Le péché de Monsieur Antoine, Tome 1. Жорж Санд

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Le péché de Monsieur Antoine, Tome 1 - Жорж Санд

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arrivée est donc une consolation pour nous, ainsi que celle de ce brave garçon, mon ami d'enfance, que je reçois toujours avec plaisir. Allons, toi, assieds-toi là à mon côté, dit-il en s'adressant au paysan, et vous, mère Janille, vis-à-vis de moi. Faites les honneurs: car vous savez que j'ai la main malheureuse, et que quand je me mêle de découper, je taille en deux le rôt, l'assiette, la nappe, voire un peu de la table, et cela vous fâche.»

      Le souper que dame Janille avait étalé sur la table d'un air de complaisance, se composait d'un fromage de chèvre, d'un fromage de brebis, d'une assiettée de noix, d'une assiettée de pruneaux, d'une grosse tourte de pain bis, et des quatre cruches de vin apportées par le maître en personne. Les convives se mirent bien vite à déguster ce repas frugal avec une satisfaction évidente, à l'exception du voyageur, qui n'avait aucun appétit, et qui se contentait d'admirer la bonne grâce avec laquelle le digne châtelain le conviait, sans embarras et sans fausse honte, à son splendide ordinaire. Il y avait dans cette aisance affectueuse et naïve quelque chose de paternel et d'enfantin en même temps qui gagna le cœur du jeune homme.

      Fidèle à la loi de générosité qu'il s'était imposée, M. Antoine ne fit aucune question à son hôte, et même évita toute réflexion qui eût pu ressembler à une curiosité déguisée. Le paysan paraissait un peu plus inquiet, et se tenait sur la réserve. Mais bientôt, entraîné par l'espèce de causerie générale que M. Antoine et dame Janille avaient entamée, il se mit à l'aise et laissa remplir son verre si souvent, que le voyageur commença à regarder avec étonnement un homme capable de boire ainsi sans perdre non-seulement l'usage de sa raison, mais encore l'habitude de son sang-froid et de sa gravité.

      Quant au châtelain, ce fut une autre affaire. A peine eut-il bu la moitié du broc placé auprès de lui, qu'il commença à avoir l'œil animé; le nez vermeil et la main peu sûre. Cependant il ne déraisonna point, même après que tous les brocs furent vidés par lui et son ami le paysan; car Janille, soit par économie, soit par sobriété naturelle, mit à peine quelques gouttes de vin dans son eau, et le voyageur, ayant fait un effort héroïque pour avaler la première rasade, s'abstint de ce breuvage aigre, trouble et détestable.

      Ces deux campagnards paraissaient pourtant le boire avec délices. Au bout d'un quart d'heure, Janille, qui ne pouvait vivre sans remuer, quitta la table, prit son tricot et se mit à travailler au coin du feu, grattant à chaque instant ses tempes avec son aiguille, sans toutefois déranger les minces bandeaux de cheveux encore noirs qui dépassaient un peu sa coiffe. Cette vieille, proprette et menue, pouvait avoir été jolie; son profil délicat ne manquait pas de distinction, et si elle n'eût été maniérée, et préoccupée de faire la capable et la gentille, notre voyageur l'eût prise aussi en affection.

      Les autres personnages qui, en l'absence de la demoiselle, complétaient l'intérieur de M. Antoine étaient, l'un un petit paysan, d'une quinzaine d'années, à la mine éveillée, au pied leste, qui remplissait les fonctions de factotum; l'autre, un vieux chien de chasse, à l'œil terne, au flanc maigre, à l'air mélancolique et rêveur; couché auprès de son maître, il s'endormait philosophiquement entre chaque bouchée que celui-ci lui présentait en l'appelant monsieur d'un air gravement facétieux.

      III.

      M. CARDONNET

      Il y avait plus d'une heure qu'on était à table, et M. Antoine ne paraissait nullement las de la séance. Lui et son ami le paysan faisaient durer leurs petits fromages et leurs grandes pintes de vin avec cette majestueuse lenteur qui est presque un art chez le Berrichon. Portant alternativement leurs couteaux sur ce morceau friand dont l'odeur aigrelette n'avait rien d'agréable, ils le débitaient en petits morceaux qu'ils plaçaient méthodiquement sur leurs assiettes de terre, et qu'ils mangeaient ensuite miette à miette sur leur pain bis. Entre chaque bouchée, ils avalaient une gorgée de vin du cru, après avoir choqué leurs verres, en s'adressant chaque fois cet échange de compliments: «A la tienne, camarade! – A la vôtre, monsieur Antoine!» ou bien: «Bonne santé à toi, mon vieux! – A vous pareillement, mon maître!»

      Au train que prenaient les choses, ce festin pouvait durer toute la nuit, et le voyageur, qui s'épuisait en efforts pour paraître boire et manger, bien qu'il s'en dispensât le plus possible, commençait à lutter péniblement contre le sommeil, lorsque la conversation, roulant jusqu'alors sur le temps, sur la récolte des foins, sur le prix des bestiaux et sur les provins de la vigne, prit peu à peu une direction qui l'intéressa fortement.

      «Si ce temps-là continue, disait le paysan, en écoutant la pluie qui

      ruisselait au dehors, les eaux grossiront ce mois-ci comme au mois de mars.

      La Gargilesse n'est pas commode, et il pourra y avoir du dégât chez M.

      Cardonnet.

      – Tant pis, dit M. Antoine, ce serait dommage; car il a fait de grands et beaux travaux sur cette petite rivière.

      – Oui, mais la petite rivière s'en moque, reprit le paysan, et je trouve, moi, que le dommage ne serait pas grand.

      – Si fait, si fait! cet homme a déjà fait à Gargilesse pour plus de deux cent mille francs de dépenses; et il ne faut qu'un coup de colère de l'eau, comme on dit chez nous, pour ruiner tout cela.

      – Eh bien, ce serait donc un si grand malheur, monsieur Antoine?

      – Je ne dis pas que ce fût un malheur irréparable, pour un homme que l'on dit riche d'un million, reprit le châtelain, dont la candeur s'obstinait à ne pas comprendre les sentiments hostiles de son commensal à l'endroit de M. Cardonnet; mais ce serait toujours une perte.

      – Et c'est pourquoi je rirais un peu, si un petit coup du sort faisait ce trou à sa bourse.

      – C'est là un mauvais sentiment, mon vieux! Pourquoi en voudrais-tu à cet étranger? Il ne t'a jamais fait, non plus qu'à moi, ni bien ni mal.

      – Il a fait du mal à vous, monsieur Antoine, à moi, à tout le pays. Oui, je vous dis qu'il en a fait par intention et qu'il en fera tout de bon à tout le monde. Laissez pousser le bec du livot (la buse), et vous verrez comme il tombera sur votre poulailler!

      – Toujours tes idées fausses, vieux! car tu as des idées fausses, je te l'ai dit cent fois: tu en veux à cet homme parce qu'il est riche. Est-ce sa faute?

      – Oui, Monsieur, c'est sa faute. Un homme parti peut-être d'aussi bas que moi-même, et qui a fait un pareil chemin, n'est pas un honnête homme.

      – Allons donc! que dis-tu là? T'imagines-tu qu'on ne puisse pas faire fortune sans voler?

      – Je n'en sais rien; mais je le crois. Je sais bien que vous êtes né riche et que vous ne l'êtes plus. Je sais bien que je suis né pauvre et que je le serai toujours; et m'est avis que si vous étiez parti pour d'autres pays, sans payer les dettes de votre père, et que je me fusse mis, de mon côté, à maquignonner, à tondre et à grappiller sur toutes choses, nous roulerions carrosse tous les deux, à l'heure qu'il est. Pardon, excuse, si je vous offense! ajouta d'un ton rude et fier le paysan, en s'adressant au jeune homme, qui donnait des signes marqués d'une émotion pénible.

      – Monsieur, dit le châtelain, il se peut que vous connaissiez M. Cardonnet, que vous soyez employé par lui, ou que vous lui ayez quelques obligations. Je vous prie de ne pas faire attention à ce que dit ce brave villageois. Il a des idées exagérées sur beaucoup de choses, qu'il ne comprend pas bien. Au fond, soyez certain qu'il n'est ni haineux, ni jaloux, ni capable de porter le moindre préjudice à M. Cardonnet.

      – J'attache peu d'importance à ses paroles, répondit

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