La Daniella, Vol. I. Жорж Санд

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La Daniella, Vol. I - Жорж Санд

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que voilà milord qui parle à sa femme!

      – Ça? C'est le domestique!

      – Je vous jure que non; et, s'il n'a pas voulu vous répondre, c'est que vous ne lui êtes pas présenté, et que, devant milady, il ne veut pas paraître ce qu'il est, un homme sans morgue et parlant te français aussi facilement que vous et moi.

      – Encore une fois, Zadig, expliquez-vous!

      Je refusai de m'expliquer, autant pour me divertir de l'étonnement de mon camarade, que pour obéir à un sentiment, peut-être exagéré, de délicatesse. J'avais surpris les secrets du ménage de lord trois étoiles, en écoutant, avec une attention dont je pouvais bien me dispenser, ses confidences à un ami, à travers une cloison du cabaret de la Réserve. Je crois que je devais m'en tenir là, et ne pas les divulguer.

      Maintenant, mon ami, vous allez aussi me traiter de Zadig et me demander comment je reconnaissais un homme dont je n'avais pas aperçu la figure. Je vous répondrai que d'abord sa voix, sa prononciation, ses intonations tristes et comiques à la fois m'étaient restées dans l'oreille d'une façon toute particulière. Si je voulais me faire valoir comme devin, j'ajouterais qu'il est certains traits, certaines physionomies et certaines tournures qui s'adaptent si parfaitement à certaines manières de s'exprimer, et à certaines révélations de caractère et de situation, qu'il n'y a pas moyen de les méconnaître. Mais, pour rester dans l'exacte vérité, je dois vous avouer qu'au moment où je quittais le cabaret de la Réserve, je m'étais trouvé face à face sur l'escalier extérieur avec les deux personnages, au moment où un garçon leur présentait sa lanterne pour allumer leurs cigares. L'un me parut un officier de marine; l'autre, c'était l'homme à front chauve, à casquette vernie renversée en arrière, à pantalon grillagé, que je voyais en ce moment échanger quelques paroles avec milady. Leur conversation ne fut pas longue. Je ne l'entendis pas; mais, à coup sûr, je la traduirais ainsi: «Vous avez fumé? – Je vous jure que non. – Je vous jure que si.» Et milord s'éloigna d'un air résigné, sifflota un moment, en regardant les étoiles, et s'en alla fumer derrière la cheminée de la chaudière. Il n'y eût peut-être pas songé, mais sa femme venait de lui en donner l'envie.

      Brumières, enchanté de mes découvertes, vient de voir un autre de ses souhaits exaucé: le temps s'est brouillé, la mer s'est fait sentir plus rude. Lady Harriet a quitté le pont. La nièce, qui paraît d'une solidité à toute épreuve, est restée sur le banc avec la femme de chambre, et j'ai laissé mon camarade tournant autour d'elles. Je vous écris du salon, où, en ce montent, je vois apparaître milord trois étoiles avec un très-vilain chien jaunâtre que je le soupçonne d'avoir acheté à Gênes pour se faire renvoyer plus souvent par sa femme. Ils se font mutuellement (milord et son chien) de grandes amitiés. Pauvre lord trois étoiles! Il sera peut-être aimé, au moins, de ce chien-là! Mais le roulis augmente et il me devient difficile d'écrire. La nuit se fait maussade en plein air, et je vais me reposer des rues perpendiculaires et du terrible pavé de briques de Gênes la Superbe.

      VII

      Samedi 17 mars. Toujours à bord du Castor

      Il est onze heures du soir, et je reprends mon journal. Brumières est toujours amoureux, milord toujours silencieux, Benvenuto toujours obséquieux. Mon camarade s'est obstiné à ne pas débarquer à Livourne, où nous nous sommes arrêtés ce matin, après une nuit assez dure, malgré les allures douces et solides du Castor. Il a fait tout aujourd'hui un temps de Paris, gris, humide, et froid par-dessus le marché. Beau ciel d'Italie, où es-tu? J'ai bien le projet de revoir ces villes que je traverse au pas de course; mais j'avoue que je n'y peux pas tenir, et qu'ayant la liberté de rester dans les ports, chose fort triste et nauséabonde, du moment que l'on se sent emprisonné dans une forêt de bâtiments qui ne sont pas tous propres à regarder, j'aime mieux payer l'impôt d'arrivée à toutes les polices locales, et voir quelque chose qui remplisse activement ma journée. Cela me fait faire des dépenses extravagantes pour un gueux de peintre; mais je suis relevé de mon serment, et l'abbé Valreg est résigné à me laisser vivre.

      Je n'avais pas fait trois pas dans la ville de Livourne, que vingt voiturins se disputaient l'honneur de me conduire à Pise. J'avais manqué l'heure du petit chemin de fer qui y transporte en peu d'instants, et j'allais me laisser rançonner, lorsque Benvenuto s'est dressé à mes côtés comme une providence, pour faire le marché, sauter sur le siége et me servir de cicerone. Comment avait-il débarqué? qui l'avait préservé des formalités coûteuses et ennuyeuses que je venais de subir? Dieu le sait! Il y a aussi une providence pour les bohémiens.

      Nous avons traversé ces grands terrains d'alluvion tout récemment sortis de la mer. Vous vous souvenez de ce fait, qu'au temps d'Adrien, Pise était à l'embouchure de l'Arno, dont elle est aujourd'hui éloignée de trois lieues. Il n'y a, au bord de ces terrains qui gagnent toujours, que des oliviers maigres, des taillis marécageux, des champs inondés, couverts de goëlands; puis des cultures trop bien alignées, des villages sans caractère. Mais Pise en a de reste. C'est solennel, vide, largement ouvert, nu, froid, triste et, en somme, assez beau. J'ai déjeuné en toute hâte et couru aux monuments. La basilique gréco-arabe et son baptistère isolé, la tour penchée, le Campo-Santo, tout cela, sur une immense place, est très imposant. Je ne vous dirai pas comme ferait un guide imprimé, que ceci ou cela est admirable ou défectueux au point de vue du goût ou des règles. Les chefs-d'oeuvre ont des défauts; à plus forte raison ces édifices bâtis, ornés ou enrichis à diverses époques, chacune apportant là son progrès ou sa décadence. Chacun y a apporté sa volonté ou sa puissance; voilà ce qu'il y a de certain et ce qui peut toujours être regardé avec un certain respect ou avec un certain intérêt. Ces grands ouvrages qui ont absorbé le travail, la richesse et l'intelligence de plusieurs générations sont comme des tombes élevées à la mémoire des idées, tombes couvertes de trophées qui, tous, sont l'expression de l'idéal d'un siècle.

      La tour penchée est une jolie chose, nonobstant l'accident qui l'a rabaissée au rôle de curiosité; mais l'accident lui-même a eu des suites illustres. Il a servi à Galilée pour ses expériences et ses découvertes sur la gravitation. Les portes de Ghiberti, vous les savez par coeur. Nous travaillons aussi bien aujourd'hui; mais nous imitons beaucoup et inventons peu. Honneur donc aux vieux maîtres! Pourtant les fresques d'Orcagna m'ont peu flatté. C'est un cauchemar grotesque, et j'ai eu besoin de m'adresser les réflexions ci-dessus énoncées, pour les regarder sans dégoût. Les autres fresques du Campo-Santo sont moins barbares, mais bien mal conservées et successivement retouchées ou changées. Il faut y chercher celles de Giotto, avec les yeux de la foi. Quelques compositions, les siennes peut-être, sont bien naïves, bien jolies, sans qu'il y ait pourtant motif de pamoison, comme Brumières m'en avait menacé.

      Ce Campo-Santo est, en somme, un lieu qui vous reste dans l'âme après qu'on en est sorti. Il ne serait pas bien aisé de dire pourquoi précisément, car c'est une construction ruinée ou inachevée, couverte en charpente. Le cadre d'élégantes colonnettes du préau n'est pas une merveille qui n'ait été surpassée en Espagne, dans d'autres cloîtres, dont j'ai vu les dessins. La collection d'antiques auxquels le cloître sert de musée est très mutilée et n'approche pas, dit-on, d'une des moindres galeries de Rome. Il y a là, en somme, peu de très beaux débris; mais il y a de tout, et ce vaste cloître où un pâle rayon de soleil est venu un instant dessiner les ombres portées de la découpure gothique, ces profondeurs où gisent mystérieusement des tombes romaines, des cippes grecs, des vases étrusques, des bas-reliefs de la renaissance, de lourds torses païens, de fluettes madones du Bas-Empire, des médaillons, des sarcophages, des trophées, et ces fameuses chaînes du défunt port de Pise, conquises et rendues par les Génois; l'herbe fine et pâle du préau, où quelques violettes essayaient de fleurir; tout, jusqu'à cette charpente sombre qui ne finit rien, mais qui ne gâte rien, compose un lieu solennel, plein de pensées, et d'un effet pénétrant. Fiez-vous donc à vos belles photographies, qui nous faisaient dire: «L'effet embellit

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