Le magasin d'antiquités. Tome I. Чарльз Диккенс
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«Tenez, dit-il en mettant la main dans la poche de son habit et en s'approchant de côté vers le vieillard, je l'ai apporté moi-même de crainte d'accident; la somme, quoique en or, eût été trop forte et trop lourde pour tenir dans le petit sac de Nelly. Il faut cependant, voisin, qu'elle s'habitue de bonne heure à de semblables fardeaux, car elle en aura à porter quand vous serez mort.
– Fasse le ciel que vous disiez vrai! Je l'espère, du moins! dit le vieillard avec une sorte de gémissement.
– Je l'espère!» répéta le nain.
Et s'approchant plus près encore:
«Voisin, je voudrais bien savoir où vous mettez tout cet argent; mais vous êtes un homme profond, et vous gardez bien votre secret.
– Mon secret!.. dit l'autre avec un regard plein de trouble. Oui, vous avez raison, je… je garde bien mon secret, je le garde bien.»
Sans rien ajouter, il prit l'argent et s'en alla d'un pas lourd et incertain, portant la main à son visage comme un homme contrarié et abattu. Le nain le suivit de ses yeux pénétrants, tandis que le vieillard passait dans le petit salon et plaçait la somme dans un coffre-fort en fer, près de la cheminée. Après avoir rêvé quelques instants, il se disposa à prendre congé du bonhomme en disant que, s'il ne faisait diligence, il trouverait certainement à son retour Mme Quilp en pleine crise nerveuse.
«Ainsi, voisin, dit-il, je vais regagner mon logis en vous chargeant de mes amitiés pour Nelly; j'espère qu'à l'avenir elle ne se perdra plus en route, quoique sa mésaventure m'ait valu un honneur sur lequel je ne comptais pas.»
En parlant ainsi, il s'inclina, me regardant du coin de l'oeil; puis, après avoir jeté un regard intelligent qui semblait embrasser tous les objets d'alentour, quelle que fût leur petitesse ou leur peu de valeur, il partit.
Plusieurs fois j'avais essayé de m'en aller moi-même, mais le vieillard s'y était toujours opposé en me conjurant de rester. Comme il renouvelait sa prière au moment où enfin nous étions seuls, et revenait, avec mille remercîments, sur la circonstance à laquelle nous devions de nous connaître, je cédai volontiers à ses instances et m'assis avec l'air d'examiner quelques miniatures curieuses et un petit nombre d'anciennes médailles qu'il plaça devant moi. Il ne fallait pas, d'ailleurs, insister beaucoup pour me déterminer à rester, car il est certain que si ma curiosité avait été éveillée lors de ma première visite, elle n'avait pas diminué dans la seconde.
Nell ne tarda pas à venir nous rejoindre, et, posant sur la table quelque travail de couture, elle s'assit à côté du vieillard. Rien de charmant à voir comme les fleurs fraîches qu'elle avait mises dans la chambre, comme l'oiseau favori dont la petite cage était ombragée par un vert rameau, comme le souffle de fraîcheur et de jeunesse qui semblait frémir à travers cette vieille et triste maison, et voltiger autour de l'enfant! Il était curieux aussi, quoique moins agréable, de passer de la beauté et de la grâce de l'enfant, à la taille voûtée, au visage soucieux, à la physionomie fatiguée du vieillard. À mesure qu'il allait devenir, plus faible et plus abattu, qu'adviendrait-il de cette petite créature isolée? Et s'il mourait, le pauvre protecteur, quel serait le sort de la protégée?
Le vieillard, qui parut répondre exactement à mes pensées, posa sa main sur celle de Nelly et dit tout haut:
«Je ne veux plus être si triste, Nelly, il est impossible qu'il n'y ait pas quelque bonne fortune en réserve pour toi; je dis pour toi, car pour moi je ne demande rien. Sinon, le malheur s'appesantirait si lourdement sur ta tête innocente!.. Mais non, tous mes efforts ne seront pas perdus, c'est impossible.»
Elle le regarda gaiement, mais sans rien répondre.
«Quand je pense, reprit-il, à ces années nombreuses, oui, nombreuses dans ta courte existence, où tu as vécu seule auprès de moi; à ces jours monotones, sans compagnes ni plaisirs de ton âge; à cette solitude où tu as grandi, en quelque sorte, loin du genre humain tout entier, et en face d'un vieillard seulement, je crains quelquefois, Nelly, de n'avoir pas agi avec toi comme je le devais.
– Oh! grand-père!.. s'écria l'enfant avec une surprise pleine d'émotion.
– Oui, dit-il, sans le vouloir, sans le vouloir. J'ai toujours aspiré au moment où tu pourrais figurer parmi les dames les plus heureuses et les plus belles dans la position la plus brillante. Mais j'en suis encore à y aspirer, j'y aspire toujours, et, en attendant, s'il me fallait te quitter, t'aurais-je suffisamment préparée pour les luttes du monde? Ce pauvre oiseau que voilà serait aussi bien en état d'en courir les risques si on lui donnait la volée. Attention! j'entends Kit; il est à la porte: va lui ouvrir, Nell.»
Elle se leva, fit vivement quelques pas, s'arrêta, se retourna et jeta ses bras au cou du vieillard, puis le quitta, et s'élança, plus vite cette fois afin de cacher les larmes qui coulaient de ses yeux.
«Un mot, monsieur, me dit le vieillard à voix basse et d'un ton précipité; un mot à l'oreille. Vos paroles de l'autre soir m'ont rendu malheureux. Voici ma seule justification: j'ai tout fait pour le mieux, il est trop tard pour revenir sur mes pas quand bien même je le pourrais; mais je ne le puis, et d'ailleurs j'espère encore triompher! Tout pour elle. J'ai supporté moi-même la plus grande misère afin de lui épargner les souffrances qu'entraîne la pauvreté; je veux lui épargner les peines qui ont mis au tombeau, hélas! trop tôt! sa mère, ma chère fille! Je veux lui laisser non pas de ces ressources vulgaires qui pourraient aisément se perdre et se dissiper, mais une fortune qui la place pour toujours au-dessus du besoin. Remarquez bien cela, monsieur: ce n'est pas du pain que je veux lui assurer, c'est une fortune. Mais, chut! la voici, je ne puis vous en dire davantage, ni maintenant, ni jamais, en sa présence.»
L'impétuosité avec laquelle il me fit cette confidence, le tremblement de sa main qui pressait mon bras, les yeux ouverts et brillants qu'il fixait sur moi, sa véhémence passionnée et son agitation, tout cela me remplit, d'étonnement. D'après ce que j'avais vu et entendu, d'après une grande partie de ce qu'il m'avait dit lui-même, je le supposais riche. Mais, quant à son caractère, je ne pouvais le définir, à moins que ce ne fût un de ces misérables qui, ayant fait de la fortune l'unique but, l'unique objet de leur vie, et ayant réussi à amasser de grands biens, sont continuellement torturé par la crainte de la pauvreté et obsédés par l'inquiétude de perdre de l'argent et de se ruiner. Il m'avait dit bien des choses que je n'avais pu comprendre, et qui ne pouvaient s'expliquer que par cette supposition. Je finis donc par conclure que sans nul doute il appartenait à cette catégorie malheureuse.
On ne dira toujours pas que cette opinion fut pour moi le résultat d'une réflexion rapide, car je n'eus pas le temps de réfléchir du tout, la jeune fille étant revenue tout de suite et se disposant à donner à Kit une leçon d'écriture. Il en recevait deux par semaine, dont une régulièrement ce soir-là, et j'ai lieu de croire que le professeur et l'élève y trouvaient un égal plaisir. Il me faudrait plus de temps et d'espace que n'en méritent de tels détails pour dire tous les efforts qu'il fallut faire avant qu'on pût décider le modeste Kit à s'asseoir devant un monsieur qu'il ne connaissait pas; comment, étant assis enfin, il retroussa ses manches, posa carrément ses coudes, appliqua son nez sur son cahier et fixa ses yeux sur l'exemple en louchant horriblement: comment, dès qu'il eut la plume en main, il se vautra dans les pâtés et se barbouilla d'encre jusqu'à la racine des cheveux; comment, si par hasard il lui arrivait de bien tracer une lettre,