La Daniella, Vol. I. Жорж Санд

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La Daniella, Vol. I - Жорж Санд

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cathédrale est un autre musée, encore plus précieux, des arts sacrés et profanes. Les mosaïques byzantines des voûtes sont d'un grand effet; mais la mosaïque de marbre du pavé central m'a donné un certain frisson de respect. C'est la même que celle du temple d'Adrien. Elle était là, servant au culte des dieux antiques, avant qu'une église eût remplacé le temple; elle avait été foulée, usée déjà par les prêtres de ce dieu Mars dont la statue est là aussi, baptisée du titre et du nom de Saint-Ephèse. Ah! si ces pavés pouvaient parler! que de choses ils nous raconteraient que notre imagination s'inquiète de ressaisir!

      Mais les eaux de l'Arno ou les croupes des monts pisans en ont vu davantage, me direz-vous. – Je vous répondrai que nous ne sommes jamais tentés d'interroger la nature brute sur les destinées humaines. Nous savons qu'elle gardera son secret; mais, du moment que, de ses flancs, une pierre est sortie pour être travaillée et employée par la main de l'homme, cette pierre devient un monument, un être, un témoin, et nous la retournons dans tous les sens pour y trouver une inscription, une simple trace qui soit une voix ou une révélation.

      C'est là, je crois, en dehors de l'effet pittoresque, le grand attrait des ruines, la curiosité! J'avoue que je suis très-las des réflexions imprimées, sur les destins de l'homme et la chute des empires. Ce fut la grande mode, il y a quelque quarante ans, sous notre empire à nous, de pleurer les vicissitudes des grandes époques et des grandes sociétés. Pourtant, nous étions nous-mêmes grande société et grande époque, et nous touchions aussi à des désastres, à des transformations, à des renouvellements. Il me semble que regretter ce qui n'est plus, quand on devrait sentir vivement que l'on doit être quelque chose, est une flânerie poétique assez creuse. Le passé qui, en bien comme en mal, a eu sa raison d'être, ne nous a pas laissé ces témoignages, ces débris de sa vie, pour nous décourager de la nôtre. Il devrait, en nous parlant par ses ruines, nous crier: Agis et recommence, au lieu de cet éternel Contemple et frémis, que la mode littéraire avait si longtemps imposé au voyageur romantique des premiers jours du siècle.

      L'illustre Chateaubriand fut un des plus puissants inventeurs de cette mode. C'est qu'il était une ruine lui-même, une grande et noble ruine des idées religieuses et monarchiques, qui avaient fait leur temps. Il eut des velléités généreuses comme il convenait à une belle nature d'en avoir. L'herbe essaya souvent de pousser et de reverdir sur ses voûtes affaissées; mais elle s'y sécha malgré lui, et, comme un temple abandonné de ses dieux, sa grande pensée s'écroula dans le doute et le découragement.

      Mais me voici bien loin de Pise. Non, pas trop cependant: je me disais ces choses-là en traversant ces grandes rues où l'herbe pousse, et en regardant ces vieux palais bizarres qui se mirent dans l'Arno d'un air solennel et ennuyé. Pise tout entier est un Campo-Santo, un cimetière où les édifices, vides d'habitants, sont debout comme des mausolées. Sans les Anglais et les malades de tous les pays froids, qui viennent en certains moments de l'année, lui rendre un peu d'aisance, la ville, je crois, finirait comme doivent finir les petites républiques d'aristocrates: elle mourrait da se.

      Il n'y pas tant à gémir sur ses destinées; elle a eu ses beaux jours, alors que sa constitution était un grand progrès relatif. Elle a été rivale de Gênes, de Venise et de Florence; elle a été reine de Corse et de Sardaigne, reine de Carthage, cette autre ruine dont elle devait partager le destin. Elle a eu cent cinquante mille habitants, de grands artistes, une marine, de grands capitaines, des colonies, des conquêtes, d'immenses richesses et tout l'enivrement de la gloire. Elle a bâti des monuments qui durent encore et que le monde vient encore saluer. Mais les temps sont venus où ces petites sociétés si vivaces et si ardentes, au lieu d'être des foyers d'expansion, des sources bienfaisantes, se transformèrent en foyers d'absorption, en abîmes attirant la sève des nations sans vouloir la rendre, en nids de vautours ou de pirates. Dès lors leur décadence et leur abandon furent décrétés là-haut. Jupiter ne lance plus de foudres; mais Dieu a mis au coeur des sociétés le ver rongeur de l'égoïsme qui les dévore quand elles le nourrissent trop bien. Les voisins jaloux ou irrités ont livré des luttes acharnées; la mer, en se retirant, a accueilli de nouveaux hôtes sur ses rivages. Livourne s'est élevée dans des idées toutes positives, et, moins jalouse d'art et de magnificence, a prédominé par le trafic. Les outrages, inséparables compagnons du malheur, sont venus frapper l'orgueil des fiers Pisans. La noble république fut vendue, violée, pillée, disputée comme une proie, ravagée par la famine, par la peste, par la misère. Elle n'est plus, et la belle Italie du passé s'est vendue et perdue comme elle, pour avoir trop caressé dans son sein des intérêts rivaux, pour avoir dû sa splendeur et sa gloire à des passions étroites et non à des sentiments généreux.

       Requiescat in pace! Je vous ai trop promené avec moi dans ce champ de repos. Il faut que je vous ramène au Castor à travers la campagne, qu'un peu de soleil est venu égayer. J'ai pu, en me retournant, saluer les monti pisani, que les nuages m'avaient voilés ce matin, et qui font aux monuments de la ville un cadre assez beau. Je ne sais si, par un temps clair, on voit d'ici les Apennins, dont ces monts pisans sont une côte rompue et détachée.

      Benvenuto m'a été d'un grand secours. Il est savant à sa manière et bavard avec un certain esprit. J'apprends avec lui à entendre l'italien, que je sais un peu, mais dont la musique est trop neuve à mon oreille pour que je la comprenne d'emblée complètement. Cela viendra, j'espère, en peu de jours.

      Me revoici en mer, voyant passer comme des rêves, la Corse, l'île d'Elbe, le rocher de Monte-Christo, qu'un roman plein de feu a rendu populaire, et qu'un Anglais vient d'acheter pour s'y établir.

      Ces écueils des côtes de France et d'Italie font, dit-on, la passion des Anglais. Le génie de l'insulaire rêve partout un monde à créer, une domination intelligente ou fantasque à établir. Au reste, je comprends le prestige qu'exercent sur l'imagination ces petites solitudes battues des vagues. Quelques-unes ont assez de terre végétale pour nourrir des pins, et, lorsqu'elles sont creusées en amphithéâtre dans un bonne direction, des villas peuvent s'y élever et des jardins y fleurir à l'abri des vents et des flots qui rongent l'enceinte extérieure. La chaleur doit y être tempérée en été, et le continent est assez voisin pour qu'on n'y soit pas trop privé des relations sociales. Pourtant, je crois de tels asiles dangereux pour la raison. Cette mer environnante vous défend trop de l'imprévu, elle vous rend trop sûr d'une indépendance dont on n'a que faire dans la solitude.

      Brumières vient me souhaiter le bonsoir. Miss Médora est de race grecque, il ne s'était pas trompé. Son père, marié à la soeur de lady Harriet, était un Athénien pur sang. Elle est orpheline. Elle est amoureuse de Raphaël et de Jules Romain. Elle est très-anxieuse de recevoir la bénédiction du pape, bien qu'elle ne soit pas du tout dévote. Sa suivante s'appelle Daniella. Voilà le résumé de ses épanchements.

      VIII

      Rome, 18 mars.

      Enfin, mon ami, m'y voilà! mais ce n'est pas sans peine et sans aventure, comme vous allez voir.

      Je ne m'attendais certainement pas à une Italie aussi complète. On m'avait dit qu'il n'y était plus question de brigands depuis l'occupation française, et il est de fait, m'assure-t-on, que, grâce à nous, l'ordre est aussi bien établi que possible dans un pays où le brigandage est comme une nécessité fatale. Ceci m'a été expliqué assez péremptoirement, et je vous l'expliquerai plus tard. Vous êtes pressé d'ouïr mon aventure. Je vais tâcher pourtant de vous la faire attendre un peu, pour la rendre plus piquante. Écoutez donc, ce n'est pas tous les jours qu'on en a une pareille à raconter!

      Débarqués, ce matin, à Civita-Vecchia, après nos adieux au Castor et à son excellent capitaine, M. Bosio, nous avons déjeuné dans une auberge, des fenêtres de laquelle, plongeant sur le rempart, nous avons pu voir des soldats français se livrer à leurs exercices quotidiens avec cette aisance qui les caractérise. Encore des visites

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