Le vicomte de Bragelonne, Tome I.. Dumas Alexandre
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– Mesdemoiselles, je vous gêne beaucoup; j'ai été bien indiscret sans doute, balbutia Raoul, fort mal à son aise.
– C'est un pas lourd, dit Louise.
– Ah! si ce n'est que M. Malicorne, répliqua Montalais, ne nous dérangeons pas.
Louise et Raoul se regardèrent pour se demander ce que c'était que
M. Malicorne.
– Ne vous inquiétez pas, poursuivit Montalais, il n'est pas jaloux.
– Mais, mademoiselle… dit Raoul.
– Je comprends… Eh bien! il est aussi discret que moi.
– Mon Dieu! s'écria Louise, qui avait appuyé son oreille sur la porte entrebâillée, je reconnais les pas de ma mère!
– Mme de Saint-Remy! Où me cacher? dit Raoul, en sollicitant vivement la robe de Montalais, qui semblait un peu avoir perdu la tête.
– Oui, dit celle-ci, oui, je reconnais aussi les patins qui claquent. C'est notre excellente mère!.. Monsieur le vicomte, c'est bien dommage que la fenêtre donne sur un pavé et cela à cinquante pieds de haut. Raoul regarda le balcon d'un air égaré, Louise saisit son bras et le retint.
– Ah çà! suis-je folle? dit Montalais, n'ai-je pas l'armoire aux robes de cérémonie? Elle a vraiment l'air d'être faite pour cela.
Il était temps, Mme de Saint-Remy montait plus vite qu'à l'ordinaire; elle arriva sur le palier au moment où Montalais, comme dans les scènes de surprises, fermait l'armoire en appuyant son corps sur la porte.
– Ah! s'écria Mme de Saint-Remy, vous êtes ici, Louise?
– Oui! madame, répondit-elle, plus pâle que si elle eût été convaincue d'un grand crime.
– Bon! bon!
– Asseyez-vous, madame, dit Montalais en offrant un fauteuil à Mme de Saint-Remy, et en le plaçant de façon qu'elle tournât le dos à l'armoire.
– Merci, mademoiselle Aure, merci; venez vite, ma fille, allons.
– Où voulez-vous donc que j'aille, madame?
– Mais, au logis; ne faut-il pas préparer votre toilette?
– Plaît-il? fit Montalais, se hâtant de jouer la surprise, tant elle craignait de voir Louise faire quelque sottise.
– Vous ne savez donc pas la nouvelle? dit Mme de Saint-Remy.
– Quelle nouvelle, madame, voulez-vous que deux filles apprennent en ce colombier?
– Quoi!.. vous n'avez vu personne?..
– Madame, vous parlez par énigmes et vous nous faites mourir à petit feu! s'écria Montalais, qui, effrayée de voir Louise de plus en plus pâle, ne savait à quel saint se vouer.
Enfin elle surprit de sa compagne un regard parlant, un de ces regards qui donneraient de l'intelligence à un mur.
Louise indiquait à son amie le chapeau, le malencontreux chapeau de Raoul qui se pavanait sur la table.
Montalais se jeta au-devant, et, le saisissant de sa main gauche, le passa derrière elle dans la droite, et le cacha ainsi tout en parlant.
– Eh bien! dit Mme de Saint-Remy, un courrier nous arrive qui annonce la prochaine arrivée du roi. Ça, mesdemoiselles, il s'agit d'être belles!
– Vite! vite! s'écria Montalais, suivez Mme votre mère, Louise, et me laissez ajuster ma robe de cérémonie.
Louise se leva, sa mère la prit par la main et l'entraîna sur le palier.
– Venez, dit-elle.
Et tout bas:
– Quand je vous défends de venir chez Montalais, pourquoi y venez-vous?
– Madame, c'est mon amie. D'ailleurs, j'arrivais.
– On n'a fait cacher personne devant vous?
– Madame!
– J'ai vu un chapeau d'homme, vous dis-je: celui de ce drôle, de ce vaurien!
– Madame! s'écria Louise.
– De ce fainéant de Malicorne! Une fille d'honneur fréquenter ainsi… fi!
Et les voix se perdirent dans les profondeurs du petit escalier.
Montalais n'avait pas perdu un mot de ces propos que l'écho lui renvoyait comme par un entonnoir.
Elle haussa les épaules, et, voyant Raoul qui, sorti de sa cachette, avait écouté aussi:
– Pauvre Montalais! dit-elle, victime de l'amitié!.. Pauvre
Malicorne!.. victime de l'amour!
Elle s'arrêta sur la mine tragi-comique de Raoul, qui s'en voulut d'avoir en un jour surpris tant de secrets.
– Oh! mademoiselle, dit-il, comment reconnaître vos bontés?
– Nous ferons quelque jour nos comptes, répliqua-t-elle; pour le moment, gagnez au pied, monsieur de Bragelonne, car Mme de Saint- Remy n'est pas indulgente, et quelque indiscrétion de sa part pourrait amener ici une visite domiciliaire fâcheuse pour nous tous. Adieu!
– Mais Louise… comment savoir?..
– Allez! allez! le roi Louis XI savait bien ce qu'il faisait lorsqu'il inventa la poste.
– Hélas! dit Raoul.
– Et ne suis-je pas là, moi, qui vaux toutes les postes du royaume? Vite à votre cheval! et que si Mme de Saint-Remy remonte pour me faire de la morale, elle ne vous trouve plus ici.
– Elle le dirait à mon père, n'est-ce pas? murmura Raoul.
– Et vous seriez grondé! Ah! vicomte, on voit bien que vous venez de la cour: vous êtes peureux comme le roi. Peste! à Blois, nous nous passons mieux que cela du consentement de papa! Demandez à Malicorne.
Et, sur ces mots, la folle jeune fille mit Raoul à la porte par les épaules; celui-ci se glissa le long du porche, retrouva son cheval, sauta dessus et partit comme s'il eût les huit gardes de Monsieur à ses trousses.
Chapitre IV – Le père et le fils
Raoul suivit la route bien connue, bien chère à sa mémoire, qui conduisait de Blois à la maison du comte de La Fère. Le lecteur nous dispensera d'une description nouvelle de cette habitation. Il y a pénétré avec nous en d'autres temps; il la connaît. Seulement, depuis le dernier voyage que nous y avons fait, les murs avaient pris une teinte plus grise, et la brique des tons de cuivre plus harmonieux; les arbres avaient grandi, et tel autrefois allongeait ses bras grêles par-dessus les haies, qui maintenant, arrondi, touffu, luxuriant, jetait au loin, sous ses rameaux gonflés de sève, l'ombre épaisse des fleurs ou des fruits pour