Le péché de Monsieur Antoine, Tome 1. Жорж Санд

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Le péché de Monsieur Antoine, Tome 1 - Жорж Санд

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qui est que je n'avais pas vendu une goutte de vin, et que, par conséquent, je ne pouvais pas être puni, j'ai été condamné à payer ce qu'ils appellent le minimum, cinq cents francs d'amende. Excusez, le minimum! cinq cents francs, le prix de mon travail de l'année pour un cadeau de trois bouteilles de vin! Sans compter que mon pauvre confrère, qui les avait reçues, a été condamné aussi, et c'est ce qui m'a mis le plus en colère. Et comme je ne pouvais pas payer une pareille somme, on a tout saisi, tout pillé, tout vendu chez moi, jusqu'à mes outils de charpentier. Alors, à quoi bon payer patente pour un métier qui ne peut plus vous nourrir? J'ai cessé de le faire, et, un jour que je travaillais en journée hors de chez moi, autre persécution, querelle avec l'adjoint, où j'ai failli m'oublier et le frapper. Que devenir? Le pain manquait dans mon bahut; j'ai pris un fusil et j'ai été tuer un lièvre dans la bruyère. Autrefois, dans ce pays-ci, le braconnage était passé à l'état de coutume et de droit: les anciens seigneurs n'y regardaient pas de près, depuis la révolution; ils braconnaient même avec nous, quand ça leur faisait plaisir.

      – Témoin M. Antoine de Châteaubrun, qui le fait encore, dit M. Cardonnet d'un ton ironique.

      – Pourvu qu'il n'aille pas sur vos terres, qu'est-ce que cela vous fait? reprit le paysan irrité. Tant il y a que, pour avoir tué un lièvre au fusil, et pris deux lapins au collet, j'ai été encore pincé et condamné à l'amende et à la prison. Mais je me suis échappé des pattes des gendarmes, comme ils me conduisaient à l'auberge du gouvernement; et, depuis ce temps-là, je vis comme je l'entends, sans vouloir aller tendre mon bras à la chaîne.

      – On sait fort bien comment vous vivez, Jean, dit M. Cardonnet. Vous errez nuit et jour, braconnant en tous lieux et en toute saison, ne couchant jamais deux nuits de suite au même endroit, et le plus souvent à la belle étoile; recevant parfois l'hospitalité à Châteaubrun, dont le châtelain a été nourri par votre mère, et que je ne blâme pas de vous assister, mais qui ferait plus sagement, dans vos intérêts, de vous prêcher le travail et une vie régulière. Allons, Jean, c'est assez de paroles inutiles, et vous allez m'écouter. Je prends pitié de votre sort, et je vais vous rendre la liberté et la sécurité, en me portant caution pour vous. Vous en serez quitte pour quelques jours de prison, seulement pour la forme, je paierai toutes vos amendes, et vous pourrez alors marcher tête levée, est-ce clair?

      – Oh! vous avez raison, mon père, s'écria Émile, vous êtes bon, vous êtes juste. Eh bien, Jean, vous ai-je trompé?

      – Il paraît que vous vous connaissiez déjà, dit M. Cardonnet.

      – Oui, mon père, répondit Émile avec feu, Jean m'a rendu personnellement service hier soir; et ce qui m'attache à lui encore plus, c'est que je l'ai vu ce matin exposer sa vie bien sérieusement pour retirer de l'eau un enfant qu'il a sauvé. Jean, acceptez les services de mon père, et que sa générosité triomphe d'un orgueil mal entendu.

      – C'est bien, monsieur Émile, répondit le charpentier, vous aimez votre père, c'est bien. Moi aussi, je respectais le mien! Mais voyons, monsieur Cardonnet, à quelles conditions ferez-vous tout ça pour moi?

      – Tu travailleras à mes charpentes, répondit l'industriel. Tu en auras la direction.

      – Travailler pour votre établissement, qui sera la ruine de tant de gens!

      – Non, mais qui fera la fortune de tous mes ouvriers et la tienne.

      – Allons, dit Jean ébranlé: si ce n'est pas moi qui fais vos charpentes, d'autres les feront, et je ne pourrai rien empêcher. Je travaillerai donc pour vous, jusqu'à concurrence de mille francs. Mais qui me nourrira pendant que je vous paierai ma dette au jour le jour?

      – Moi, puisque j'augmenterai d'un tiers le produit de ta journée.

      – Un tiers, c'est peu, car il faudra que je m'habille. Je suis tout nu.

      – Eh bien! je double; ta journée est de trente sous au prix courant du pays, je te la paie trois francs; tous les jours tu en recevras la moitié, l'autre moitié étant consacrée à t'acquitter envers moi.

      – Soit; ce sera long, j'en aurai au moins pour quatre ans.

      – Tu te trompes, pour deux ans juste. J'espère bien que dans deux ans je n'aurai plus rien à bâtir.

      – Comment, Monsieur, je travaillerai donc chez vous tous les jours, tous les jours de l'année sans désemparer?

      – Excepté le dimanche.

      – Oh! le dimanche, je le crois bien! Mais je n'aurai pas un ou deux jours par semaine que je pourrai passer à ma fantaisie?

      – Jean, tu es devenu paresseux, je le vois. Voilà déjà les fruits du vagabondage.

      – Taisez-vous! dit fièrement le charpentier; paresseux vous-même! Jamais le Jean n'a été lâche, et ce n'est pas à soixante ans qu'il le deviendra. Mais, voyez-vous, j'ai une idée pour me décider à prendre votre ouvrage. C'est celle de me bâtir une petite maison. Puisqu'on m'a vendu la mienne, j'aime autant en avoir une neuve, faite par moi tout seul, et à mon goût, à mon idée. Voilà pourquoi je veux au moins un jour par semaine.

      – C'est ce que je ne souffrirai pas, répondit l'industriel avec roideur. Tu n'auras pas de maison, tu n'auras pas d'outils à toi, tu coucheras chez moi, tu mangeras chez moi, tu ne te serviras que de mes outils, tu …

      – En voilà bien assez pour me faire voir que je serai votre propriété et votre esclave. Merci, Monsieur, il n'y a rien de fait.»

      Et il se dirigea vers la porte.

      Émile trouvait les conditions de son père bien dures; mais le sort de Jean allait le devenir bien davantage, s'il les refusait. Il essaya de les faire transiger.

      «Brave Jean, dit-il en le retenant, réfléchissez, je vous en conjure. Deux ans sont bientôt passés, et grâce aux petites économies que vous pourrez faire pendant ce temps, d'autant plus, ajouta-t-il en regardant M. Cardonnet d'un air à la fois suppliant et ferme, que mon père vous nourrira en sus du salaire convenu …

      – Vrai? dit Jean ému.

      – Accordé, répondit M. Cardonnet.

      – Eh bien! Jean, vos vêtements sont peu de chose, et ma mère et moi nous nous ferons un plaisir de remonter votre garde-robe. Vous aurez donc, au bout de deux ans, mille francs nets; c'est assez pour bâtir une maison de garçon à votre usage, puisque vous êtes garçon.

      – Veuf, Monsieur, dit Jean avec un soupir, et un fils mort au service!

      – Au lieu que si tu manges ton salaire chaque semaine, reprit Cardonnet père sans s'émouvoir, tu le gaspilleras, et au bout de l'année, tu n'auras rien bâti et rien conservé.

      – Vous prenez trop d'intérêt à moi: qu'est-ce que ça vous fait?

      – Cela me fait que mes travaux, interrompus sans cesse, iront lentement, que je ne t'aurai jamais sous la main, et que dans deux ans, lorsque tu viendras m'offrir la prolongation de tes services, je n'aurai plus besoin de toi. J'aurai été forcé de confier ton poste à un autre.

      – Vous aurez toujours des travaux d'entretien! Croyez-vous que je veuille vous faire banqueroute?

      – Non, mais j'aimerais mieux ta banqueroute que des retards.

      – Ah! que vous êtes donc pressé de jouir! Eh bien! voyons, vous me donnerez un seul jour

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