Le vicomte de Bragelonne, Tome I.. Dumas Alexandre

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Le vicomte de Bragelonne, Tome I. - Dumas Alexandre

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ce temps, Mlle de Montalais avait pris la lettre, l'avait pliée soigneusement, comme font les femmes, en trois plis, et l'avait glissée dans sa poitrine.

      – N'ayez pas peur, Louise, dit-elle; Monsieur n'ira pas plus la prendre ici, que le défunt roi Louis XIII ne prenait les billets dans le corsage de Mlle de Hautefort.

      Raoul rougit en voyant le sourire des deux jeunes filles, et il ne remarqua pas que la main de Louise était restée entre les siennes.

      – Là! dit Montalais, vous m'avez pardonné, Louise, de vous avoir amené Monsieur; vous, monsieur, ne m'en voulez plus de m'avoir suivie pour voir Mademoiselle. Donc, maintenant que la paix est faite, causons comme de vieux amis. Présentez-moi, Louise, à M. de Bragelonne.

      – Monsieur le vicomte, dit Louise avec sa grâce sérieuse et son candide sourire, j'ai l'honneur de vous présenter Mlle Aure de Montalais, jeune fille d'honneur de Son Altesse Royale Madame, et de plus mon amie, mon excellente amie.

      Raoul salua cérémonieusement.

      – Et moi! Louise, dit-il, ne me présentez-vous pas aussi à

      Mademoiselle?

      – Oh! elle vous connaît! elle connaît tout!

      Ce mot naïf fit rire Montalais et soupirer de bonheur Raoul, qui l'avait interprété ainsi: Elle connaît tout notre amour.

      – Les politesses sont faites, monsieur le vicomte, dit Montalais; voici un fauteuil, et dites-nous bien vite la nouvelle que vous nous apportez ainsi courant.

      – Mademoiselle, ce n'est plus un secret. Le roi, se rendant à

      Poitiers, s'arrête à Blois pour visiter Son Altesse Royale.

      – Le roi ici! s'écria Montalais en frappant ses mains l'une contre l'autre; nous allons voir la cour! Concevez-vous cela, Louise? la vraie cour de Paris! Oh! mon Dieu! Mais quand cela, monsieur?

      – Peut-être ce soir, mademoiselle; assurément demain.

      Montalais fit un geste de dépit.

      – Pas le temps de s'ajuster! pas le temps de préparer une robe! Nous sommes ici en retard comme des Polonaises! Nous allons ressembler à des portraits du temps de Henri IV!.. Ah! monsieur, la méchante nouvelle que vous nous apportez là!

      – Mesdemoiselles, vous serez toujours belles.

      – C'est fade!.. nous serons toujours belles, oui, parce que la nature nous a faites passables; mais nous serons ridicules, parce que la mode nous aura oubliées… Hélas! ridicules! on me verra ridicule, moi?

      – Qui cela? dit naïvement Louise.

      – Qui cela? vous êtes étrange, ma chère!.. Est-ce une question à m'adresser? On, veut dire tout le monde; on, veut dire les courtisans, les seigneurs; on, veut dire le roi.

      – Pardon, ma bonne amie, mais comme ici tout le monde a l'habitude de nous voir telles que nous sommes…

      – D'accord; mais cela va changer, et nous serons ridicules, même pour Blois; car près de nous on va voir les modes de Paris, et l'on comprendra que nous sommes à la mode de Blois! C'est désespérant!

      – Consolez-vous, mademoiselle.

      – Ah bast! au fait, tant pis pour ceux qui ne me trouveront pas à leur goût! dit philosophiquement Montalais.

      – Ceux-là seraient bien difficiles, répliqua Raoul fidèle à son système de galanterie régulière.

      – Merci, monsieur le vicomte. Nous disions donc que le roi vient à Blois?

      – Avec toute la cour.

      – Mlles de Mancini y seront-elles?

      – Non pas, justement.

      – Mais puisque le roi, dit-on, ne peut se passer de Mlle Marie?

      – Mademoiselle, il faudra bien que le roi s'en passe. M. le cardinal le veut. Il exile ses nièces à Brouage.

      – Lui! l'hypocrite!

      – Chut! dit Louise en collant son doigt sur ses lèvres roses.

      – Bah! personne ne peut m'entendre. Je dis que le vieux Mazarino

      Mazarini est un hypocrite qui grille de faire sa nièce reine de

      France.

      – Mais non, mademoiselle, puisque M. le cardinal, au contraire, fait épouser à Sa Majesté l'infante Marie-Thérèse.

      Montalais regarda en face Raoul et lui dit:

      – Vous croyez à ces contes, vous autres Parisiens? Allons, nous sommes plus forts que vous à Blois.

      – Mademoiselle, si le roi dépasse Poitiers et part pour l'Espagne, si les articles du contrat de mariage sont arrêtés entre don Luis de Haro et Son Éminence, vous entendez bien que ce ne sont plus des jeux d'enfant.

      – Ah çà! mais, le roi est le roi, je suppose?

      – Sans doute, mademoiselle, mais le cardinal est le cardinal.

      – Ce n'est donc pas un homme, que le roi? Il n'aime donc pas

      Marie de Mancini?

      – Il l'adore.

      – Eh bien! il l'épousera; nous aurons la guerre avec l'Espagne; M. Mazarin dépensera quelques-uns des millions qu'il a de côté; nos gentilshommes feront des prouesses à l'encontre des fiers Castillans, et beaucoup nous reviendront couronnés de lauriers, et que nous couronnerons de myrte. Voilà comme j'entends la politique.

      – Montalais, vous êtes une folle, dit Louise, et chaque exagération vous attire, comme le feu attire les papillons.

      – Louise, vous êtes tellement raisonnable que vous n'aimerez jamais.

      – Oh! fit Louise avec un tendre reproche, comprenez donc, Montalais! La reine mère désire marier son fils avec l'infante; voulez vous que le roi désobéisse à sa mère? Est-il d'un coeur royal comme le sien de donner le mauvais exemple? Quand les parents défendent l'amour, chassons l'amour!

      Et Louise soupira; Raoul baissa les yeux d'un air contraint.

      Montalais se mit à rire.

      – Moi, je n'ai pas de parents, dit-elle.

      – Vous savez sans doute des nouvelles de la santé de M. le comte de La Fère, dit Louise à la suite de ce soupir, qui avait tant révélé de douleurs dans son éloquente expansion.

      – Non, mademoiselle, répliqua Raoul, je n'ai pas encore rendu visite à mon père; mais j'allais à sa maison, quand Mlle de Montalais a bien voulu m'arrêter; j'espère que M. le comte se porte bien. Vous n'avez rien ouï dire de fâcheux, n'est-ce pas?

      – Rien, monsieur Raoul, rien, Dieu merci!

      Ici s'établit un silence pendant lequel deux âmes qui suivaient la même idée s'entendirent parfaitement, même

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