Valentine. Жорж Санд

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Valentine - Жорж Санд

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est étrange!

      – Non. Dans le temps où nous vivons, il faut une spécialité. Notre rang, notre fortune ne tiennent à rien. Dans quelques années peut-être la terre de Raimbault, mon patrimoine sera un bien de l'État, comme elle l'a été il n'y a pas un demi-siècle. L'éducation que nous recevons est misérable; on nous donne les éléments de tout, et l'on ne nous permet pas de rien approfondir. On veut que nous soyons instruites; mais du jour où nous deviendrions savantes, nous serions ridicules. On nous élève toujours pour être riches, jamais pour être pauvres. L'éducation si bornée de nos aïeules valait beaucoup mieux; du moins elles savaient tricoter. La révolution les a trouvées femmes médiocres; elles se sont résignées à vivre en femmes médiocres; elles ont fait sans répugnance du filet pour vivre. Nous qui savons imparfaitement l'anglais, le dessin et la musique; nous qui faisons des peintures en laque, des écrans à l'aquarelle, des fleurs en velours, et vingt autres futilités ruineuses que les mœurs somptuaires d'une république repousseraient de la consommation, que ferions-nous? Laquelle de nous s'abaissera sans douleur à une profession mécanique? Car sur vingt d'entre nous, il n'en est souvent pas une qui possède à fond une connaissance quelconque. Je ne sache qu'un état qui leur convienne, c'est d'être femme de chambre. J'ai senti de bonne heure, aux récits de ma grand'mère et à ceux de ma mère (deux existences si opposées: l'émigration et l'empire, Coblentz et Marie-Louise), que je devais me garantir des malheurs de l'une, des prospérités de l'autre. Et quand j'ai été à peu près libre de suivre mon opinion, j'ai supprimé de mes talents ceux qui ne pouvaient me servir à rien. Je me suis adonnée à un seul, parce que j'ai remarqué que, quels que soient les temps et les modes, une personne qui fait très bien une chose se soutient toujours dans la société.

      – Vous pensez donc que la peinture sera moins négligée, moins inutile que la musique dans les mœurs lacédémoniennes que vous prévoyez, puisque vous l'avez rigidement embrassée contre votre vocation?

      – Peut-être; mais ce n'est pas là la question. Comme profession, la musique ne m'eût pas convenu; elle met une femme trop en évidence; elle la pousse sur le théâtre ou dans les salons; elle en fait une actrice ou une subalterne à qui l'on confie l'éducation d'une demoiselle de province. La peinture donne plus de liberté; elle permet une existence plus retirée, et les jouissances qu'elle procure doublent de prix dans la solitude. J'imagine que vous ne désapprouverez plus mon choix… Mais allons un peu plus vite, je vous prie; ma mère m'attend peut-être avec inquiétude.

      Bénédict, plein d'estime et d'admiration pour le bon sens de cette jeune fille, flatté de la confiance avec laquelle elle lui exposait ses pensées et son caractère, doubla le pas à regret. Mais comme la ferme de Grangeneuve étalait son grand pignon blanc au clair de la lune, une idée subite vint le frapper. Il s'arrêta brusquement, et, dominé par cette pensée qui l'agitait, il avança machinalement le bras pour arrêter le cheval de Valentine.

      – Qu'est-ce? lui dit-elle en retenant sa monture; n'est-ce pas par ici?

      Bénédict resta plongé dans un grand embarras. Puis tout d'un coup prenant courage:

      – Mademoiselle, dit-il, ce que j'ai à vous dire me cause une grande anxiété, parce que je ne sais pas bien comment vous l'accueillerez venant de moi. C'est la première fois de ma vie que je vous parle, et le ciel m'est témoin que je vous quitterai pénétré de vénération. Cependant ce peut être aussi la seule, la dernière fois que j'aurai ce bonheur; et si ce que j'ai à vous annoncer vous offense, il vous sera facile de ne jamais rencontrer la figure d'un homme qui aura eu le malheur de vous déplaire…

      Ce débat solennel jeta autant de crainte que de surprise dans l'esprit de Valentine. Bénédict avait dans tous les temps une physionomie particulièrement bizarre. Son esprit avait la même teinte de singularité; elle s'en était aperçue dans l'entretien qu'ils venaient d'avoir ensemble. Ce talent supérieur pour la musique, ces traits dont on ne pouvait saisir l'expression dominante, cet esprit cultivé et déjà sceptique à propos de tout, faisaient de lui un être étrange aux yeux de Valentine, qui n'avait jamais eu aucun rapport aussi direct avec un jeune homme d'une autre classe que la sienne. L'espèce de préface qu'il venait de lui débiter lui causa donc de l'épouvante. Quoique étrangère à de pures vanités, elle craignait une déclaration, et n'eut pas la présence d'esprit de répondre un seul mot.

      – Je vois que je vous effraie, Mademoiselle, reprit Bénédict. C'est que, dans la position délicate où je me trouve jeté par le hasard, je n'ai pas assez d'usage ou d'esprit pour me faire comprendre à demi-mot.

      Ces paroles augmentèrent l'effroi et la terreur de Valentine.

      – Monsieur, lui dit-elle, je ne pense pas que vous puissiez avoir à me dire quelque chose que je puisse entendre, après l'aveu que vous faites de votre embarras. Puisque vous craignez de m'offenser, je dois craindre de vous laisser commettre une gaucherie. Brisons là, je vous prie; et comme me voici dans mon chemin, agréez mes remerciements et ne prenez pas la peine d'aller plus loin…

      – J'aurais dû m'attendre à cette réponse, dit Bénédict profondément offensé. J'aurais dû moins compter sur ces apparences de raison et de sensibilité que je voyais chez mademoiselle de Raimbault…

      Valentine ne daigna pas lui répondre. Elle lui jeta un froid salut, et, tout épouvantée de la situation où elle se trouvait, elle fouetta son cheval et partit.

      Bénédict consterné la regardait fuir. Tout d'un coup il se frappa la tête avec dépit.

      – Je ne suis qu'un animal stupide, s'écria-t-il; elle ne me comprend pas!

      Et, faisant sauter le fossé à son cheval, il coupe à angle droit l'enclos que Valentine côtoyait: en trois minutes il se trouve vis-à-vis d'elle et lui barre le chemin. Valentine eut tellement peur qu'elle faillit tomber à la renverse.

      VII

      Bénédict se jette à bas de son cheval.

      – Mademoiselle, s'écrie-t-il, je tombe à vos genoux. N'ayez pas peur de moi. Vous voyez bien qu'à pied je ne puis vous poursuivre. Daignez m'écouter un moment. Je ne suis qu'un sot; je vous ai fait une mortelle injure en m'imaginant que vous ne vouliez pas me comprendre; et comme en voulant vous préparer je ne ferais qu'accumuler sottise sur sottise, je vais droit au but. N'avez-vous pas entendu parler dernièrement d'une personne qui vous est chère?

      – Ah! parlez, s'écria Valentine avec un cri parti du cœur.

      – Je le savais bien, dit Bénédict avec joie; vous l'aimez, vous la plaignez; on ne nous a pas trompés; vous désirez la revoir, vous seriez prête à lui tendre les bras. N'est-ce pas, Mademoiselle, que tout ce qu'on dit de vous est vrai?

      Il ne vint pas à la pensée de Valentine de se méfier de la sincérité de Bénédict. Il venait de toucher la corde la plus sensible de son âme; la prudence ne lui eût plus paru que de la lâcheté; c'est le propre des générosités enthousiastes.

      – Si vous savez où elle est, Monsieur, s'écria-t-elle en joignant les mains, béni soyez-vous, car vous allez me l'apprendre.

      – Je ferai peut-être une chose coupable aux yeux de la société; car je vous détournerai de l'obéissance filiale. Et pourtant je vais le faire sans remords; l'amitié que j'ai pour cette personne m'en fait un devoir, et l'admiration que j'ai pour vous me fait croire que vous ne me le reprocherez jamais. Ce matin elle a fait quatre lieues à pied dans la rosée des prés, sur les cailloux des guérets, enveloppée d'une mante de paysanne, pour vous apercevoir à votre fenêtre ou dans votre jardin. Elle est revenue sans y avoir réussi. Voulez-vous la dédommager ce soir, et la payer de toutes les peines de sa vie?

      – Conduisez-moi

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