voyait arriver quelque enfant d'âge encore tendre, élève isolée et solitaire qui, se posant sur le décrottoir et se levant sur la pointe de ses pieds, faisait de pénibles efforts pour atteindre le marteau avec son abécédaire. Voici comment étaient réparties dans cet établissement les diverses fonctions des institutrices: grammaire anglaise, composition, géographie, exercice gymnastique des haltères, par miss Mélissa Wackles; écriture, arithmétique, danse, musique, arts d'agrément en général, par miss Sophie Wackles; travaux d'aiguille, modèles sur le canevas pour apprendre à marquer, par miss Jane Wackles; punitions corporelles, pain sec et autres châtiments et tortures composant le département de la terreur, par mistress Wackles. Miss Mélissa était la fille aînée; miss Sophie, la cadette, et miss Jane la dernière. Miss Mélissa avait vu trente-cinq printemps, ou à peu près, et elle s'acheminait vers l'automne; miss Sophie était une jeune fille de vingt ans, fraîche, avenante et gaie; quant à miss Jane, à peine comptait-elle seize années. Mistress Wackles était une personne de soixante ans, excellente peut-être, mais d'humeur acariâtre.
C'est vers ce «pensionnat de jeunes demoiselles» que Richard Swiveller se dirigeait en toute hâte avec des projets hostiles au repos de la belle Sophie. Celle-ci, vêtue de blanc comme une vierge, et n'ayant pour tout ornement qu'une rose rouge, reçut le jeune homme à son arrivée, au milieu de dispositions fort élégantes, pour ne pas dire brillantes. Ainsi, le salon avait été décoré de ces petits pots de fleurs qui d'ordinaire étaient placés sur le bord extérieur de la croisée, à moins qu'on ne les mît dans la cour du sous-sol, quand il faisait trop de vent. Ainsi on avait invité à embellir la fête de leur présence quelques-unes des élèves de l'externat. Ainsi encore miss Jane Wackles, pour disposer en boucles ses cheveux qui n'y étaient point accoutumés, avait gardé sa tête, toute la journée précédente, étroitement serrée dans une grande affiche de théâtre, dont elle avait composé ses papillotes jaunes: joignez à tant de frais la politesse solennelle et le port majestueux de la vieille dame et de sa fille aînée. Swiveller s'aperçut bien qu'il y avait dans tout cela de l'extraordinaire, mais il ne fut pas impressionné.
Le fait est, et, comme on ne saurait disputer des goûts (un goût aussi étrange que celui-ci peut être cité sans qu'on nous accuse d'invention méchamment préméditée), le fait est que ni mistress Wackles, ni sa fille aînée, n'avaient jamais vu d'un oeil favorable les assiduités de M. Swiveller; elles avaient coutume de le traiter sans conséquence «comme un jeune homme léger,» et elles soupiraient et secouaient la tête en signe de fâcheux augure toutes les fois que son nom venait à être prononcé devant elles. Miss Sophie elle-même, qui jugeait que la conduite de M. Swiveller, vis-à-vis d'elle, avait ce caractère vague et dilatoire qui n'annonce point des intentions matrimoniales bien déterminées, avait fini par désirer fortement une conclusion dans un sens ou dans l'autre. Elle avait donc consenti enfin à opposer à Richard un jardinier pépiniériste qui se déclarerait sur le moindre encouragement; et, comme cette occasion avait été choisie dans ce but, on concevra aisément que Sophie appelât de tous ses voeux la présence de Swiveller à la réunion, et que même elle lui eût écrit pour cela et porté la lettre dont nous avons parlé. «S'il a, disait mistress Wackles à sa fille aînée, quelques espérances ou quelque moyen d'entretenir convenablement une femme, il nous les fera connaître maintenant ou jamais. – S'il m'aime réellement, pensait de son côté Sophie, il faudra bien qu'il me le dise ce soir.»
Mais comme Swiveller ne savait absolument rien de ce qui se faisait, se disait, se pensait à la maison, il n'en était pas le moins du monde troublé. Il cherchait dans son esprit quelle était la meilleure manière de devenir jaloux; et il aurait souhaité