Le péché de Monsieur Antoine, Tome 1. Жорж Санд

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Le péché de Monsieur Antoine, Tome 1 - Жорж Санд

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elle demeure là, au milieu des gerfauts et des chouettes, et elle n'en est pas moins jeune et jolie. L'air et l'eau ne manquent pas ici, et malgré les nouvelles lois contre la liberté de la chasse, on voit encore quelquefois des lièvres et des perdrix sur la table du seigneur de Châteaubrun. Allons, si vous n'avez pas des affaires qui vous obligent de risquer votre vie pour arriver avant le jour, venez avec moi, je me charge de vous faire bien accueillir au château. Et quand même vous y arriveriez seul et sans recommandation, il suffit que la nuit soit mauvaise, et que vous ayez la figure d'un chrétien, pour que vous soyez bien reçu et bien traité chez M. Antoine de Châteaubrun.

      – Ce gentilhomme est pauvre, à ce qu'il paraît, et je me ferais scrupule d'user de sa bonté d'âme.

      – Vous lui ferez plaisir, au contraire. Allons, vous voyez bien que l'orage va recommencer plus fort que tout à l'heure, et je n'aurais pas la conscience en repos si je vous laissais ainsi tout seul dans la montagne. Voyez-vous, il ne faut pas m'en vouloir pour vous avoir refusé mes services: j'ai mes raisons, que vous ne pouvez pas juger, et que je n'ai pas besoin de dire; mais je dormirai plus tranquille si vous suivez mon conseil. D'ailleurs je connais M. Antoine; il me saurait mauvais gré de ne pas vous avoir retenu et emmené chez lui, et il serait capable de courir après vous, ce qui ne serait pas bon pour lui après souper.

      – Et … vous ne pensez pas que sa fille fût mécontente de voir arriver ainsi un inconnu?..

      – Sa fille est sa fille, c'est-à-dire qu'elle est aussi bonne que lui, si elle n'est pas meilleure, quoique cela ne paraisse guère possible.»

      Le jeune homme hésita encore quelque temps; mais, poussé par un attrait romanesque, et créant déjà dans son imagination le portrait de la perle de beauté qu'il allait trouver derrière ces murailles à l'aspect terrible, il se dit qu'on ne l'attendait à Gargilesse que le lendemain dans la journée; qu'en y arrivant au milieu de la nuit, il y dérangerait le sommeil de ses parents; qu'enfin il y avait, à persister dans son projet, une véritable imprudence dont, à coup sûr, sa mère le détournerait, si elle pouvait, à cette heure, se faire entendre de lui. Touché de toutes les bonnes raisons qu'on se donne à soi-même quand le démon de la jeunesse et de la curiosité s'en mêle, il suivit son guide dans la direction du vieux château.

      II.

      LE MANOIR DE CHÂTEAUBRUN

      Après avoir péniblement gravi un chemin escarpé, ou plutôt un escalier pratiqué dans le roc, nos voyageurs arrivèrent, au bout de vingt minutes, à l'entrée de Châteaubrun. Le vent et la pluie redoublaient, et le jeune homme n'eut guère le loisir de contempler le vaste portail qui n'offrait à sa vue, en cet instant, qu'une masse confuse de proportions formidables. Il remarqua seulement qu'en guise de clôture, la herse seigneuriale était remplacée par une barrière de bois, pareille à celles qui ferment les prés du pays.

      «Attendez. Monsieur, lui dit son guide. Je vais passer par là-dessus et aller chercher la clef; car la vieille Janille ne s'est-elle pas imaginé, depuis quelque temps, de faire placer ici un cadenas, comme s'il y avait quelque chose à voler chez ses maîtres? Au reste, son intention est bonne, et je ne la blâme pas.»

      Le paysan escalada la barrière fort adroitement, et, en attendant qu'il fût de retour pour l'introduire, le jeune homme essaya en vain de comprendre la disposition des masses d'architecture ruinées qu'il apercevait confusément dans l'intérieur de la cour: c'était l'aspect du chaos.

      Peu d'instants après, il vit venir plusieurs personnes qui ouvrirent promptement la barrière: l'une prit son cheval, l'autre sa main, une troisième portait, en avant, une lanterne dont le secours était bien nécessaire pour se diriger à travers les décombres et les broussailles qui obstruaient le passage. Enfin, après avoir traversé une partie du préau et plusieurs vastes salles obscures, ouvertes à tous les vents, on se trouva dans une petite pièce oblongue, voûtée, et qui avait pu, autrefois, servir d'office ou de cellier entre les cuisines et les écuries. Cette pièce, proprement reblanchie, servait désormais de salon et de salle à manger au seigneur de Châteaubrun. On y avait récemment pratiqué une petite cheminée à manteau et à chambranles de bois bien ciré et luisant; la vaste plaque de fonte qui en remplissait tout le foyer, et qui avait été enlevée à quelqu'une des grandes cheminées du manoir, ainsi que les gros chenets de fer poli, renvoyaient splendidement la chaleur et la lumière du feu dans cette chambre nue et blanche, qui, avec le secours d'une petite lampe de fer-blanc, se trouvait ainsi parfaitement éclairée. Une table de châtaignier, qui pouvait, dans les grandes occasions, porter jusqu'à six couverts, quelques chaises de paille, et un coucou d'Allemagne, acheté six francs à un colporteur, composaient tout l'ameublement de ce salon modeste. Mais tout cela était d'une propreté recherchée; la table et les chaises grossièrement travaillées par quelque menuisier de la localité avaient un éclat qui attestait les services assidus de la serge et de la brosse. L'âtre était balayé avec soin, le carreau sablé à l'anglaise contrairement aux habitudes du pays, et, dans un pot de grès placé sur la cheminée, s'étalait un énorme bouquet de roses, mêlées à des fleurs sauvages cueillies sur les collines d'alentour.

      Cet intérieur modeste n'avait, au premier coup d'œil, aucun caractère cherché dans le genre poétique ou pittoresque; cependant, en l'examinant mieux, on eût pu voir que, dans cette demeure, comme dans toutes celles de tous les hommes, le caractère et le goût naturel de la personne créatrice avaient présidé, soit au choix, soit à l'arrangement du local. Le jeune homme, qui y pénétrait pour la première fois, et qui s'y trouva seul un instant, tandis que ses hôtes s'occupaient de lui préparer la meilleure réception possible, se forma bientôt une idée assez juste de la situation d'esprit des habitants de cette retraite. Il était évident qu'on avait eu des habitudes d'élégance, et qu'on avait encore des besoins de bien-être; que, dans une condition fort précaire, on avait eu le bon sens de proscrire toute espèce de vanité extérieure; enfin qu'on avait choisi, pour point de réunion, parmi le peu de chambres restées intactes dans ce vaste domaine, la plus facile à entretenir, à chauffer, à meubler et à éclairer, et que, par instinct, on avait pourtant donné la préférence à une construction élégante et mignonne. En effet, ce petit coin était le premier étage d'un pavillon carré, adjoint, vers la fin de la renaissance, aux antiques constructions qui défendaient la face principale du préau. L'artiste qui avait composé cette tourelle angulaire s'était efforcé d'adoucir la transition de deux styles si différents; il avait rappelé pour la forme des fenêtres le système défensif des meurtrières et des ouvertures d'observation; mais on voyait bien que ces fenêtres, petites et rondes, n'avaient jamais été destinées à pointer le canon, et qu'elles n'étaient qu'un ornement pour la vue. Élégamment revêtues de briques rouges et de pierres blanches alternées, elles formaient un joli encadrement à l'intérieur, et diverses niches, ornées de même, disposées régulièrement entre chaque croisée, rendaient inutiles les papiers, les tentures et même les meubles qui eussent chargé ces parois sans ajouter à leur aspect agréable et simple.

      Sur une de ces niches, dont une dalle, bien blanche et luisante comme du marbre, formait la base, à hauteur d'appui, le voyageur vit un joli petit rouet rustique avec la quenouille chargée de laine brune; et, en contemplant cet instrument de travail si léger et si naïf il se perdit dans des réflexions dont il fut tiré par le frôlement d'un vêtement de femme derrière lui. Il se retourna vivement; mais, aux palpitations qui s'étaient emparées de son jeune cœur, succéda une grave déception. C'était une vieille servante qui venait d'entrer sans bruit, grâce au sablon qui couvrait le sol, et qui se penchait pour jeter dans la cheminée une brassée de sarment de vigne sauvage.

      «Approchez-vous du feu, Monsieur, dit la vieille en grasseyant avec une sorte d'affectation, et donnez-moi votre casquette et votre manteau, afin que j'aille les faire sécher dans la cuisine. Voilà un bon manteau pour la pluie; je ne sais plus comment on appelle cette étoffe-là, mais j'en ai déjà vu à Paris. Voilà qui ferait plaisir d'en voir un pareil sur les épaules de M. le comte! Mais

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