Valentine. Жорж Санд
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Son cheval, comme s'il eût partagé le sentiment de découragement qui s'était emparé d'elle, se mit à marcher lentement et avec négligence. De temps en temps il heurtait son sabot retentissant contre un caillou d'où jaillissait un éclair, ou il allongeait sa bouche altérée vers les petites pousses tendres des ormilles.
Tout à coup, dans ce silence, dans cette campagne déserte, sur ces prairies qui n'avaient jamais ouï d'autre mélodie que le pipeau de quelque enfant désœuvré, ou la chanson rauque et graveleuse d'un meunier attardé; tout à coup, au murmure de l'eau et aux soupirs de la brise, vint se joindre une voix pure, suave, enchanteresse, une voix d'homme, jeune et vibrante comme celle d'un hautbois. Elle chantait un air du pays bien simple, bien lent, bien triste comme ils le sont tous. Mais comme elle le chantait! Certes, ce n'était pas un villageois qui savait ainsi poser et moduler les sons. Ce n'était pas non plus un chanteur de profession qui s'abandonnait ainsi à la pureté du rhythme, sans ornement et sans système. C'était quelqu'un qui sentait la musique et qui ne la savait pas; ou, s'il la savait, c'était le premier chanteur du monde, car il paraissait ne pas la savoir, et sa mélodie, comme une voix des éléments, s'élevait vers les cieux sans autre poésie que celle du sentiment. Si, dans une forêt vierge, loin des œuvres de l'art, loin des quinquets de l'orchestre et des réminiscences de Rossini, parmi ces sapins alpestres où jamais le pied de l'homme n'a laissé d'empreinte, les créations idéales de Manfred venaient à se réveiller, c'est ainsi qu'elles chanteraient, pensa Valentine.
Elle avait laissé tomber les rênes; son cheval broutait les marges du sentier; Valentine n'avait plus peur, elle était sous le charme de ce chant mystérieux, et son émotion était si douce qu'elle ne songeait point à s'étonner de l'entendre en ce lieu et à cette heure.
Le chant cessa. Valentine crut avoir fait un rêve; mais il recommença en se rapprochant, et chaque instant l'apportait plus net à l'oreille de la belle voyageuse; puis il s'éteignit encore, et elle ne distingua plus que le trot d'un cheval. À la manière lourde et décousue dont il rasait la terre, il était facile d'affirmer que c'était le cheval d'un paysan.
Valentine eut un sentiment de peur en songeant qu'elle allait se trouver, dans cet endroit isolé, tête à tête avec un homme qui pouvait bien être un rustre, un ivrogne; car était-ce lui qui venait de chanter, ou le bruit de sa marche avait-il fait envoler le sylphe mélodieux? Cependant il valait mieux l'aborder que de passer la nuit dans les champs. Valentine songea que, dans le cas d'une insulte, son cheval avait de meilleures jambes que celui qui venait à elle, et, cherchant à se donner une assurance qu'elle n'avait pas, elle marcha droit à lui.
– Qui va là? cria une voix ferme.
– Valentine de Raimbault, répondit la jeune fille, qui n'était peut-être pas tout à fait étrangère à l'orgueil de porter le nom le plus honoré du pays. Cette petite vanité n'avait rien de ridicule, puisqu'elle tirait toute sa considération des vertus et de la bravoure de son père.
– Mademoiselle de Raimbault! toute seule ici! reprit le voyageur. Et où donc est M. de Lansac?.. Est-il tombé de cheval? est-il mort?..
– Non, grâce au ciel, répondit Valentine, rassurée par cette voix qu'elle croyait reconnaître. Mais si je ne me trompe pas, Monsieur, l'on vous nomme Bénédict, et nous avons dansé aujourd'hui ensemble.
Bénédict tressaillit. Il trouva qu'il n'y avait point de pudeur à rappeler une circonstance si délicate, et dont la seule pensée en ce moment et dans cette solitude faisait refluer tout son sang vers sa poitrine. Mais l'extrême candeur ressemble parfois à de l'effronterie. Le fait est que Valentine, absorbée par l'agitation de sa course nocturne, avait complètement oublié l'anecdote du baiser. Elle s'en souvint au ton dont Bénédict lui répondit:
– Oui, Mademoiselle, je suis Bénédict.
– Eh bien, dit-elle, rendez-moi le service de me remettre dans mon chemin.
Et elle lui raconta comment elle s'était égarée.
– Vous êtes à une lieue de la route que vous deviez tenir, lui répondit-il, et pour la rejoindre il faut que vous passiez par la ferme de Grangeneuve. Comme c'est là que je dois me rendre, j'aurai l'honneur de vous servir de guide; peut-être retrouverons-nous à l'entrée de la route la calèche qui vous aura attendue.
– Cela n'est pas probable, reprit Valentine; ma mère, qui m'a vue passer devant, croit sans doute que je dois arriver au château avant elle.
– En ce cas, Mademoiselle, si vous le permettez, je vous accompagnerai jusque chez vous. Mon oncle serait sans doute un guide plus convenable; mais il n'est point revenu de la fête, et je ne sais pas à quelle heure il rentrera.
Valentine pensa tristement au redoublement de colère que cette circonstance causerait à sa mère; mais comme elle était fort innocente de tous les événements de cette journée, elle accepta l'offre de Bénédict avec une franchise qui commandait l'estime. Bénédict fut touché de ses manières simples et douces. Ce qui l'avait choqué d'abord en elle, cette aisance qu'elle devait à l'idée de supériorité sociale où on l'avait élevée, finit par le gagner. Il trouva qu'elle était fille noble de bonne foi, sans morgue et sans fausse humilité. Elle était comme le terme moyen entre sa mère et sa grand'mère; elle savait se faire respecter sans offenser jamais. Bénédict était surpris de ne plus sentir auprès d'elle cette timidité, ces palpitations qu'un homme de vingt ans, élevé loin du monde, éprouve toujours dans le tête-à-tête d'une femme jeune et belle. Il en conclut que mademoiselle de Raimbault, avec sa beauté calme et son caractère candide, était digne d'inspirer une amitié solide. Aucune pensée d'amour ne lui vint auprès d'elle.
Après quelques questions réciproques, relatives à l'heure, à la route, à la bonté de leurs chevaux, Valentine demanda à Bénédict si c'était lui qui avait chanté. Bénédict savait qu'il chantait admirablement bien, et ce fut avec une secrète satisfaction qu'il se ressouvint d'avoir fait entendre sa voix dans la vallée. Néanmoins, avec cette profonde hypocrisie que nous donne l'amour-propre, il répondit négligemment:
– Avez-vous entendu quelque chose? C'était moi, je pense, ou les grenouilles des roseaux.
Valentine garda le silence. Elle avait tant admiré cette voix, qu'elle craignait d'en dire trop ou trop peu. Cependant, après une pause, elle lui demanda ingénument;
– Et où avez-vous appris à chanter?
– Si j'avais du talent, je serais en droit de répondre que cela ne s'apprend pas; mais chez moi ce serait une fatuité. J'ai pris quelques leçons à Paris.
– C'est une belle chose que la musique! reprit Valentine.
Et à propos de musique ils parlèrent de tous les arts.
– Je vois que vous êtes extrêmement musicienne, dit Bénédict à une remarque assez savante qu'elle venait de faire.
– On m'a appris cela comme on m'a tout appris, répondit-elle, c'est-à-dire superficiellement;… mais, comme j'avais le goût et l'instinct de cet art, je l'ai facilement compris.
– Et sans doute vous avez un grand talent?
– Moi! je joue des contredanses; voilà tout.
– Vous n'avez pas de voix?
– J'ai de la voix, j'ai chanté, et l'on trouvait que j'avais des dispositions; mais j'y ai renoncé.
– Comment!