Le péché de Monsieur Antoine, Tome 1. Жорж Санд
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Le péché de Monsieur Antoine, Tome 1 - Жорж Санд страница 11
Un instant après, il était dans la cour, où la pluie avait, en effet, creusé de petits torrents à la place des sentiers, et il trouva dans l'écurie Sylvain Charasson, qui, tout en pansant son cheval et celui de M. Antoine, se livrait à des commentaires sur les effets d'une si mauvaise nuit, avec le paysan dont Émile Cardonnet savait enfin le prénom. Cet homme lui avait causé la veille une sorte d'inquiétude indéfinissable, comme s'il eût porté en lui quelque chose de mystérieux et de fatal. Il avait remarqué que M. Antoine ne l'avait pas nommé une seule fois, et que, lorsque Janille avait été à diverses reprises au moment de le faire, il l'avait avertie du regard afin qu'elle eût à s'observer. On l'appelait ami, camarade, vieux, toi, et il semblait que son nom fût un secret qu'on ne voulait pas trahir. Quel était donc cet homme qui avait l'extérieur et le langage d'un paysan, et qui, cependant, portait si loin ses sombres prévisions, et si haut sa terrible critique?
Émile s'efforça de lier conversation avec lui, mais ce fut inutile; il avait pris des manières plus réservées encore que la veille, et, lorsqu'il l'interrogea sur les ravages de la tempête, il se contenta de répondre:
«Je vous conseille de ne pas perdre de temps pour vous en aller à Gargilesse, si vous voulez encore trouver des ponts pour passer l'eau, car, avant qu'il soit deux heures, il y aura par là une dribe de tous les diables.
– Qu'entendez-vous par là? je ne comprends pas ce mot.
– Vous ne savez pas ce que c'est qu'une dribe? Eh bien, vous le verrez aujourd'hui, et vous ne l'oublierez jamais. Bonjour, Monsieur, partez vite, car il y aura du malheur tantôt chez votre ami Cardonnet.»
Et il s'éloigna sans vouloir ajouter un mot de plus.
Saisi d'un vague effroi, Émile se hâta de seller lui-même son cheval, et, jetant une pièce d'argent à Charasson:
«Mon enfant, lui dit-il, tu diras à ton maître que je pars sans lui faire mes adieux, mais que je reviendrai bientôt le remercier de ses bontés pour moi.»
Il franchissait le portail, lorsque Janille accourut pour lui barrer le passage. Elle voulait réveiller M. Antoine; mademoiselle était en train de s'habiller; le déjeuner serait prêt dans un instant; les chemins étaient trop mouillés; la pluie allait recommencer. Le jeune homme se déroba, avec force remerciements, à ses prévenances, et lui fit aussi un cadeau qu'elle parut accepter avec grand plaisir. Mais il n'avait pas atteint le bas de la colline, qu'il entendit derrière lui le bruit d'un cheval dont les pieds larges et solides rasaient le pavé en trottant. C'était Sylvain Charasson, qui, monté à poil sur la jument de M. Antoine, et ne se servant pas d'autre bride que d'une corde en licou passée entre les dents de l'animal, le rejoignait à la hâte. «Je vas vous conduire, Monsieur, lui cria-t-il en passant devant lui; mademoiselle Janille dit que vous vous péririez, ne connaissant pas les chemins et c'est la vraie vérité.
– A la bonne heure, mais prends le plus court, répondit le jeune homme.
– Soyez tranquille, reprit le page rustique,» et, jouant des sabots, il mit au grand trot l'animal ensellé, dont le gros ventre nourri de foin, sans aucun mélange d'avoine, contrastait avec des flancs maigres et une encolure grêle.
V.
LA DRIBE
Grâce aux pentes ardues que dominait Châteaubrun, le jeune homme et son nouveau guide purent bientôt gagner la plaine, sans être retardés par aucun torrent considérable. Mais, en passant très vite auprès d'une petite mare pleine jusqu'aux bords, l'enfant dit en jetant de côté un regard de surprise: «La Font-Margot toute pleine! Ça veut dire grand dégât dans le pays creux. Nous peinerons à passer la rivière. Dépêchons-nous, Monsieur!». Et il fit prendre le galop à sa monture, qui, malgré sa mauvaise construction et ses pieds larges et plats, garnis d'une frange de longs poils traînant jusqu'à terre, se dirigeait à travers les aspérités de ce terrain avec une adresse et une sécurité remarquables.
Les vastes plaines de cette région forment de grands plateaux coupés de ravins, qui font de leurs pentes brusques et profondes de véritables montagnes à descendre et à remonter. Après une heure de marche environ, nos voyageurs se trouvèrent en face du vallon de la Gargilesse, et un site enchanteur se déploya devant eux. Le village de Gargilesse, bâti en pain de sucre sur une éminence escarpée, et dominé par sa jolie église et son ancien monastère, semblait surgir du fond des précipices, et, au fond du plus accentué de ces abîmes, l'enfant montrant à Émile de vastes bâtiments tout neufs, et d'une belle apparence: «Tenez, Monsieur, dit-il, voilà les bâtisses à M. Cardonnet.»
C'était la première fois qu'Émile, étudiant en droit à Poitiers, et passant le temps de ses vacances à Paris, pénétrait dans la contrée où son père tentait depuis un an un établissement d'importance. L'aspect de ce lieu lui sembla admirable, et il sut gré à ses parents d'avoir rencontré un site où l'industrie pouvait trouver son compte sans bannir les influences de la poésie.
Il y avait à marcher encore sur le plateau avant d'en atteindre le versant, et d'embrasser d'un seul coup d'œil tous les détails du paysage. A mesure qu'Émile approchait, il y découvrait de nouvelles beautés, et le couvent-château de Gargilesse, planté fièrement sur le roc au-dessus des usines Cardonnet, semblait être là comme une décoration établie à dessein de couronner l'ensemble. Les flancs du ravin, où s'engouffrait rapidement la petite rivière, étaient tapissés d'une végétation robuste, et le jeune homme qui, malgré lui, laissait un peu absorber son attention par les dehors de son nouvel héritage, remarqua avec satisfaction qu'au milieu de l'abatis nécessaire pour l'établir dans une partie aussi ombragée, on avait pourtant épargné de magnifiques vieux arbres, qui faisaient le plus bel ornement de l'habitation.
Cette habitation, située un peu en arrière de l'usine, était commode, élégante, simple dans sa richesse, et des rideaux à la plupart des fenêtres annonçaient qu'elle était déjà occupée. Elle était entourée d'un beau jardin relevé en terrasse le long du torrent, et l'on distinguait de loin les vives couleurs des plantes épanouies qui avaient été substituées comme par enchantement aux souches de saules et aux flaques d'eau sablonneuses dont naguère ces rives étaient bordées. Le cœur du jeune homme battit bien haut, lorsqu'il vit une femme descendre le perron du moderne château, et marcher lentement au milieu de ses fleurs favorites, car c'était sa mère. Il étendit les bras et agita sa casquette pour attirer son attention, mas sans succès. Madame Cardonnet était absorbée par l'examen de ses travaux d'horticulture; elle n'attendait son fils que dans la soirée.
Sur une plage plus découverte, Émile vit les constructions savantes et compliquées de l'usine, et, au milieu d'un pêle-mêle de matériaux de toutes sortes, remuer une cinquantaine d'ouvriers affairés, les uns sciant des pierres de taille, les autres préparant le mortier, d'autres équarrissant les poutres, d'autres encore chargeant des charrettes traînées par d'énormes chevaux. Comme il fallait, de toute nécessité, descendre au pas le chemin rapide, le petit Charasson put prendre la parole.
«Voilà une mauvaise descente, pas vrai, Monsieur? Tenez bien la guide à votre chevau! Ça serait bien de besoin que M. Cardonnet fît un chemin pour amener les gens de chez nous à son invention (son usine). Voyez, les belles routes qu'il a faites des autres côtés! et les jolis ponts! tout en pierres, oui! Avant lui, on se mouillait les pattes en été pour passer l'eau, et en hiver on n'y passait mie. C'est un homme que le pays devrait lui baiser la terre où ce qu'il marche.
– Vous n'êtes donc pas comme votre ami Jean qui dit tant de mal de lui?
– Oh! le Jean, le Jean! il ne faut pas faire grande attention à ce qu'il chante. C'est un homme qui a des ennuis, et qui voit tout en mal depuis quelque temps,