Oeuvres complètes de Guy de Maupassant – volume 10. Guy de Maupassant

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Oeuvres complètes de Guy de Maupassant – volume 10 - Guy de Maupassant

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s’écria: «Je te crois, qu’il l’aura, et plutôt dix fois qu’une. Il n’est pas roublard pour rien.»

      Et on parla de l’éternelle question des avancements et des gratifications qui, depuis un mois, affolait cette grande ruche de bureaucrates, du rez-de-chaussée jusqu’au toit.

      On supputait les chances, on supposait les chiffres, on balançait les titres, on s’indignait d’avance des injustices prévues. On recommençait sans fin des discussions soutenues la veille et qui devaient revenir invariablement le lendemain avec les mêmes raisons, les mêmes arguments et les mêmes mots.

      Un nouveau commis entra, petit, pâle, l’air malade, M. Boissel, qui vivait comme dans un roman d’Alexandre Dumas père. Tout pour lui devenait aventure extraordinaire, et il racontait chaque matin à Pitolet, son compagnon, ses rencontres étranges de la veille au soir, les drames supposés de sa maison, les cris poussés dans la rue qui lui avaient fait ouvrir sa fenêtre à trois heures vingt de la nuit. Chaque jour il avait séparé des combattants, arrêté des chevaux, sauvé des femmes en danger, et bien que d’une déplorable faiblesse physique, il citait sans cesse, d’un ton traînard et convaincu, des exploits accomplis par la force de son bras.

      Dès qu’il eut compris qu’on parlait de Lesable, il déclara: «A quelque jour je lui dirai son fait à ce morveux-là; et, s’il me passe jamais sur le dos, je le secouerai d’une telle façon que je lui enlèverai l’envie de recommencer!»

      Maze, qui fumait toujours, ricana: «Vous feriez bien, dit-il, de commencer dès aujourd’hui, car je sais de source certaine que vous êtes mis de côté cette année pour céder la place à Lesable.»

      Boissel leva la main: «Je vous jure que si…»

      La porte s’était ouverte encore une fois et un jeune homme de petite taille, portant des favoris d’officier de marine ou d’avocat, un col droit très haut, et qui précipitait ses paroles comme s’il n’eût jamais pu trouver le temps de terminer tout ce qu’il avait à dire, entra vivement d’un air préoccupé. Il distribua des poignées de main en homme qui n’a pas le loisir de flâner, et s’approchant du commis d’ordre: «Mon cher Cachelin, voulez-vous me donner le dossier Chapelou, fil de caret, Toulon, A. T. V. 1875?»

      L’employé se leva, atteignit un carton au-dessus de sa tête, prit dedans un paquet de pièces enfermées dans une chemise bleue, et le présentant: «Voici, monsieur Lesable, vous n’ignorez pas que le chef a enlevé hier trois dépêches dans ce dossier?

      – Oui. Je les ai, merci.»

      Et le jeune homme sortit d’un pas pressé.

      A peine fut-il parti, Maze déclara: «Hein! quel chic! On jurerait qu’il est déjà chef.»

      Et Pitolet répliqua: «Patience! patience! il le sera avant nous tous.»

      M. Cachelin ne s’était pas remis à écrire. On eût dit qu’une pensée fixe l’obsédait. Il demanda encore: «Il a un bel avenir, ce garçon-là!»

      Et Maze murmura d’un ton dédaigneux: «Pour ceux qui jugent le ministère une carrière – oui. – Pour les autres – c’est peu…»

      Pitolet l’interrompit: «Vous avez peut-être l’intention de devenir ambassadeur?»

      L’autre fit un geste impatient: «Il ne s’agit pas de moi. Moi, je m’en fiche! Cela n’empêche que la situation de chef de bureau ne sera jamais grand’chose dans le monde.»

      Le père Savon, l’expéditionnaire, n’avait point cessé de copier. Mais depuis quelques instants, il trempait coup sur coup sa plume dans l’encrier, puis l’essuyait obstinément sur l’éponge imbibée d’eau qui entourait le godet, sans parvenir à tracer une lettre. Le liquide noir glissait le long de la pointe de métal et tombait, en pâtés ronds, sur le papier. Le bonhomme, effaré et désolé, regardait son expédition qu’il lui faudrait recommencer, comme tant d’autres depuis quelque temps, et il dit, d’une voix basse et triste:

      «Voici encore de l’encre falsifiée!..»

      Un éclat de rire violent jaillit de toutes les bouches. Cachelin secouait la table avec son ventre; Maze se courbait en deux comme s’il allait entrer à reculons dans la cheminée; Pitolet tapait du pied, toussait, agitait sa main droite comme si elle eût été mouillée, et Boissel lui-même étouffait, bien qu’il prît généralement les choses plutôt au tragique qu’au comique.

      Mais le père Savon, essuyant enfin sa plume au pan de sa redingote, reprit: «Il n’y a pas de quoi rire. Je suis obligé de refaire deux ou trois fois tout mon travail.»

      Il tira de son buvard une autre feuille, ajusta dedans son transparent et recommença l’en-tête: «Monsieur le ministre et cher collègue…» La plume maintenant gardait l’encre et traçait les lettres nettement. Et le vieux reprit sa pose oblique et continua sa copie.

      Les autres n’avaient point cessé de rire. Ils s’étranglaient. C’est que depuis bientôt six mois on continuait la même farce au bonhomme, qui ne s’apercevait de rien. Elle consistait à verser quelques gouttes d’huile sur l’éponge mouillée pour décrasser les plumes. L’acier, se trouvant ainsi enduit de liquide gras, ne prenait plus l’encre; et l’expéditionnaire passait des heures à s’étonner et à se désoler, usait des boîtes de plumes et des bouteilles d’encre, et déclarait enfin que les fournitures de bureau étaient devenues tout à fait défectueuses.

      Alors la charge avait tourné à l’obsession et au supplice. On mêlait de la poudre de chasse au tabac du vieux, on versait des drogues dans sa carafe d’eau, dont il buvait un verre de temps en temps, et on lui avait fait croire que, depuis la Commune, la plupart des matières d’un usage courant avaient été falsifiées ainsi par les socialistes, pour faire du tort au gouvernement et amener une révolution.

      Il en avait conçu une haine effroyable contre les anarchistes, qu’il croyait embusqués partout, cachés partout, et une peur mystérieuse d’un inconnu voilé et redoutable.

      Mais un coup de sonnette brusque tinta dans le corridor. On le connaissait bien, ce coup de sonnette rageur du chef, M. Torchebeuf; et chacun s’élança vers la porte pour regagner son compartiment.

      Cachelin se remit à enregistrer, puis il posa de nouveau sa plume et prit sa tête dans ses mains pour réfléchir.

      Il mûrissait une idée qui le tracassait depuis quelque temps. Ancien sous-officier d’infanterie de marine réformé après trois blessures reçues, une au Sénégal et deux en Cochinchine, et entré au ministère par faveur exceptionnelle, il avait eu à endurer bien des misères, des duretés et des déboires dans sa longue carrière d’infime subordonné; aussi considérait-il l’autorité, l’autorité officielle, comme la plus belle chose du monde. Un chef de bureau lui semblait un être d’exception, vivant dans une sphère supérieure; et les employés dont il entendait dire: «C’est un malin, il arrivera vite», lui apparaissaient comme d’une autre race, d’une autre nature que lui.

      Il avait donc pour son collègue Lesable une considération supérieure qui touchait à la vénération, et il nourrissait le désir secret, le désir obstiné de lui faire épouser sa fille.

      Elle serait riche un jour, très riche. Cela était connu du ministère tout entier, car sa sœur à lui, Mlle Cachelin, possédait un million, un million net, liquide et solide, acquis par l’amour, disait-on, mais purifié par une dévotion tardive.

      La vieille fille, qui avait été

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